16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Vous êtes ici : Accueil > Dossiers > Palestine > Analyses

Novembre 1989, entretien avec Yasser Arafat : En cette troisième année d’Intifada

lundi 8 juillet 2013 - 07h:33

REP N°34 - Hiver 1990

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Revue d’études palestiniennes — L’année qui s’ouvre est la troisième du soulèvement populaire dans les territoires occupés, et la deuxième de l’État de Palestine. C’est aussi celle du vingt-cinquième anniversaire de la Révolution palestinienne. Quels en seront les principaux traits ?

JPEG - 69.3 ko
Yasser Arafat - Photo : EPA

Yasser Arafat — Les événements se précipitent à une vitesse folle en ce moment. Il y a de très profondes mutations dans le monde. Pour ce qui nous concerne, 1990 devra ouvrir la voie à la conférence internationale sur la paix au Proche-Orient. Cette conférence commencerait par un dialogue préliminaire palestino-israélien. Mais il y a un désaccord radical sur cette question entre les Palestiniens, les Arabes et leurs amis d’un côté et, de l’autre côté, Israël et les États-Unis. Les Israéliens insistent sur la question des élections, dans l’optique du plan Shamir. Ils sont appuyés en cela par les Américains. Car ledit plan Shamir s’inscrit dans la vision américaine des choses. On peut même dire qu’il s’agit à l’origine d’un plan américano-israélien. L’administration américaine continue d’appliquer les conceptions de Kissinger sur les petits pas, en fait des pas de tortue. Quand on lit l’étude intitulée Building for Peace publiée en 1988 par le Washington Institute for Near East Policy, et qui est considérée comme la charte d’action de l’administration Bush dans son approche de la question palestinienne et du Proche-Orient en général, on s’aperçoit que les tractations actuelles ne sont qu’une application littérale des propositions qui y étaient préconisées. Un ami américain, qui appartient aux milieux juifs progressistes, m’avait offert un exemplaire de Building for Peace à la fin de 1988, et je me rappelle qu’il m’avait dit alors : le nouveau président Bush mettra en place une équipe qui exécutera le plan développé dans cette étude. De fait, les cinq auteurs sont les principaux conseillers de la nouvelle administration américaine : Lawrence Eagleburger, Dennis Ross, Frank Fukuyama. Richard Haass, Harvey Sicherman.

Quand j’ai rencontré Edouard Chevardnadzé au Caire à la fin du mois de février — Bush avait pris ses fonctions quelques semaines plus tôt —, il m’avait dit qu’il allait rencontrer James Baker en septembre pour parler du Proche-Orient et que l’administration américaine avait donné à Shamir un délai jusqu’à cette date pour en finir avec le soulèvement. J’ai récemment rappelé ces propos à M. Chevardnadzé dans un message que je lui ai envoyé. Il reste que Shamir n’a pas réussi à triompher du soulèvement dans ce délai. Apparemment, il en a obtenu un nouveau jusqu’à la fin de la session de l’Assemblée générale.

Il faut bien voir que non seulement l’administration américaine soutient Israël, mais qu’elle s’oppose fermement à l’OLP et freine son avancée dans les institutions internationales du système des Nations unies. Elle constitue l’obstacle principal à tout règlement équitable. Il se trouve même des Israéliens pour le reconnaître. Par exemple, lors de la rencontre qui a eu lieu à Vienne en juillet dernier, Shoulamit Aloni (une députée du Ratz) a demandé à Saunders : Est-ce nous, les juifs et les Israéliens, qui refusons de donner aux Palestiniens leur droit à l’autodétermination et le droit d’édifier leur État ou vous, les Américains ? Nous avons également pu entendre des propos similaires au cours de la dernière réunion de l’internationale socialiste à Genève, en novembre.

R.E.P. — On parle beaucoup depuis quelque temps du dialogue palestino-israélien, et des divergences sur les modalités qu’il doit avoir ainsi que sur son calendrier. Quelle est la position américaine à cet égard ?

Y. A. — Le ministre égyptien des Affaires étrangères, M. Abdel-Meguid, avait envoyé des demandes d’éclaircissement aux Américains. Lui-même a bien précisé, au cours de la session du Conseil de la Ligue arabe, qu’il s’agissait d’éclaircissements. Mais l’administration américaine a voulu y voir les points d’une initiative. Pourquoi ? Parce qu’Israël n’est pas tenu de répondre à une initiative égyptienne. En revanche, des demandes d’éclaircissement appellent une réponse en vertu des accords de Camp David qui prévoient que si l’une des parties présente un projet, l’autre partie est en droit d’attendre des réponses aux interrogations qu’elle pourrait exprimer. On a donc transformé les interrogations égyptiennes sur le projet israélien en des points, ceux du président Moubarak, et les points en une initiative. Ce n’est pourtant pas le cas d’après les affirmations du président Moubarak lui-même et ses nombreuses déclarations à la presse. Le cabinet restreint en Israël a voté sur cette question sans arriver à se départager. Et au lieu que le gouvernement américain — qui était à l’origine de ces dix interrogations — tranche ce débat et appuie ces demandes d’éclaircissement, il a soutenu le camp du refus israélien et négligé la partie favorable aux propositions égyptiennes. C’est ainsi > a eu le plan Baker. Arens a déclaré à ce sujet que le plan Shamir a reçu arcui américain et a été retenu comme base de la proposition de Baker. John Kelly a souligné de son côté au cours des auditions du Congrès, le 24 novembre, que le plan Baker avait été conçu pour mettre en exécution le projet Shamir. Dans la même déclaration, Kelly a indiqué que les Etats-Unis continuaient d’appuyer « l’initiative de paix » israélienne visant à choisir des représentants palestiniens qui négocieront avec Israël sur des dispositions transitoires. Il a ajouté que les Américains ont apaisé les inquiétudes de Shamir en lui affirmant qu’ils n’obligeraient pas Israël à s’engager dans un dialogue ou dans des négociations avec l’OLP.

R.E.P. — Mais que pensez-vous des informations qui ont fait état d’une tension entre les États-Unis et Israël lors de la dernière visite de Shamir à Washington ?

Y. A. — Pures inventions ! Kelly a bien rendu compte de la situation en disant que, finalement, les Américains ont retiré un sentiment très constructif des pourparlers avec Shamir. C’est là en tout cas la politique officielle telle qu’elle est présentée au Congrès.

R.E.P. — Quel est le rôle de l’Egypte ? Plus précisément, y a-t-il un .plan égyptien ?

Y.A. — C’est une question des plus délicates. Les États-Unis et Israël veulent que le dialogue avec l’OLP se fasse par le truchement de l’Égypte. Mais les Égyptiens ont dit à plus d’une reprise qu’ils ne se substituaient en aucun cas à l’OLP. L’Égypte est liée par les décisions de la Ligue arabe, et sa position est ferme malgré les pressions israéliennes et américaines. Tous les États arabes subissent des pressions considérables afin qu’ils appuient le plan Baker. Les États-Unis ne veulent pas d’une intervention arabe, ils entendent isoler les Palestiniens pour les soumettre à leurs conditions. Ils n’y réussiront pas car nous sommes beaucoup plus forts qu’ils ne veulent l’admettre.

R.E.P. — Quelle est finalement l’attitude des États-Unis à l’égard de l’OLP ? Plus précisément, l’OLP est-elle pour eux totalement inacceptable ou acceptable à quelques conditions ?

Y.A. — Elle est acceptable avec des conditions. Les États-Unis savent qu’ils ne pourront pas écarter totalement l’OLP parce qu’elle rassemble autour d’elle tout le peuple palestinien. Il ne s’agit donc pas d’une générosité américaine mais de la force de l’OLP. En l’état actuel des choses, je ne veux pas exposer ces conditions, mais je peux vous dire que les États-Unis continuent de vouloir dompter le peuple palestinien par divers moyens que nous avons eu l’occasion d’affronter dans le passé, avant et après le siège de Beyrouth, et que nous affrontons tous les jours. L’essentiel dans les propos de Kelly que j’ai cités, c’est que les États-Unis ont donné des garanties à Israël. On nous dit qu’il n’y a pas de garanties américaines à Israël. Mais comment comprendre alors une phrase qui dit : Nous n’obligerons pas Israël à s’engager dans un dialogue ou une négociation avec l’OLP ?

R.E.P. — Comment expliquez-vous cette crispation américaine ?

Y.A. — Les Américains n’ont toujours pas reconnu le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Pour eux, les 1500 habitants des Malouines ont droit à l’autodétermination mais pas le peuple palestinien. C’est ce qui distingue les États-Unis de tous les autres États du monde.

R.E.P. — Passons à Israël. Croyez-vous à un éclatement de la coalition gouvernementale ?

Y.A. — La situation en Israël aujourd’hui ressemble un peu à celle qui prévalait en France avant l’ouverture des négociations d’Evian. Mais il y a une grande différence : c’est qu’il n’y a pas en Israël un personnage de l’envergure du général de Gaulle. Je ne vois d’ailleurs pas qui pourrait jouer un tel rôle à l’avenir. Il n’y a même pas d’Ian Smith en Israël ! Nous n’avons donc qu’un seul choix, c’est de tenir bon.

Les derniers sondages montrent, par contre, un grand changement dans l’attitude de l’opinion publique israélienne à l’égard de l’OLP puisqu’une bonne majorité des personnes interrogées sont favorables à une solution négociée et au dialogue avec l’OLP. Le problème ne réside donc pas tant dans la société que dans l’establishment. Et le nœud du problème est Washington. Ce sont les Américains qui font pression pour le maintien de la coalition gouvernementale et pour empêcher l’avènement d’une autre majorité qui pourtant existe sur le papier. Elle comprendrait les 56 députés du parti travailliste et de ses alliés, avec certains partis religieux comme Shahs (6 députés) ou Agoulât Israël (5 députés), surtout que les États-Unis continuent de contrôler les voix des religieux. Au contraire, toute l’administration américaine fait de vives pressions pour la perpétuation de la coalition.

R.E.P. — Qu’en est-il de la position de l’Europe, surtout après votre visite historique en France ?

Y.A. — La différence est très nette entre la position de l’Europe et celle des États-Unis. La position européenne, mise en relief par plusieurs États et, en premier lieu, par la France, est une position avancée et courageuse. Ce qu’a dit le président Mitterrand à Strasbourg sur le peuple devenu gibier rappelle ce qui se disait des juifs dans les jours sombres du nazisme.

La position européenne s’est cristallisée dans la déclaration publiée au sommet de Madrid. Pour la première fois, l’Europe occidentale a clairement reconnu le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, avec tout ce que cela implique. Il y a aussi l’action positive de la troïka européenne et les relations constantes entre la France et la Palestine à travers le comité bilatéral permanent. De plus, la Communauté européenne entretient des relations économiques avec les territoires palestiniens occupés, considérés comme une entité autonome. Il est vrai que ces relations peuvent encore être développées quoique nous bénéficions déjà de facilités qui ne sont pas négligeables et que nous apprécions à leur juste valeur.

Au niveau politique, nos relations sont bonnes, comme je l’ai dit, avec la France, ainsi qu’avec l’Espagne, et elles sont excellentes avec l’Italie et la Grèce. Nos relations avec la Grande-Bretagne se sont officialisées. Une évolution très positive est intervenue dans nos relations avec la RFA. Nous constatons également une amélioration dans les rapports avec les Pays-Bas. Il faut y ajouter, en dehors de la CEE, la position des pays scandinaves et tout particulièrement de la Suède qui agit avec une grande sagesse et qui fonde son action sur les principes du droit et de la pureté en politique. Et il y a enfin les relations privilégiées qui nous lient au Vatican.

L’Europe va devenir après 1992 la troisième superpuissance, en dépit des obstacles que les Etats-Unis dressent depuis longtemps sur son chemin. Et si le rapprochement entre l’Europe occidentale et l’Europe de l’Est se réalise effectivement, elle pourrait devenir la première puissance du monde. Nous regardons cela d’une manière très positive parce que, du point de vue de la géopolitique, nous ne pouvons pas être loin de l’Europe. Nous vivons depuis si longtemps avec les Européens autour de ce lac qu’est la Méditerranée, ils nous ont emprunté bien des choses et nous leur avons emprunté bien des choses. Nous nous sommes longtemps partagé la civilisation humaine, eux au Nord et nous, à l’Est et au Sud. Leur sécurité dépend de la nôtre. Nous sommes affectés par ce qui se passe chez eux, et eux sont affectés par ce qui se passe chez nous. Par conséquent, tout nous incite et les incite à un rapprochement.

R.E.P. — On lit beaucoup de spéculations ici et là sur l’effet des mutations actuelles en Union soviétique et en Europe de l’Est sur l’attitude de ces États à l’égard du conflit arabo-israélien...

Y.A. — Ces spéculations sont fondées sur une ignorance de l’histoire, de la géographie et de l’économie.

R.E.P. — Mais ne peut-on pas craindre que ces développements considérables en Europe monopolisent l’attention du monde et que les Arabes soient laissés à leur crise, à vendre du pétrole et à acheter des armes, sans que personne ne se préoccupe sérieusement de régler le conflit du Proche-Orient ?

Y.A. — Le monde n’est pas à l’abri de ce qui se passe dans notre région. On ne peut pas circonscrire la tension à notre seule région du monde. Quand j’ai quitté Beyrouth, j’ai dit que le cataclysme qui nous avait frappés, et devant lequel nous avons payé le prix fort, touchera d’autres que nous. Reagan était trop occupé à contempler l’image de notre départ de Beyrouth. Il n’a pas compris, dans sa légèreté politique, que les intérêts des États-Unis eux-mêmes ne sont pas à l’abri. Voyez-vous, un barrage peut retenir un certain volume d’eau, on peut même le surcharger mais il arrive nécessairement un moment où il doit céder.

Le Proche-Orient conserve une importance stratégique considérable. En 1991, le pétrole du Proche-Orient occupera de nouveau la première place. Les espoirs qu’on avait placés sur le pétrole de la mer du Nord et sur le pétrole d’Alaska se sont dissipés. Aux États-Unis, les réserves pétrolières sont en voie de tarissement. Dans le monde arabe, en revanche, elles sont pratiquement inépuisables. Il faut ajouter que le volume des importations arabes en provenance des pays occidentaux est considérable et qu’il n’est pas pensable de le sacrifier ainsi.

Surtout, au niveau proprement palestinien, nous ne nous appuyons pas sur le vide. Nous avons plusieurs choix. Je voudrais vous rappeler un dialogue que j’avais eu avec le président Andropov après notre départ de Beyrouth. Il m’avait demandé ce que je comptais faire maintenant. Je lui ai répondu que j’allais dans les territoires occupés. Il a repris : « Êtes-vous sûr que ces territoires vous appartiennent ? — Oui, qui vous a dit le contraire ? — Mes informations. — Les informations du KGB, camarade Andropov, sont erronées. Les territoires occupés sont un prolongement du corps palestinien. L’intérieur et l’extérieur sont les deux faces d’une même réalité. L’ignorer signifie qu’on ignore tout du peuple palestinien. » Quand j’ai rencontré Gorbatchev en mars 1988, il s’est inquiété de savoir si le soulèvement allait se poursuivre. J’ai répondu : « Votre propos, par cette question, est de savoir comment parler du problème avec Reagan. » Il a acquiescé. Je lui ai alors raconté le dialogue que j’avais eu avec Andropov ; l’un des témoins de la première rencontre était d’ailleurs présent. L’éventail des choix palestiniens n’est pas restreint. Je peux à n’importe quel moment renverser la table. Cela ne me coûterait qu’une réunion du Conseil national palestinien où je pourrais dire : Il n’y a pas d’utilité dans ce que nous faisons, à vous de décider. Le monde entier verra alors comme toute la région pourrait exploser. Israël nous menace de grands bains de sang, d’expulsions massives, mais toute la région arabe, et pas seulement une partie comme en 1948, sera alors ébranlée.

R.E.P. — Cela nous conduit à parler du soulèvement. Tous les Palestiniens savent que le mot d’ordre de la Révolution palestinienne a toujours été la percée vers l’intérieur et que le soulèvement est la résultante des expériences accumulées en Jordanie, puis en Syrie et au Liban. Il se trouve pourtant des gens pour considérer le soulèvement comme un phénomène surprenant...

Y. A. — Ceux-là ne peuvent comprendre la nature de l’autodiscipline palestinienne. J’ai toujours dit que notre peuple était meilleur que tous les leaderships qu’il a eus, qu’il a et qu’il aura. Je voudrais vous en donner un exemple : il y a quelque temps, Shultz était venu dans les territoires occupés avec un projet mais sans trouver aucun interlocuteur palestinien autre que l’OLP ; il a attendu pendant plus de deux heures à un rendez-vous qu’il avait lui-même fixé. En vain, personne n’est venu. Mais il a pu lire un petit papier épinglé au mur de la salle : « Nous regrettons de ne pouvoir rencontrer l’Amérique », signé « l’OLP ».

Sur un autre plan, prenez le cas de la Jordanie. Récemment, on m’a interrogé officiellement sur les élections dans ce pays et j’ai répondu que cela ne nous regardait pas. Mais quelques-uns de nos jeunes sont apparemment intervenus dans la campagne. Nous avons alors publié un communiqué réaffirmant notre neutralité. Le résultat a été que 70 % des Palestiniens en Jordanie n’ont pas participé aux élections. C’est-à-dire qu’ils ont fermement respecté notre communiqué sans que nous leur ayons rien demandé officiellement.

R.E.P. — Parmi les pratiques récentes qui ont constitué des acquis précieux, il y a eu l’expérience de Beit Sahour...

Y.A. — Il y a eu beaucoup d’expériences remarquables. Beit Sahour est la dernière en date. Mais prenez Gaza par exemple : c’est véritablement un miracle. Voilà une ville habitée par près de 800 000 personnes, sur un territoire de 340 kilomètres carrés dont 140 sont réquisitionnés pour les colonies. C’est-à-dire que 800 000 personnes vivent sur 200 kilomètres carrés, soit 4000 par kilomètre ou encore 4 par mètre carré. Autant dire des boîtes de sardines. C’est probablement la plus forte densité démographique au monde. Et pourtant, la population de Gaza résiste orgueilleusement. Vous savez que le taux d’avortement est très élevé à Gaza à cause de l’intensité des gaz lacrymogènes. Mais les habitants ont suffisamment de ressort pour ironiser en se disant que ces gaz ont débarrassé Gaza des moustiques.

Jérusalem aussi est un miracle. Bien que les Israéliens aient proclamé la réunification de la ville pour l’éternité, ils traitent Jérusalem-Est comme une entité à part, avec mobilisation militaire, loi martiale, etc.

En ce qui concerne Beit Sahour, c’est une forme développée de la désobéissance civile. Les Israéliens y ont pris un butin équivalant à 9 millions de dollars alors que les taxes réclamées aux habitants se montaient à 550 000 dollars. Ils disaient aux habitants : Payez dix shekels seulement, mais payez. Systématiquement, ils se sont vu rétorquer : Prenez tout ce que je possède, je ne paierai pas. Rabin a bien dit que c’était une bataille des volontés pour que Beit Sahour ne devienne pas un symbole. Chaque partie de la Palestine donne un exemple de la résistance et c’est là la grandeur de ce peuple.

Il y a aussi l’expérience de Safa. C’est un petit village près de Ramallah où un incident entre le Fath et le FPLP a fait une victime. Or, il se fait que l’affiliation politique y recoupe les allégeances familiales, ce qui a manqué susciter une vendetta. Dès que j’ai été averti de l’incident, j’ai donné des ordres pour que le problème soit réglé au plus vite. De fait, des jeunes sont descendus dans les rues pour interdire la circulation en proclamant dans les haut-parleurs que le couvre-feu était imposé sur ordre de la direction ! L’objectif de ce couvre-feu palestinien était d’apaiser les passions pour empêcher les débordements et réaliser une réconciliation. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé. Il faut noter à ce propos que toute la population s’est conformée à l’interdiction de circuler. Ce qui met en valeur l’importance de cet incident, c’est que Safa est situé dans le secteur central où se trouve le siège du commandement de l’armée israélienne ! Voilà en fait un exemple d’exercice de la souveraineté.

A chaque fois qu’on lève un drapeau palestinien sur n’importe quelle partie de la Palestine, c’est une affirmation de la souveraineté. C’est pour cela que les Israéliens considèrent ces actes comme contraires à la loi et qu’ils condamnent les enfants qui portent une chemise ou un pull aux couleurs de la Palestine.

R.E.P. — Certains journalistes tiennent à faire la distinction entre Palestiniens de l’extérieur et Palestiniens de l’intérieur. Pourquoi à votre avis ?

Y.A. — Je leur dis tranquillement : Il n’y a qu’un peuple palestinien, que cela vous plaise ou pas. Ils savent pertinemment que c’est vrai. Tenez, il y a quelque temps, des personnalités qu’on considérait comme « modérées » sont venues à Tunis. Elias Freij par exemple. Justement à son retour, après avoir traversé le pont Allenby, M. Freij a déclaré qu’il s’était rendu à Tunis pour y rencontrer la direction de l’OLP. Quand Shamir a rendu public son projet, il a affirmé qu’il avait trouvé des interlocuteurs. On lui a demandé de qui il s’agissait ; il a répondu que c’était les intégristes et Hamas, en se fondant sur des déclarations faites par certains. J’ai alors dit que je mettais Shamir au défi de trouver quelque courant religieux qui accepte cela. Je les ai rencontrés effectivement et je leur ai dit : voilà ce qu’affirme Shamir. Ils ont alors publié un communiqué à la suite duquel leur direction a été appréhendée ; et ils ont été considérés comme un mouvement terroriste relevant de l’OLP.

Le soulèvement n’est pas un enfant illégitime. Il a un père et une mère. Ce sont le peuple palestinien et sa direction. Sans l’organisation méticuleuse qui le caractérise, et surtout sans les structures mises en place par notre frère martyr Abou Jihad quand il était responsable du secteur occidental, ce soulèvement n’aurait pas pu se poursuivre ainsi.

R.E.P. — Pourquoi le peuple palestinien tient-il tant à réaffirmer constamment son adhésion à l’OLP ?

Y.A. — Parce qu’il sait que nous sommes dans le dernier quart d’heure et que c’est le moment où se multiplient manœuvres et manigances. Le moment que nous vivons rappelle l’histoire qu’on raconte au sujet de Antar à qui on avait demandé : « Comment as-tu vaincu ? » et qui a répondu : « S’il n’avait pas été le premier à crier : “ je n’en peux plus ”, c’est moi qui l’aurais fait. » Nous ne serons pas les premiers à crier. Notre peuple peut quasiment toucher de la main l’État de Palestine. Comme je l’ai déjà dit, l’État est à un jet de pierre.

* Propos recueillis par Elias Sanbar et Layla Shahid Barrada, Tunis, le 27 novembre 1989}

Revue d’Études Palestiniennes N°34 - Hiver 1990


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.