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Le sens de la solidarité dans le mouvement pro-palestinien

mardi 11 juin 2013 - 09h:15

Sandra Tamari - Mondoweiss

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Cet article complète celui de Heike Schotten, "When ’J’ means ’Jewish’ Rather than ’Justice’ : On Zionism, Jewish Exceptionalism, and Jewish Supremacy in U.S. Palestine Solidarity Organizing". Ces articles font partie d’une conversation en cours dans des espaces militants sur le thème : "Des Juifs s’identifient comme juifs". Nous avons récemment publié Elisha Baskin et Donna Nevel sur ce sujet (Note Mondoweiss).

Cela fait trop longtemps que l’on nie aux Palestiniens le droit de raconter leur expérience d’oppression et de diriger leur lutte de libération. La direction palestinienne officielle a contribué à ce musèlement en participant à des simulacres de processus de paix comme les Accords d’Oslo, qui ont abouti à la création d’une Autorité palestinienne (AP) qui ne représente pas les Palestiniens. On estime qu’entre 28 et 32 % du budget de l’AP vont au maintien de l’ordre et aux prisons, non pas à la protection des Palestiniens mais à leur contrôle. Les voix palestiniennes sont aussi bâillonnées dans les organisations de libération palestinienne aux États-Unis. Que ce soit en accusant les Palestiniens de fanatisme, en montrant de l’impatience vis-à-vis de l’oppression qu’ils peuvent avoir intériorisée, ou comme conséquence du racisme, de l’islamophobie ou de la primauté juive, le travail de solidarité avec la Palestine aux États-Unis contribue trop souvent à priver de pouvoir les Palestiniens et à les représenter, au lieu de leur permettre de parler eux-mêmes. Je vais traiter de quelques-unes des façons dont on prive les Palestiniens de parole dans le mouvement pro-palestinien, dans le but d’encourager l’introspection au sein de notre groupe.

La solidarité signifie d’encourager le leadership palestinien

Il n’y a pas de leadership palestinien. L’oppression et l’exil ont créé des divisions au sein de la classe politique palestinienne et les Palestiniens n’ont jamais eu une gouvernance véritablement représentative. Cette division est une aubaine pour Israël et une source majeure de préoccupation pour de nombreux Palestiniens, dont certains ont appelé à des élections directes pour un Conseil national palestinien représentant les Palestiniens du monde entier. La division entre l’AP et le Hamas, fomentée par les États-Unis, sert aussi les intérêts israéliens. Critiquer le manque de leadership palestinien hors de ce contexte est malhonnête. Les conséquences de la politique sioniste de fragmentation sont souvent mal interprétées par les alliés des EU et sont prises pour du sous-développement politique. Il est important que les partenaires non palestiniens examinent comment cette façon quasiment non dite et inconsciente de juger les potentialités palestiniennes formate nos organisations.

Contrairement aux organes palestiniens officiels, le Comité national BDS palestinien (BNC) et la Campagne palestinienne pour le boycott universitaire et culturel d’Israël (PACBI) sont des exemples d’organisations de la base populaire dont la direction est palestinienne. L’appel 2005 au boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) contre Israël tant qu’il ne respectera pas les droits fondamentaux des Palestiniens a été endossé par des organisations de la société civile en Cisjordanie et à Gaza, à l’intérieur d’Israël et dans la diaspora. Le BNC et PACBI ont explicité en détail les principes qui guident le travail BDS. Les militants solidaires engagés dans l’action BDS doivent, et c’est le strict minimum, se familiariser avec ces principes et lignes directrices. Plus précisément, la direction de la campagne BDS et la communauté palestinienne élargie ont clairement dit que le travail de libération palestinienne est incompatible avec toute forme de racisme ou de d’intolérance. Il est cependant arrivé que des individus dans le mouvement états-unien, critiqués pour leur intolérance, aient réagi par une attitude défensive et aient révélé des sentiments sous-jacents de racisme et d’islamophobie.

Certains "compagnons" ont accusé les Palestiniens de collaboration avec les intérêts sionistes quand ces Palestiniens ont mis en cause leur présentation déformée de la politique palestinienne ou leur antisémitisme. Un individu impliqué dans des activités pro-palestiniennes a accusé le BNC d’abandonner le droit au retour en échange de financements de George Soros, qui est qualifié de "sioniste soft". Une autre a eu recours à une insulte islamophobe pour attaquer un Palestinien qui l’avait critiquée pour avoir posté une vidéo antisémite. Un autre encore a publié une photo d’un Palestinien qui avait critiqué les motivations racistes en la mettant près de photos d’Abe Foxman et Alan Dershowitz pour laisser entendre qu’ils étaient tous de mèche pour faire taire les voix "dissidentes". Ces actions montrent que certains, impliqués dans notre travail, ont des motivations qui sont incompatibles avec la libération et la solidarité palestiniennes.

La solidarité, c’est d’accepter d’adopter la perspective palestinienne comme une opportunité, non comme une attaque personnelle. Nous apprenons tous et aucun Palestinien n’attend des camarades non palestiniens qu’ils comprennent totalement son expérience. Au sein de nos organisations, il faut donner aux militants palestiniens l’espace nécessaire pour discuter des questions d’oppression en dehors du grand groupe sans que ces discussions soient vues comme une menace vis-à-vis des partenaires non palestiniens. Il est impératif que les Palestiniens aient de l’espace pour décider de leurs priorités et identifier les manières dont le racisme peut avoir un impact sur leur travail. Lorsqu’ils sont prêts, ces groupes palestiniens doivent sentir que le rapport de leurs conclusions dans le grand groupe est le bienvenu. Il est également important que les collègues non palestiniens discutent des façons dont leurs privilèges et pouvoirs peuvent affecter les Palestiniens dans leur organisation.

"Je souhaite que davantage de Palestiniens s’impliquent"

Les organisations de la solidarité palestinienne aux Etats-Unis déplorent majoritairement que relativement peu de Palestiniens les rejoignent, une remarque qu’il est important d’examiner. Il ne fait aucun doute qu’aux Etats-Unis, l’islamophobie et la xénophobie anti-arabe ont joué un rôle dans le maintien des Palestiniens à l’écart des organisations politiques. De plus, les Palestiniens ont souvent intériorisé l’oppression et s’autocensurent. Dans nos sociétés, le dénigrement constant des Palestiniens, des arabes et des musulmans provoque des dégâts émotionnels et psychologiques au sein de ces communautés. Il y a des moments où des choses étranges me traversent l’esprit lorsque je suis confrontée moi-même à la discrimination, comme si quelque part je méritais d’être traitée ainsi. Je reprends vite mes esprits mais le fait que le réflexe est présent dans quelqu’un comme moi, qui est une forte conscience politique, est éloquent.

Aux Etats-Unis, pour les Palestiniens, comme pour les autres Américains d’origine arabe et les musulmans, l’activisme politique peut avoir de graves conséquences : attaques physiques et verbales, perte d’emploi, refus de promotion ou de titularisation, cessation d’emploi, surveillance du gouvernement et même emprisonnement. En 1985, le Palestinien-américain Alex Odeh a été assassiné à Santa Ana, Californie, pour ses activités politiques. Plus récemment, le Palestinien-américain Hatem Abudayyeh reste la cible d’une enquête agressive du FBI à cause de son activité politique. En 2010, le FBI a fait une descente à son domicile à Chicago puis son compte bancaire personnel a été gelé.

Les obstacles à l’engagement des Palestiniens dans l’action sont nombreux. Cependant, si nous cherchons à créer de nouvelles communautés et systèmes qui reflètent nos principes antiracistes et anti-oppression, il incombe aux organisations de solidarité avec la Palestine de chercher les moyens d’impliquer les Palestiniens dans leurs instances dirigeantes. Créer des organisations anti-oppression signifie davantage que la diversité et l’intégration. Cela signifie souvent de ralentir notre calendrier pour s’assurer que les Palestiniens sont impliqués dans le travail depuis le tout début, plutôt qu’attendre d’eux qu’ils suivent.

La solidarité signifie de se mettre en retrait et d’écouter ceux qui sont les plus affectés par l’oppression d’Israël. Ceci prend du temps et de la patience, des ressources qui manquent souvent parmi les activistes politiques centrés sur les objectifs. Quelquefois, cela signifie que les partenaires doivent encourager les Palestiniens qui n’ont pas d’expérience préalable d’organisation ou de prise de parole en public à avoir foi en eux-mêmes, ce qui veut dire leur laisser le micro et leur permettre d’apprendre et de faire des erreurs. Cela signifie également de s’abstenir de porter des jugements ou d’exclure des Palestiniens qui ne sont pas des "progressistes" ou qui ne répondent pas à certaines mises à l’épreuve arbitraire au sujet de leur analyse politique.

Sommes-nous prêts à envisager des cadres d’organisation qui favorisent le leadership palestinien ? De nombreux camarades juifs et autres militants blancs chevronnés ont une longue histoire d’organisation de justice sociale dans ce pays et ont eu des mentors et des modèles sur lesquels façonner leur travail anti-oppression. Étant une population immigrée plus récente aux États-Unis, les Palestiniens ont peut-être moins de modèles où puiser. Et il est facile pour certains camarades d’être victimes de sentiments de supériorité intériorisés lors du travail avec des Palestiniens.

Dans le travail de désinvestissement qui a eu lieu l’an dernier en direction des Églises, j’ai été invitée à participer à des réunions d’assemblées réfléchissant à des résolutions sur la question parce que je suis Palestinienne chrétienne. Je suis mal à l’aise avec cette identification en tant que de Palestinienne chrétienne parce que, heureusement, les Palestiniens ne sont pas tombés dans les pièges sectaires qui divisent selon des lignes religieuses. Je mets au défi les partenaires des églises travaillant sur la Palestine d’inviter des Palestiniens musulmans à leurs réunions sur le désinvestissement au cours des années à venir. Nous devons créer des espaces d’écoute de l’éventail large des histoires palestiniennes. Nous n’y arriverons pas en excluant la majorité des Palestiniens qui se trouvent être musulmans. Quand serons-nous à l’aise avec des hommes portant la barbe et des femmes portant le voile s’adressant à des congrégations chrétiennes ? Certains dans les Églises diront qu’il est stratégique d’utiliser des Palestiniens chrétiens pour s’adresser à des groupes américains chrétiens, mais ce n’est pas une excuse acceptable pour exclure les Palestiniens musulmans. Cette approche contient du racisme et de l’islamophobie et vise à "aider" les Palestiniens en leur enlevant tout pouvoir.

Le rôle des partenaires juifs dans le mouvement pour la Palestine

A mon avis, le rôle principal des camarades juifs dans le travail pour la Palestine consiste à s’efforcer d’ouvrir des espaces où les Palestiniens raconteront leur propre histoire et de créer les opportunités pour que les Palestiniens dirigent le processus de leur propre libération. Les partenaires juifs devraient s’opposer à la pratique commune qui veut que dans tout discours sur la Palestine/Israël, on accorde une plus grande crédibilité aux commentaires juifs sur Israël. Jewish Voice for Peace a fait de grands progrès en créant un espace où les Palestiniens se font entendre. Il reste beaucoup à faire. Au cours des dernières années, j’ai assisté à des tables rondes où seuls des Juifs étaient invités à parler, dans des universités locales, sur Palestine/Israël. Je me demande si ces institutions organiseraient une table ronde sur le racisme aux États-Unis sans un seul participant africain-américain.

Une autre occasion où l’identité juive joue un rôle dans l’activisme palestinien, c’est dans les efforts pour mobiliser des organisations juives. J’ai été approchée par des camarades juifs bien intentionnés pour prendre la parole dans des salles de l’establishment juif ou avec des sionistes "libéraux". Une fois que le rabbin ou le chef Hillel m’auraient rencontrée, m’assuraient ces camarades juifs, leurs points de vue sur la question de la Palestine changeraient. Ce fut délicat et difficile de répondre à ces souhaits car je considère ceux qui m’ont fait ces demandes comme des amis, et je crois qu’il est important de rencontrer les gens là où ils en sont dans leur parcours politique. Cependant, je ne peux pas m’empêcher de me sentir instrumentalisée et utilisée comme exemple d’une Palestinienne "civilisée". C’est comme s’ils voulaient dire, "Regardez, c’est une Palestinienne moderne et instruite. Ne mérite-t-elle pas des droits ?" En fin de compte, ce n’est pas personnel, mais politique.

Convaincre les sionistes de la dignité humaine et de la valeur des Palestiniens n’est pas ma priorité. Démanteler le sionisme à l’intérieur de l’establishment juif est essentiel. Je me demande si certains camarades juifs m’invitent pour essayer de régler la question de la culpabilité collective pour la responsabilité juive dans l’oppression des Palestiniens. Mais est-ce aux Palestiniens de faire que les Juifs se sentent moins culpabilisés ou coupables pour le sionisme ? Il n’est pas productif que les Palestiniens s’engagent dans la construction de relations interpersonnelles qui ne parviennent pas à reconnaître ou à apporter des solutions politiques aux inégalités structurelles et à la violence.

Je comprends que les Juifs américains qui soutiennent la libération palestinienne sont confrontés à d’énormes problèmes. Créer des espaces au sein des communautés et des familles juives, extraire le judaïsme du sionisme, et découvrir son identité au sein du judaïsme sont des entreprises vitales. Cependant, il est important de se rappeler que ces luttes individuelles et collectives ne sont pas nécessairement le travail de libération de la Palestine. J’encourage les compagnons juifs concernés par la libération palestinienne à examiner quelle priorité doit être accordée à influencer des organisations juives qui soutiennent le sionisme. Les Palestiniens seront toujours à la périphérie de ce point. En revanche, organiser des campagnes BDS durables et entraînantes, qui créent un courant dominant en faveur des droits palestiniens, ensemble et solidaires, produira un dialogue significatif et efficace sur la façon de mettre fin aux crimes d’Israël et modélisera l’avenir que nous espérons créer.

En conclusion, le défi, pour les organisateurs pro-palestiniens aux États-Unis, est un défi de réflexion sur qui a le pouvoir dans notre mouvement. Cette réflexion requiert des organisations qu’elles réfléchissent sur qui est à la table, et qui en est absent. La première étape peut être d’établir les moyens pour les camarades blancs, chrétiens et juifs, de se rendre eux-mêmes comptables du privilège et du pouvoir qu’ils possèdent en dénonçant le racisme, l’islamophobie et l’oppression là où ils se produisent. Lorsque ces mécanismes sont en place, il faut encourager les Palestiniens à prendre leur place à la table.



Sandra Tamari est palestinienne-américaine, elle milite pour la campagne BDS au sein du Comité de solidarité St Louis-Palestine. Elle fait partie du Comité de Pilotage de la Campagne US pour mettre fin à l’occupation israélienne.

16 mai 2013 - Mondoweiss - Traduction Mireille Rumeau


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