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Une libération très calculée

lundi 9 avril 2007 - 09h:57

Adrian Hamilton - The Independent

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La grâce accordée par Téhéran aux quinze marins britanniques mercredi 4 avril est peut-être le signe que l’Iran cherche à s’engager dans une voie plus pragmatique et diplomatique dans ses relations avec l’Occident.

L’honneur est donc sauf, ou, du moins, le déshonneur a été évité. Les quinze marins britanniques ont été libérés sans que le gouvernement Blair ait dû reconnaître qu’ils se trouvaient dans les eaux territoriales iraniennes, comme le prétend Téhéran, ou présenter ses excuses. Mais l’Iran non plus n’a pas présenté d’excuses, ni pour la capture des quinze militaires ni pour son recours à des "confessions" télévisées. A tout le moins, il a su se montrer magnanime et a fait mentir les pronostics en mettant fin rapidement à ce qui aurait pu dégénérer en une crise interminable et potentiellement dangereuse.


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Marins britanniques à l’aéroport de Heathrow

La Grande-Bretagne assurera que sa tactique, qui a consisté à réclamer le soutien des Nations unies, de l’Union européenne et des Etats-Unis, a finalement poussé l’Iran à libérer les otages. L’Iran, lui, rétorquera que cette tactique n’a fait que retarder le dénouement d’un affrontement qu’il n’avait de toute façon jamais souhaité pousser trop loin.

Ayant gagné la guerre de la propagande et réussi à tordre la queue du lion avant de la rendre généreusement au fauve outragé, la plupart des Iraniens, ainsi que leur président, le radical Mahmoud Ahmadinejad, se sentiront satisfaits de ce bras de fer qu’ils estiment avoir gagné aux points.

En réalité, nous ne savons rien des subtilités des négociations qui ont abouti à cette libération soudaine. Nous ignorons si elle est liée à la libération, la veille, d’un diplomate iranien capturé à Bagdad, ou s’il y a eu, en dépit des démentis, quelque troc concernant les cinq Iraniens arrêtés par des soldats américains à Erbil [au Kurdistan irakien] en début d’année. Nous ne savons pas non plus ce qui s’est passé en coulisses à Téhéran. S’agissait-il d’un plan complexe visant à prendre des otages à des fins de marchandage ou un acte de pur opportunisme de la part des gardiens de la révolution ? Le guide suprême de la révolution, l’ayatollah Khamenei, avait-il donné son accord, et le dénouement est-il la preuve qu’Ahmadinejad a perdu la main en faveur d’Ali Larijani, le très pragmatique chef des services de sécurité, qui est aussi le principal négociateur sur la question nucléaire ?

Cette libération a en tout cas été clairement calculée pour veiller à ce que le président en retire le plus de crédit possible. Mais il est difficile de dire si le but était de lui permettre de sauver la face et de satisfaire les radicaux, ou s’il s’agit d’une tactique délibérée.

La question est importante, en termes de timing et d’intentions. Depuis cinq ans, Téhéran a fait l’objet d’un barrage croissant mêlant accusations et pressions de la part de Washington. Les Etats-Unis brandissent la menace à peine voilée d’actions militaires, d’étranglement des actifs financiers iraniens, et ne cessent d’affirmer que l’Iran soutient les insurgés irakiens, qu’il veut se doter d’armes nucléaires, qu’il orchestre une vaste révolte chiite dans tout le Moyen-Orient, qu’il est le principal bailleur de fonds des groupes terroristes au Liban et en Palestine. Ces pressions, ainsi que l’entêtement de Téhéran, ont abouti à un isolement progressif du pays sur la scène internationale.

Les choses sont en train de changer. Si le président George Bush a maintenu avec détermination le cap d’un affrontement avec l’Iran et d’une marginalisation de la Syrie, le Congrès à majorité démocrate a choisi une approche opposée. La visite à Damas de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, montre dans quelle mesure le Parti démocrate est prêt à bâtir une politique moyen-orientale différente de celle de la Maison-Blanche. L’Iran pourrait bien être le prochain objectif de son offensive diplomatique.

Dans la région, les efforts menés par les Américains pour constituer un axe sunnite contre l’Iran se sont en partie enlisés face à la volonté de l’Arabie Saoudite de tracer son propre chemin vers la paix, qui ne peut exister qu’avec la participation de l’Iran. En Irak, le gouvernement a fait les premiers pas pour impliquer Téhéran dans un accord de sécurité régional.

En revanche, peu importe que Londres se rapproche désormais de l’Iran ou durcisse sa position à l’issue de cette affaire. Si le régime de Téhéran, comme le laisse supposer sa décision de libérer les otages, choisit de s’engager sur une voie plus pragmatique et diplomatique, et si le reste du monde opte lui aussi pour un changement de cap, la crise des otages, aussi marginale qu’elle ait pu être, pourrait bien rester dans l’Histoire comme un moment fondateur.

Adrian Hamilton


Même le FT (Financial Times) qui fait patte de colombe

Dans les divers commentaires qui ont accompagné la restitution par les Iraniens des 15 Britanniques, notons celui du Financial Times qui nous est offert ce jour. Comme l’on connaît les tendances (très pro-US, ultra-libéral, anglo-saxonisant) et l’influence du quotidien, sa réaction nous paraît intéressante.

Elle l’est d’autant plus qu’elle ne prend pas de gants pour observer l’habileté des Iraniens autant que la maladresse des Anglo-Saxons (des Britanniques).

« Au départ, la tactique de la Grande-Bretagne n’était pas bien pensée. Il était particulièrement stupide de prétendre que la Royal Navy était du bon côté, du côté irakien, d’une frontière maritime qui n’existe pas formellement, au lieu d’insister sur le fait qu’elle opérait sous le couvert de résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies qu’elle était chargée de faire respecter.

« Par contraste, l’Iran se sentira beaucoup moins coincé qu’il y a deux semaines, à la veille du vote du Conseil de Sécurité de l’ONU étendant les sanctions à l’encontre de Téhéran, pour son refus de cesser l’enrichissement d’uranium. Un régime impopulaire s’est rallié la nation, rendue sensible par un siècle d’intervention anglo-américaine illicite dans les affaires de l’Iran. La manière musclée de Téhéran a impressionné arabes et musulmans qui tiennent leurs dirigeants pour des laquais corrompus de l’Occident. Et l’Iran a montré qu’il fera reculer l’accumulation provocatrice de forces anglo-américaines dans le Golfe. Il a réussi à mettre en lumière ce danger et à laisser entendre que la hausse du prix du pétrole causée par la crise n’est qu’un avant-goût de ce qui se produirait si l’Iran était attaqué. »

Surtout, elle est remarquable par le conseil sans ambiguïté qu’elle donne, qui va contre toute l’orientation de la politique anglo-saxonne depuis le 11 septembre 2001, - et qui revient à dire : avec des gens aussi sérieux (que les Iraniens), il vaut mieux parler sérieusement que de continuellement menacer d’attaquer.

« La meilleure leçon à tirer de cette affaire, c’est la rapidité avec laquelle elle a été résolue une fois que des représentants officiels dotés de pouvoirs officiels des deux côtés se sont parlé, directement. Les USA et ses alliés devrait affronter le nucléaire iranien et les ambitions régionales de l’Iran de la même manière. Si cela ne marche pas, rien ne sera perdu. »

dedefensa.org

Adrian Hamilton - The Independent, via Le Courrier international, le 5 avril 2007
Version anglaise : Iran has won this round on points. Is it a sign of a new pragmatism towards the West ?

dedefensa.org, Bloc-Notes du 6 avril 2007
Traduction des extraits du Financial Times : Michel Ghys

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