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L’Europe face à ses fantômes, Israël face à son ennemi déclaré

jeudi 5 avril 2007 - 07h:09

Philéas

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S’il veut gagner le leadership du monde arabe, Mahmoud Ahmadinejad sait qu’il aura besoin tôt ou tard du soutien des Européens pour y parvenir et plus particulièrement de ceux dont la culture rejette toute idée atlantiste.

Seul bémol : l’histoire européenne et sa culpabilité vis-à-vis d’Israël depuis que l’Holocauste a été commis en ses terres. Mahmoud Ahmadinejad en est persuadé, ce crime empêcherait certains dirigeants européens de franchir le Rubicon.

Lorsqu’il accueille sur son sol une conférence intitulée Visions globales sur l’Holocauste, poursuivant ici ce qu’il avait commencé l’année précédente avec sa conférence intitulée Le Monde sans le sionisme qui avait aussi déclenché une vive polémique, la stratégie de Mahmoud Ahmadinejad est plus subtile qu’elle n’y paraît.

Même si elle vise également à gagner du temps sur la mise en route de ses centrales nucléaires, à effrayer un peu plus les Occidentaux, à exciter l’Etat hébreu et à se moquer au passage, de la soi-disant puissante américaine, cette propagande, agissant comme une véritable vitrine médiatique, est avant tout dirigée à l’adresse des pays européens.

L’antisémitisme n’existe qu’en Occident et particulièrement en Europe où il a germé à la fin du 19e siècle. Lorsque le président iranien veut banaliser l’Holocauste en le montrant sous la forme d’un épisode banal de l’histoire chaotique du XXe siècle, il construit une véritable stratégie de communication dont le but final est la remise en cause de la légitimité d’Israël.

Cette stratégie vise avant tout des oreilles européennes habituées aux discours culpabilisateurs des historiens sur ce passé récent et tout particulièrement sur la solution finale décrétée par Hitler et appliquée avec beaucoup de zèle par les dirigeants de nombreux pays européens de l’époque avec la complicité passive du Vatican.

Mahmoud Ahmadinejad a perçu ce fil invisible et ténu qui empêche tout dirigeant européen de se prononcer contre Israël parce qu’une posture antisioniste, pour des raisons tenant à l’histoire même de ce continent, impliquerait assurément d’être taxé d’antisémitisme.

Recevant en mai 2006 trois journalistes du magazine allemand Der Spiegel dont son rédacteur en chef, le président iranien s’étonnait en ces phrases : "Nous comprenons la logique des Américains. Ils ont été profondément choqués par la victoire de la révolution islamique. Par contre, nous nous étonnons que certains pays européens soient contre nous... Si, par contre, les Européens se mettent du côté de l’Iran, ils agiront à la fois dans leur intérêt et dans le nôtre. S’ils s’opposent à nous, ils se feront du tort à eux-mêmes. Car notre peuple est fort et déterminé. Les Européens risquent de perdre tout rôle au Moyen-Orient et leur réputation dans d’autres régions du monde, où l’on pensera qu’ils ne sont pas capables de résoudre les crises."

En cas d’un conflit majeur avec les Américains et les Israéliens, le président iranien connaît l’immense profit qu’il tirerait d’une Europe assoupie.

Comme lors du déclenchement de la seconde guerre en Irak, une stratégie de guerre ouverte avec l’Iran pourrait conduire les Américains à essuyer un nouveau veto des pays alliés par le truchement des Nations unies. De plus, une guerre ne serait possible qu’avec l’aide stratégique militaire (en hommes et en matériel) européenne et plus particulièrement française.

Ceci arrive à un moment délicat où l’Europe, à travers son opinion publique, est mûre pour changer son discours politique vis-à-vis du Proche-Orient et affirmer sa fermeté vis-à-vis d’Israël. Les récents évènements au Liban et plus généralement la politique catastrophique de l’Etat hébreu dans la gestion du conflit palestinien (depuis le massacre de Sabra et Chatila) n’aura été qu’un accélérateur de ce processus. La seule réticence qui s’oppose à une prise de position pro-arabe généralisée sur le continent est la frilosité des dirigeants des partis traditionnels et démocratiques européens, qu’ils soient aux commandes ou dans l’opposition, à franchir le pas en dénonçant le peuple sioniste, au risque d’une réalité historique intérieure encore douloureuse.

Combien de temps encore Israël pourra-t-il compter sur ce soutien de nature si particulière, lorsque tous les survivants de cette tragédie auront disparu ?

Le sentiment des Arabes vis-à-vis des Israéliens n’est pas un sentiment de nature antisémite, qui reste une attitude très marginale : c’est en traversant la Méditerranée qu’il le devient. Les Arabes sont dans leur grande majorité des antisionistes convaincus et perçoivent les Israéliens comme des envahisseurs colonialistes qui se sont approprié les terres palestiniennes grâce à la bénédiction des alliés européens, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui se seraient dédouanés de leur massacre en leur laissant acquérir ce territoire, les dédommageant ainsi du génocide perpétré par le IIIe Reich. "Si l’Holocauste a eu lieu, poursuit Mahmoud Ahmadinejad dans son interview avec le magazine allemand, les Européens doivent en assumer les conséquences, et le prix ne doit pas être payé par les Palestiniens. Mais, s’il n’a pas eu lieu, les Juifs doivent retourner d’où ils viennent.. "L’Holocauste a-t-il réellement eu lieu ? Votre réponse est affirmative. Alors la seconde question est : à qui la faute ? La réponse doit être trouvée en Europe et non en Palestine. C’est parfaitement clair : l’Holocauste a eu lieu en Europe, on doit donc en trouver la réponse en Europe. D’un autre côté, ajoute Ahmadinejad, si l’Holocauste n’a pas eu lieu, d’où vient ce régime d’occupation ?" Puis il conclut : "L’Holocauste et l’occupation de la Palestine sont directement liés."

Du coup, le Premier ministre israélien Ehoud Olmert se voit contraint d’occuper la scène diplomatique européenne en passant par une visite hautement symbolique.... en Allemagne et jouer sur les fausses ambiguïtés lorsqu’il répond à mots couverts au journaliste de la chaîne allemande SAT 1 qui lui demande si son pays possède l’arme atomique (ce qu’Israël n’a jamais affirmé diplomatiquement jusqu’alors). "Le maximum que nous ayons essayé d’obtenir pour nous-mêmes est la capacité de vivre sans terreur. Mais nous n’avons jamais menacé un seul pays d’anéantissement".

Ceci expliquerait aussi pourquoi Israël, d’habitude si prompt à la polémique, ne veut pas se positionner dans le débat politique français, en relevant les bourdes de la principale candidate à l’investiture et ménage un pays qui est à l’origine de sa puissance nucléaire et qui s’avèrerait être un allié incontournable lors d’un éventuel conflit où pour la première fois depuis sa création en 1947, l’Etat hébreu risquerait de tout perdre.

Philéas est diplômé de l’ECCIP-ISG et détient une licence d’anglais de l’Université Paris X Nanterre. Publié sur AgoraVox le 4 avril 2007.


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