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Liban : Michel Aoun, interview

mercredi 4 avril 2007 - 07h:03

Scarlett Haddad - L’Orient Le Jour

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Le chef du Bloc de la réforme et du changement tire la sonnette d’alarme. Aoun : "On ne peut pas rééditer l’expérience des deux gouvernements. Si la majorité s’obstine à bafouer la Constitution, le pays va à la catastrophe"

« Je laisse la présidence derrière moi pour pouvoir travailler efficacement. » C’est par ces mots que le général Michel Aoun entame l’entretien, comme pour devancer toutes les questions portant sur ce thème.

Et c’est en homme détaché de toute considération personnelle, uniquement concentré sur l’avenir de son pays, qu’il souhaite parler, avec en guise de musique de fond des chants d’opéra évoquant la liberté, le rêve des prisonniers et l’amour de la terre natale. Le général a ce jour-là l’âme méditative, tout en étant révolté par le niveau de plus en plus bas des échanges entre les membres de la classe politique, qu’il qualifie désormais de « chefs de clan ayant constamment besoin d’un cheikh médiateur pour les réconcilier ». Mais il est aussi soucieux de l’avenir de la population, notamment celui des chrétiens, poussés selon lui à l’émigration par la politique du gouvernement.
Entre le dimanche des Rameaux et le début de la semaine sainte, un entretien-vérité avec le général Aoun, qui souhaite avant tout tirer la sonnette d’alarme, tout en rappelant à ceux qui ont des doutes sur ses motivations qu’il croit à la justice, non à la vengeance.



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Michel Aoun

Comment évaluez-vous les résultats du sommet arabe ?

À ce stade, on ne peut pas encore faire d’évaluation. Il faut attendre quelque temps et suivre les contacts entrepris par les ambassadeurs arabes. Nous verrons alors comment ils voient les choses. Mais, à mon avis, la solution doit avant tout consister à respecter les textes constitutionnels et l’esprit consensuel consacré dans la Constitution. Sinon, nous nous trouverons face à une situation grave, car on ne peut construire l’État hors des institutions constitutionnelles. Si dans le passé le Liban a perdu son indépendance, c’est bien parce que les solutions étaient alors venues en dehors des textes constitutionnels et consensuels. Aujourd’hui, nous sommes de nouveau en train de déchirer les textes et de vivre comme des tribus. La classe politique s’est transformée en chefs de clan qui ont toujours besoin d’un cheikh médiateur...

Vous ironisez tout le temps comme s’il n’y avait rien de sérieux à dire...

Je fais de l’ironie car la parole sérieuse ne trouve plus d’écho au sein de la classe politique. Le mensonge et la diffamation sont devenus les règles suivies par ses membres et dans sa régression permanente, elle entraîne l’ensemble de la société.

Vous dites cela parce que selon certaines estimations, votre popularité aurait baissé ?

Ces affirmations ne sont fondées sur aucune donnée réelle. Mais je parle de la classe politique transformée en réseaux et qui se comporte comme des agents de ces mêmes réseaux.

Vous multipliez les critiques, mais ne pensez-vous pas qu’en définitive, vous serez amené à conclure un compromis avec ces réseaux ?

En ce qui me concerne, tant qu’ils continuent à violer la Constitution, qu’ils falsifient la majorité et neutralisent les institutions dont le Conseil constitutionnel, en prétendant être les responsables légitimes du pays, un compromis est impossible. Le paysage international ne vaut d’ailleurs guère mieux. Tout en sachant parfaitement que le gouvernement viole la Constitution, les instances internationales continuent de l’appuyer. Cette attitude est à la limite de l’irresponsabilité. Le Liban vit depuis deux ans en attendant le rapport trimestriel du président de la commission d’enquête, avec, en toile de fond, la polémique sur la formation du tribunal à caractère international. Le gouvernement ne se soucie que de cette question et oublie l’existence de cellules islamiques qui se développent de façon dangereuse. Il ne prend donc aucune mesure préventive à ce sujet, concentrant ses critiques sur le sit-in de l’opposition au centre-ville. Il n’a pas encore compris qu’une tente au centre-ville ne fait pas fuir les touristes. Ce sont les dettes, la corruption, les taux d’intérêt horrifiques qui font fuir les gens. Le Premier ministre a transformé les Libanais en une société de rentiers improductifs, qui passent leur temps à jouer au trictrac. Quant aux autres, ceux qui n’ont pas de rentes, ils n’ont d’autre choix que l’émigration. Siniora a ainsi trouvé la solution au chômage...

Dans ces conditions, quelle est la solution possible ?

Il faut que cette équipe comprenne qu’elle ne peut gouverner en dehors du consensus. Si nous ne parvenons pas à former un gouvernement d’union nationale, il y a toujours un ultime recours, car en démocratie, il n’y a pas d’impasse. Il faudra organiser des élections législatives anticipées.

Justement, au cours des dernières négociations, on a l’impression que l’idée des élections législatives anticipées a été abandonnée. Or c’était votre principale revendication.

Elle n’a pas du tout été abandonnée. Au sein de l’opposition, nous nous étions mis d’accord sur le fait de donner la priorité à la formation d’un gouvernement d’union nationale. Ce gouvernement aura pour projet de procéder à des élections anticipées. Cela reste à mon avis la seule solution avant l’expiration du mandat du président, car une vacance au pouvoir entraînera la désintégration du pays. Je ne crois pas que l’on puisse rééditer l’expérience des deux gouvernements comme ce fut le cas à la fin du mandat du président Gemayel. Ce dernier avait formé un gouvernement à minuit moins le quart. Mais aujourd’hui, la conjoncture est différente. Je pense qu’en cas de vacance au pouvoir, la situation échappera à tout contrôle.

Et si le président Lahoud vous charge de former un gouvernement avant de quitter Baabda ?

Je ne suis pas Sisyphe et je ne rééditerai pas l’expérience de 1988. Je n’accepterai plus qu’on me jette une nouvelle fois la boule de feu. N’en déduisez surtout pas que je prêche la guerre. Au contraire, c’est un projet d’avenir et de paix que je propose. Mais d’autres ne s’inscrivent pas dans cette optique. Ils sont instrumentalisés par la communauté internationale pour aboutir à la désintégration du pays et pour faire du Liban un second Irak. Et plus certains insistent pour dénoncer cette situation et plus j’ai le sentiment qu’ils veulent accélérer le processus, surtout avec les milices qui se développent un peu partout, dans le giron du gouvernement. Un gouvernement responsable ne peut pas fermer les yeux sur ce phénomène. Il est donc le complice de ceux qui l’instrumentalisent. Rappelez-vous comment en 1990, une coalition de 38 pays s’était formée pour libérer l’Irak, alors que nul n’évoquait l’occupation du Liban. C’était alors la politique des deux poids, deux mesures et malheureusement, elle se poursuit toujours à l’égard du Liban.

Qu’êtes-vous en train de faire pour arrêter le processus ?

Le dénoncer encore et encore. Je ne peux pas être complice de la désintégration de mon pays. Quand j’ai quitté le Liban en 1991, certains m’attaquaient. Ils continuent de le faire aujourd’hui. Quinze ans de tutelle syrienne ne leur ont rien appris et ils cherchent maintenant de nouvelles tutelles qui sont encore plus contraignantes que la précédente. Nous autres, nous avons toujours le même rêve d’indépendance, mais ce sont les autres qui le bafouent chaque jour.

Justement, on avait l’impression qu’au cours des dernières négociations entre Berry et Hariri, les chrétiens n’avaient pas leur mot à dire...

En ce qui nous concerne, au sein de l’opposition, nous sommes en concertation permanente. Nous n’avons pas besoin de discuter ouvertement devant la presse pour que chacun puisse exhiber son rôle. Nous ne sommes pas du tout dans une logique de surenchère. Mais je peux vous assurer que nous avions ensemble mis au point notre plan de négociations et il est arrivé que des émissaires viennent chez moi à minuit pour solliciter des réponses sur certains points en suspens. Les rencontres nocturnes se sont d’ailleurs multipliées car les téléphones sont sur écoute et nous préférions être discrets. C’est d’ailleurs la première fois que des musulmans ont négocié au nom de chrétiens avec l’accord et la participation totale de ceux-ci.

Vous êtes sûr de vos alliés ?

Totalement. D’ailleurs, c’est moi qui pèse le plus pour l’adoption d’une nouvelle loi électorale et c’est le président de la Chambre Nabih Berry qui a envoyé Ghassan Tuéni dans ce but auprès du patriarche Sfeir. Mes alliés ont aussi accepté toutes mes revendications : l’adoption du caza en guise de circonscription électorale et le vote des émigrés qui permet aux chrétiens de reprendre leur rôle. Qu’on cesse donc de faire des surenchères politiques.

Pourquoi êtes-vous aussi agressif avec vos adversaires ?

Je ne suis pas agressif gratuitement, mais lorsqu’on me critique sans proposer de solutions, je ne peux pas me taire. Moi j’ai proposé la solution telle que je la voyais, je l’ai même écrite dans un document. Mais au lieu de l’étudier, on a cherché à le détruire, l’accusant de tous les maux. Comme si le sort du pays était un jeu, qu’on prend à la légère. Et vous voulez que je ne réponde pas à ma manière ? Au lieu d’examiner le document, on m’a accusé d’être prosyrien et pro-iranien. On découvrira sans doute mes relations avec ces deux pays lorsque les alliés découvriront les armes de destruction massive en Irak. Je précise toutefois que je tiens à l’amitié de ces deux peuples. Mais je ne suis pas l’homme de la Syrie ni celui de l’Iran et je ne fais pas leur politique.

Croyez-vous à l’éclatement d’affrontements entre les parties libanaises ?

Si la situation actuelle se prolonge, c’est possible. Je ne veux pas effrayer les gens ni dresser un tableau noir, mais il faut tirer la sonnette d’alarme pour que les gens soient conscients de ce qui se passe et évitent de faire des erreurs. Je le dis surtout à la majorité : si elle s’obstine à bafouer la Constitution et l’esprit consensuel, le pays se dirigera vers la catastrophe. Il faut que la population sache cela, alors qu’on essaye de lui mettre en tête que c’est l’opposition qui est responsable de la crise. Ce n’est pas le sit-in qui a provoqué les dettes, mais les dix-sept années de corruption. Il faut que cela change.

Pour vous, toute la classe politique est corrompue et doit être changée ?

Pas du tout. Les hommes politiques ne sont pas tous les mêmes. Ce qui compte c’est qu’ils soient capables de procéder à une autocritique. Mais ceux que je critique sont ceux qui se cachent derrière les institutions constitutionnelles et la légalité internationale pour éviter de tenir compte de la volonté du peuple.

Qu’avez-vous dit au secrétaire général des Nations unies au cours de votre entretien ?

Je lui ai parlé en ma qualité de chef du Bloc de la réforme et du changement. J’ai exposé notre point de vue sur la crise actuelle, sur le gouvernement et la question du tribunal à caractère international. J’ai aussi attiré son attention sur la nécessité de ne pas remettre en cause l’équilibre interne, car cela signifierait remettre en cause le Liban. Il y a des règles et des équilibres qu’il faut absolument respecter au Liban.

Comment voyez-vous l’étape future ?

Je vois une impasse imposée. L’issue est pourtant simple surtout que dans le système démocratique, comme je l’ai dit, il y a toujours des solutions. Si la majorité les rejette, c’est qu’elle planifie la désintégration du pays. Mais nous ne la laisserons pas faire.

Au cinquième mois du sit-in de l’opposition, ne vous sentez-vous pas pris au piège d’une démarche désormais sans issue ?

Pourquoi ? Le sit-in est un mouvement de protestation contre le gouvernement. S’il a duré, c’est que le gouvernement est insensible aux revendications de son peuple et qu’il ne souhaite pas résoudre les problèmes. Mais nous n’empêchons personne d’aller au centre-ville. En tout cas, nous ne sommes pas prisonniers de notre démarche. Au contraire, c’est volontairement que nous poursuivons le sit-in, d’autant que Siniora nous avait lancé un défi : “Qu’ils restent autant qu’ils veulent”, avait-il dit. C’est ce que nous faisons.

Que se passera-t-il mardi si la majorité se réunit et adopte le projet de tribunal à caractère international ?

Ce serait l’équivalent d’un coup d’État. Ou plutôt ce serait le couronnement du coup d’État entamé depuis la démission des ministres chiites. J’ai d’ailleurs conseillé aux députés de la majorité de faire un sit-in devant le Parlement comme nous le faisons à la place Riad el-Solh. De toute façon, quoi qu’ils fassent, ils resteront toujours illégitimes et leurs actes ne seront jamais reconnus en dépit de l’appui de la communauté internationale. La légitimité est l’expression de la souveraineté du peuple et d’elle seule. Dommage que les députés de la majorité ignorent les principes élémentaires de la souveraineté.



Propos recueillis par Scarlett HADDAD

Michel Aoun - L’Orient Le Jour, via taayar.org, le 2 avril 2007

Du même auteur :
- Liban : pourquoi des élections anticipées


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