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Israël aux premières lignes de la guerre globale

dimanche 23 juillet 2006 - 10h:31

Michel Warschawski

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Ce qui a commencé il y a une semaine comme une opération punitive en riposte à l’attaque d’un transporteur de troupes israélien par un commando du Hizballah risque de dégénérer en une conflit régional dont nul ne peut prédire ni les conséquences, ni le résultat final.

Il est difficile de savoir si une éventuelle régionalisation du conflit sera le résultat d’un plan prémédité, l’opération du Hizballah n’ayant servi que de prétexte, ou, au contraire, la conséquence d’une dynamique de guerre qui échappe au contrôle des dirigeants israéliens. La puissance du lobby anti-iranien, dans la classe politique israélienne, laisse penser que dès le début de l’offensive israélienne, Téhéran était l’objectif, le Hizballah ne servant que de détonateur. Mené par le député travailliste Efraim Sneh qui, comme Caton, n’a cessé de clamer au cours de la décennie passée que la puissance iranienne doit être détruite, ce lobby a des relais puissants dans la classe politique et l’establishment sécuritaire. Il a, en outre, le soutien d’une partie importante des néo-conservateurs américains, pour qui la croisade contre l’axe du mal, passe nécessairement par Téhéran.

Pourtant, en écoutant les dirigeants israéliens, leurs porte-parole et leurs « experts » on a plus un sentiment d’amateurisme et d’imprévoyance criminelle que d’une stratégie soigneusement préparée et dont on aurait pesé tous les risques. Leurs déclarations et leurs analyses tournent autour de concepts qui participent plus de la pédagogie impériale (« On va leur apprendre »), et de la philosophie de la voirie (« nettoyer », « balayer » « effacer ») que de la définition d’objectifs politiques. A part quelques articles sérieux publiés dans les grands quotidiens, et qui mettent à la fois contre une guerre qui va se prolonger et contre le prix qu’Israel risque de payer pour une régionalisation de la confrontation armée, en particulier les implications d’une attaque contre l’Iran avec sa capacité de nuisance en Iraq, on n’entend que des menaces et des fanfaronnades. Les contre-vérités, imbibées de nationalisme, voire de racisme (« Nasrallah tétanise, par la peur, et terre dans son bunker », répetent en boucle les médias) tiennent lieu n’analyse, non seulement dans l’opinion publique et les programmes populaires des médias électroniques, mais chez les dirigeants politiques dont l’ignorance crasse du monde arabe ou des réalités politiques iraniennes crève les yeux.

L’arrogance coloniale engendre toujours l’ignorance, et l’immense supériorite militaire d’Israël tient lieu pour ses dirigeants, généraux et autres experts des réalités d’analyse des réalites concrètes. Et c’est bien là la raison pour laquelle on peut dire avec certitude que ces derniers vont être une fois de plus surpris, surpris par les développements à venir, surpris aussi par l’issue de cette confrontation.

Cette arrogance et cet aveuglement sont évidemment renforcés par le soutien international très large dont jouit Israël dans sa guerre et qui est à ce point inhabituel que les dirigeants (et journaux) israéliens ne cessent d’y faire allusion : « pour une fois, le monde entier est avec nous ! ». Les Etats-Unis évidemment, heureux de voir Israel ouvrir un nouveau front dans leur guerre globale, permanente et préventive, sans qu’ils n’aient besoin d’envoyer des divisions de Marines ; mais aussi l’Europe qui insiste sur le droit d’Israël de riposter a l’attaque des Hezbollah, et n’est pas mécontente de voir l’Etat juif tenter d’imposer le désarmement de l’organisation de résistance libanaise, voire de servir de levier à un accord global pouvant mener au désarmement nucléaire de l’Iran. Mais en caressant le militarisme israélien dans le sens du poil, la communauté européenne risque bien de jouer l’apprenti-sorcier et de perdre complètement le contrôle de la situation.

On a tendance à comparer l’agression israélienne actuelle à la guerre du Liban de 1982-1985. Cette comparaison n’est pas de mise. En 1982, le gouvernement israélien décidait de mener SA guerre au Liban, pour des objectifs concernant presque exclusivement l’Etat juif et ses alliés libanais : expulsion de la résistance palestinienne et mise en place de la droite maronite au pouvoir. Même si Washington avait, à l’époque, donné le feu vert à Ariel Sharon, c’était un soutien conditionnel et limité. Rapidement d’ailleurs, l’administration américaine se joignait aux Etats européens dans leur tentative de freiner puis de mettre fin à l’agression israélienne. C’est cette pression de la communauté internationale, potentielle d’abord puis réelle, qui a été un des facteurs qui ont permis l’émergeance d’un mouvement anti-guerre de masse en Israël, l’autre facteur étant le prix de plus en plus lourd que cette guerre imposait à la société israélienne, particulièrement en nombre de victimes.

Aujourd’hui la guerre israélienne s’inscrit dans la guerre globale, permanente et préventive planifiée par les néo-conservateurs et initiée par la Maison Blanche après le 11 Septembre, avec le soutien de plus en plus généralisée de l’Union europeenne. Une guerre de classe au niveau planétaire, pour la recolonisation du monde et l’imposition d’un nouveau système impérial au service du néo-libéralisme. Le risque de tensions entre le militarisme israélien et ce qu’on appele la communauté internationale est donc quasiment nul, meme si cette dernière peut être appelée à un certain moment à modérer les visées guerrières de Tel Aviv.

Cette nouvelle réalite explique pourquoi les forces principales de ce qu’on a appelé « le mouvement de la paix israélien » est totalement absent dans cette guerre, comme il l’a été tout au long de la guerre de reconquête d’Ariel Sharon dans les territoires occupés ces cinq dernières années. Ce qui motivait l’aile modérée du mouvement de la paix - représente essentiellement par la Paix Maintenant - était avant tout le danger de cassure avec la communauté internationale, en particulier les Etats-Unis, et d’isolement international. Aujourd’hui au contraire, ces forces sionistes de gauche s’identifient pleinement à l’idéologie dominante en Israël selon laquelle l’Etat juif se bat pour défendre non seulement sa propre souveraineté mais toute la « civilisation démocratique » menacée par le terrorisme international, plus ou moins identifié à l’Islam.

Quant aux forces politiques israéliennes qui rejettent cette idéologie mensongère et cette stratégie de guerre permanente et préventive, et se battent avec détermination à la fois contre l’occupation des territoires palestiniens et contre la guerre au Liban, elles sont d’autant plus minoritaires qu’elles ont perdu une de leurs armes traditionellement les plus efficaces : le prix humain a payer par le peuple israelien pour la politique de guerre et d’occupation. En effet, si par le passé il était relativement facile de dénoncer une politique à cause de ses coûts, humains et matériels, et de trouver une oreille attentive à cet argument au sein d’une partie importante de la population, la situation est aujourd’hui tout à fait différente. La guerre - et ses coûts - ne sont plus perçus comme un choix politique, dont la pertinence est la résultante de l’équation profits/coûts, mais comme une nécessité d’auto-défense face à un danger d’éradication, auquel cas le prix humain est partie intégrale de cette lutte de survie.

C’est bien pourquoi les pertes humaines et les destructions, du côté israélien, ne sont pas perçues comme un échec de la politique gouvernementale, mais... la confirmation de sa justesse. En ce sens, la tâche du mouvement antiguerre israélien est plus difficile mais aussi plus importante que jamais. La manifestation unitaire prévue samedi prochain à Tel Aviv témoignera de notre capacité si ce n’est à changer le cours de la politique de l’état-major et du gouvernement israéliens, du moins d’ancrer dans le paysage politique israélien un discours dissident, une rupture avec l’union sacrée et un pôle minoritaire mais non marginal capable de dire d’une voix claire et forte :

Non à la guerre globale et au choc des civilisations,
non à la guerre et à l’occupation,
oui à la solidarité entre les peuples
.

Activiste et écrivain israélien. Coprésident du Centre d’information alternative (AIC) israélo-palestinien de Jérusalem. En 1982, il a été l’un des fondateurs de « Yesh Gvul », mouvement d’officiers de réserve et de soldats contre la guerre au Liban et l’Occupation israélienne. Il a publié Le Défi Bi-national, Textuel, 2000 ; Sur la Frontière, Stock, 2002 ; À Tombeau Ouvert, La Fabrique, 2003 ; À Contre Ch ?ur (en collaboration avec Michèle Sibony), Textuel, 2003.

Jérusalem, 19.7.06 - reçu le 21 juillet par le réseau CCIPPP


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