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Olmert et l’initiative arabe de paix au Proche-Orient

vendredi 30 mars 2007 - 23h:10

Azmi Bishara - Al-Ahram Weekly

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"Israël est en train d’exiger l’absurde mais l’illusion qu’il veut créer se dissipera quand les Etats arabes comprendront que le jeu politique d’alliance qu’on leur propose n’est pas dans leur intérêt", écrit Azmi Bishara.

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Sommet des chefs d’état arabes, Riyad, le 27 mars 2007 - Photo : AFP/Awad Awad

Quelques [dirigeants] arabes ont accueilli favorablement les déclarations d’Ehoud Olmert disant que si l’initiative arabe de paix était légèrement modifiée, elle pourrait servir de base de négociations. Plus précisemment, Olmert considère la référence faite à la résolution 194 de l’Assemblée Générale de l’ONU par l’initiative arabe de paix comme un défaut qu’il faut corriger et une ligne rouge qu’aucun gouvernement israélien ne pourrait probablement dépasser. Ce qui est recherché derrière ces déclarations n’est un secret pour personne. En effet, Olmert lui-même ne prend aucun soin pour le cacher.

En premier lieu, Olmert dit qu’Israël ne peut pas ignorer les développements positifs qui se sont produits dans les Etats arabes modérés, et pour prendre cela en compte, Israël a soudainement et non sans surprise, jeté un coup d’oeil sur l’initiative arabe de paix qu’il avait ignoré pendant cinq années pleines.

Ce qui est positif dans l’évolution des Etats arabes modérés, selon Israël, est d’abord leur prise de position dans la guerre menée par Israël contre le Liban et ensuite leur contribution à forcer le Hamas à accepter les conditions israélo-américaines. Ces efforts, toujours en vigueur, se font faits à différents niveaux de confidentialité et il semble que beaucoup d’officiels arabes ont confié aux israéliens ce qu’ils avaient sur le c ?ur. D’une part, l’influence des néo-conservateurs aux Etats-Unis a commencé à disparaître dans ce tourbillon noir du néant où réside maintenant Sharon dans le coma, ce qui a permis aux gouvernements arabes modérés de commencer à récupérer plus de liberté de manoeuvre dans la région. D’autre part, à la suite de l’échec de l’invasion israélienne du Liban, ces Etats ont acquis une plus grande marge de man ?uvre découvrant du coup que leurs propres attitudes ont changé face à l’influence grandissante de leurs propres conservateurs pour qui l’amour de la démocratie locale ou importée n’a d’égal que leur répugnance pour l’argent et le pouvoir.

Les Etats arabes modérés respirent beaucoup mieux maintenant. Les belles années arrivent. Sont maintenant parties, toutes ces longues années maigres de 2001 à 2006, où la seule ligne de conduite de ces Etats était d’éviter la colère délirante des Etats-Unis déclenchée par le 11 septembre. Il s’agissait pendant ces années de marcher jusqu’au mur, d’embrasser la main qui vous nourrit (même si on prie de la voir se briser) et comme le dit le proverbe arabe, de « garder le mal à distance et de lui chanter une chanson. » Et quelle misérable vue avaient ces Etats quand ils pleuraient en répétant le refrain plaintif, « mes yeux rient, mais mon coeur pleure, » à chaque visite d’un fonctionnaire américain, comme des amoureux au c ?ur brisé, déconcertés par les sautes l’humeur inexplicables du président de l’Empire et stupéfiés par les conseils malveillants de ses conseillers qui donneraient leurs âmes à son vice-président tellement magnanime.

Il est difficile de dire si les Arabes ont récupéré une marge de manoeuvre parce que l’Amérique s’est embourbée de façon spectaculaire en Irak et parce qu’ils ont réalisé ce que c’était une folie de tenir compte des ordres de Washington alors que l’armée israélienne commençait à se casser franchement la figure au Liban, ou parce que, pendant la guerre du Liban notamment, ils ont compris qu’ils étaient autant hostiles aux « extrémistes » dans la région que les néo-conservateurs américains mais qu’ils étaient certainement plus réalistes et non portés sur les rêves d’exporter la démocratie et d’autres facettes du romantisme idéologique des néo-conservateurs en ce qui concerne Israël et son rôle régional. Tous les faits le prouvent, les Etats-Unis relâchent la laisse et l’Israël d’Olmert est en train de prendre les soi-disants Etats arabes modérés plus sérieusement que cela n’a été fait sous Sharon.

Retournons donc à Olmert. Pourquoi met-il en avant notamment la résolution 194 bien que l’initiative arabe de paix ne mentionne (malheureusement) pas explicitement le droit au retour des Palestiniens mais se limite plutôt à la formule « d’une paix juste selon » cette résolution ? Pourquoi, aussi, ne nous rappelle-t-il pas qu’il refuse de se retirer des territoires occupés en 1967 y compris Jérusalem ? C’est pourtant cela qu’il avait déclaré clairement à plusieurs occasions, allant jusqu’à accuser Ehoud Barak d’abandonner Jérusalem au cours des négociations de camp David II alors que Barak n’avait rien fait de la sorte.

Premièrement, Olmert aime « saucissonner » ses objections pour qu’il puisse extorquer plus de concessions aux Arabes d’une manière progressive. Deuxièmement, il n’a pas voulu évoquer le sujet du retrait des territoires occupés pour ne pas saper les efforts « de l’axe arabe modéré » avant le sommet de Riyad, d’autant plus qu’il sait que l’Arabie Saoudite ne bougera pas un doigt sur la question des frontières et de Jérusalem en particulier. Alors pour ne pas gêner les « modérés », il a limité ses remarques à la résolution 194, parce qu’il rejette par principe le droit des Palestiniens au retour. Mais, supposons par hypothèse que les Arabes jouent le jeu d’Olmert et abandonnent tacitement le droit de retour des Palestiniens, Israël accepterait-il pour autant l’initiative arabe de paix ? Certainement pas. Et nous avons intérêt à ne pas nous faire d’illusions pour croire cela possible. Cela ne servirait que de base de négociations, ce qui veut dire qu’Israël accepterait d’abord le principe de retrait des territoires, puis il marchanderait la profondeur et le phasage de ce retrait et enfin les frontières finales. En un mot, Israël n’accepterait rien de l’initiative de paix arabe.

En acceptant de considérer cette initiative, Israël espère la transformer en une machine d’extraction de compromis au détriment des Arabes, tout comme il avait transformé les accords d’Oslo avec l’Organisation de Libération de la Palestine en un processus prolongé pour mettre les Palestiniens au pied du mur. Alors que nous pouvons identifier dans le passé les ruptures défavorables aux Palestiniens et aux Arabes dans leurs relations avec Israël, il devient difficile maintenant de discerner même les coins et les recoins tant le processus d’extraction est devenu fluide et tortueux dans un environnement dominé par les jeux entre les « modérés » et les « extrémistes », dans le cadre d’une attente sans fin des élections israéliennes d’un côté et américaines de l’autre pour déclancher de nouveau l’envoi de séries de « missi dominici » dans la région, et de nouveau des élections palestiniennes se heurtant à un blocus suivi d’une autre période d’attente pour voir comment un peuple sous occupation peut faire face à un étranglement économique et si oui ou non il peut former un gouvernement d’unité nationale pour mettre fin à un blocus qui peut de nouveau entraîner une autre période d’attente.

En plus de la tentative de jeter de nouvelles bases pour un « processus de paix », après que la feuille de route ait été neutralisée par l’initiative arabe de paix (d’ailleurs, qu’est devenue la Feuille de route ? Quelqu’un a-t-il fait le compte du nombre d’années, de conférences et d’argent gaspillé en la matière ?), Israël est en train de passer la pommade au « camp modéré ». Avec la fin de l’ère des néo-conservateurs, il veut se présenter comme leur interlocuteur naturel au moins jusqu’à un autre sommet arabe. Après tout, il sait que maintenant il doit accepter ces régimes arabes exactement comme ils sont, tout comme les Etats-Unis semblent retourner à une improbable guerre froide dans laquelle les régimes sont classés par catégorie. « Ceux qui sont avec nous sont modérés, et ceux qui sont contre nous sont extrémistes. » Israël reconnaît également le changement manifeste et « positif » dans les attitudes de ces régimes envers lui. Simultanément cependant, il craint que la liberté nouvellement trouvée que ces régimes ont acquise, peut leur faire tourner la tête et les pousser à aller à l’essentiel qui les pousserait par exemple à décider de se coordonner avec les « extrémistes » pour résoudre leurs contradictions régionales.

L’accord de la Mecque entre le Hamas et le Fatah est un petite illustration de ces possibilités. Bien que cet accord n’ait pas résolu un problème régional, il a apporté quand même du sang neuf.

Bien que les dilemmes du Moyen-Orient ne soient probablement pas le produit direct de la stratégie de créer des blocs régionaux, cette stratégie a certainement aidé à rendre ces dilemmes encore plus insurmontables. Prenons le cas de l’Irak, par exemple. L’Amérique a mis le feu en Irak, mais ce feu a été attisé par suite par les diverses interventions de ces blocs en opposition. L’Irak est devenu le lieu de confrontation des puissances régionales au lieu d’être une arène de coopération régionale dans laquelle les gouvernements pourraient travailler ensemble pour maîtriser l’enfer au lieu de l’alimenter. Naturellement, les Etats-Unis devraient se retirer d’abord de l’Irak et s’abstenir ensuite de mettre le feu à d’autres points sensibles de la région comme ils l’avait fait et perfectionné pendant la guerre froide.
Le Liban offre une illustration plus éclatante que l’Irak. Le problème du Liban pourrait se résoudre avec une plus grande facilité. Qui l’a rendu si complexe ? Voici un pays avec des milliers de personnes prêtes à payer de leurs vies pour forcer une puissance occupante étrangère à se retirer, si en effet la présence de cette puissance constitue bien une occupation étrangère. Pourquoi cela ne se fait-il pas ? Cela s’explique peut-être par le fait que certaines parties qui s’étaient alliées avec l’ancien gouvernement affirment maintenant et rétroactivement qu’elles étaient « sous occupation » et elles exigent la chute d’un gouvernement que l’Amérique soutient dans le cadre de sa politique « anti-extrémiste », raison pour laquelle l’Amérique ne tolère pas les parties en question.

Soit le gouvernement libanais précédent qui comptait certaines personnes qui le contestent aujourd’hui dans les capitales étrangères, n’était pas un occupant étranger qui méritait que l’on sacrifiat sa propre vie pour le chasser (...) soit le Liban est devenu le théâtre de rivalités régionales. La psychologie et la logique ne peuvent expliquer les réalignements des différentes parties comme par exemple le passage d’un alignement sur la Syrie, l’Iran et la Résistance à un alignement sur le camp opposé. Cela n’a rien à voir avec des personnes qui rejetteraient l’extrémisme pour devenir tout d’un coup modérées. Leur réalignement sur le camp opposé ne sert en fait que leurs propres intérêts. L’alliance précédente avec le régime qu’ils veulent aujourd’hui renverser, servait leurs intérêts à ce moment-là mais plus maintenant.

La satisfaction des intérêts étroits est l’essence du jeu actuel des alliances politiques et c’est la seule explication de la façon dont le problème libanais est devenu un bourbier dans un fatras de complications alors qu’il pourrait trouver facilement une solution. Supposez pour l’exemple, que la partie qui s’était opposée à la présence syrienne au Liban et qui, actuellement, s’oppose avec la Résistance à l’axe américain, puisse participer au gouvernement actuel. Cela ne pourrait se comprendre dans la mesure où elle veut s’assurer que le gouvernement ne se retournerait pas contre elle. Une solution serait aussitôt possible si et seulement si l’autre partie principale peut accepter de l’embarquer dans le même bâteau. La condition principale de leur succès est qu’elles puissent toutes les deux soustraire le Liban aux stratagèmes de la politique régionale des alliances et dont la forme la moins démocratique et la plus pernicieuse est la politique américaine qui ne cherche simplement qu’à utiliser le Liban comme tremplin pour atteindre l’Iran.

Le plus mauvais cauchemar actuel pour Israël est de voir les « modérés » se réveiller et comprendre que le jeu de la politique des alliances n’est dans leurs intérêts. Quand ces pays commenceront sérieusement à examiner ce jeu politique, à se demander s’ils sont eux-mêmes vraiment capables d’exiger le renversement d’un autre régime arabe ou de vouloir réellement que les choses commencent par là, ou quel prix ils devraient payer s’ils ne veulent pas cela ou s’ils veulent résister activement à ce jeu ou dans quelle direction, leurs actions seront les plus payantes à long terme, alors ils proposeront inévitablement des conclusions qui diffèrent radicalement de celles des maîtres de ce jeu. La même réflexion s’applique à la question d’une guerre contre l’Iran. Même le citoyen arabe moyen est capable de réaliser les conséquences désastreuses d’une telle guerre. En clair, la dernière chose qu’Israël souhaite est que les Arabes modérés puissent employer leur marge de man ?uvre pour commencer à réflechir par eux-mêmes.

En attendant tout cela, l’Amérique est dans une mauvaise passe. Elle est coincée entre la conflagration qu’elle a produite en Irak et relayée maintenant par d’autres et la nécessité d’une pause dans les autres petits conflits qui permettrait en retour de calmer les incendiaires en Irak. Les USA utilisent actuellement le même jeu qu’Israël dans ses relations avec les Arabes. Cela consiste à forcer l’Iran et la Syrie à modifier leur mauvaise image de marque créée par les médias américains en aidant l’Amérique à sortir du guépier irakien. « Aidez-nous et en échange, nous vous laisserons nous aider » semble être l’offre américaine magnanime, au mieux, « en échange, nous vous laisserons vous asseoir à la même table que nous à Bagdad. » Les USA s’imaginent que la Syrie et l’Iran sauteraient peut-être sur l’occasion parce qu’ils pourraient justifier cela comme une « victoire ». Cependant, les vraies victoires pour ces pays seront la fin du blocus que Washington impose à la Syrie, et la volonté de parler avec l’Iran ; ces deux attitudes ne s’obtiendront pas par les stratagèmes américains mais découleront de l’échec imposé aux Américains par la résistance au Liban, en Irak et en Palestine.

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Azmi Bishara

A l’épreuve de tous les événements, le jeu américain en vient très souvent maintenant à se contredire lui-même. Il fluctue d’une part entre les tentatives de démonstration de force comme la réunion à Baghdad avec « l’exposition de la Syrie et l’Iran » en présence des dirigeants irakiens et d’autre part la soumission à contre-c ?ur au réalisme illustré par le rapport Baker-Hamilton.

22 mars 2007 - Al Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2007/837...
Traduction de l’anglais : D. Hachilif

Du même auteur : Plutôt que l’apaisement


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