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Sans voix dans la Syrie de Bachir al-Assad

lundi 21 novembre 2011 - 07h:00

Michael Young

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Pour arriver au coeur du comportement actuel du régime syrien, nous pouvons nous référer utilement au poème de W.H. Auden « Août 1968 » qui évoque la répression soviétique du printemps de Prague.

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Enterrement des personnes tuées à Hula près de Homs, la journée du 2 novembre 2011 lors d’une manifestation anti-gouvernementale - Photo : Reuters

« L’ogre fait ce que peuvent les ogres/des actes absolument impossibles à l’homme/mais un prix lui échappe/l’orgre ne peut pas maîtriser la parole :/traversant la plaine subjuguée, parmi les désespérés et les victimes,/l’ogre marche avec les poings sur les hanches,/et de sa bouche jaillissent des foutaises ».

Ce fut effectivement un ogre syrien inarticulé qui accueillit la décision de la Ligue arabe -traditionnellement un assemblage généreux d’ogres - de suspendre la Syrie. Et les foutaises ont pris la forme de déclarations indignées de la part des ambassadeurs et des officiels syriens, mais il y eut en outre les attaques lancées par la foule contre les missions diplomatiques, rappelant comment le régime des Assad, père et fils, ont fréquemment visé des envoyés étrangers pour leur faire connaître leur mécontentement.

Si ce n’était que le président Bachir al-Assad, accompagné de sa famille et de ses proches camarades, pousse opiniâtrement la Syrie vers la guerre civile parce qu’il refuse de démissionner, nous pourrions tirer une joie mauvaise de l’incohérence de Damas

Pour une fois, la voyouterie explicite, l’indignation feinte pour masquer la tromperie éhontée, les mises en garde apocalyptiques, restent sans effet. Assad a trompé plusieurs fois de trop, et enfin, sa crédibilité s’est évaporée.

Et pourtant, nous avons tendance à oublier que pendant des décennies les Syriens faisaient ce qu’ils voulaient en employant précisément ces méthodes. Leur fureur vient de ce que leur cinéma, le seul cinéma que le régime syrien connaisse, ennuie le public. Pour attirer l’attention arabe, Assad doit intensifier encore la violence contre sa propre population. Il espère provoquer une conflagration sectaire tous azimuts qui polarise l’opinion, créant ainsi un ennemi redoutable, pour peut-être de cette manière recouvrer une bonne partie du soutien dont bénéficiait son régime. Et pourtant, c’est précisément un conflit sectaire que les États arabes souhaitent éviter, et Assad doit s’en rendre compte - songeant au récent exemple de Mouammar Kadhafi - qu’une guerre civile peut partir dans les deux sens pour un autocrate qui s’accroche au pouvoir.

Là où Assad a raison, c’est quand il se rend compte que le plan proposé par la Ligue arabe est un moyen détourné de se débarrasser de lui. La libération de dizaines de milliers de prisonniers et le retrait de l’armée et des forces de sécurité des villes syriennes rendraient superflu tout dialogue avec l’opposition, autre facette du plan arabe. Une fois que la rue sera dans les mains des manifestants, il n’y aura plus aucun dialogue que ce soit, seulement un élan irrépressible pour abattre le pouvoir Assad.

Ali Farzat

Voici les sévères options qui restent au leadership syrien : écraser l’intifada ou être écrasé. Dès le premier jour, les Assad ont répondu à l’agitation déferlante par des fusillades et des concessions bidon. Personne n’a été dupe, tout comme personne n’a été dupe la première, la deuxième et la troisième fois où les responsables syriens, dont Assad lui-même, ont annoncé la fin du soulèvement.

Il est remarquable de voir comment la langue vernaculaire du régime syrien se décline en acceptions diamétralement opposées à la réalité : des manifestants pacifiques sont des « groupes armés », le moteur de la réforme s’est enclenché alors même que le nombre de victimes s’accroissait, les sanctions ne marcheront jamais, alors que la Syrie est un rare exemple d’un endroit où des sanctions pourraient marcher.

Combien cela sonne familier aux Libanais qui se souviennent des actions de Assad il y a six ou sept ans. Nous avions là le dirigeant syrien à l’été 2004, qui insultait notre intelligence en déclarant sereinement à un journal arabe qu’il incombait aux Libanais de prolonger le mandat d’Émile Lahoud. C’était avant que Assad ne menace en personne Rafic Hariri, lui intimant l’ordre de voter en faveur de la prorogation, sans quoi...

Et il y eu le Assad de mars 2005, deux semaines après l’assassinat de Hariri, expliquant à la bande de sycophantes que la Syrie appelle un parlement, qu’il allait redéployer ses soldats au Liban vers la frontière syrienne. Il ne disait pas qu’il traverserait la frontière, espérant éviter une telle issue. Il comptait que le meeting intimidant du Hezbollah tenu le 8 Mars, trois jours après son discours, réduirait ses ennemis libanais au silence. Et quand le retrait syrien est survenu, parce que le 8 mars il y avait eu la massive manifestation anti-syrienne, le retrait se fit subrepticement et lugubrement dans la nuit, signe de la mauvaise humeur de Assad qui ferait tout pour revenir.

Le mensonge, l’arrogance, la condescendance, les niveaux surréalistes de criminalité, sont apparus à la vue de tous ces derniers mois, quand les Assad ont massacré leur peuple sans broncher. Les États arabes ont donné amplement le temps au régime syrien pour étouffer la dissension, jusqu’à ce qu’ils voient que Bachir el-Assad allait perdre de toute façon. Ils ont été pris de panique à l’idée que le soulèvement pourrait virer vers une guerre entre sunnites et Alaouites , qui aurait des répercussions désastreuses pour les voisins de la Syrie, et le monde arabe en général.

Il faut avoir confiance. Un peuple qui a en grande partie évité de recourir aux armes malgré huit mois de carnage, est un peuple qui connait la nature de ses bourreaux. Les Syriens le doivent à Assad. Ayant enduré pendant quatre décennies les caprices de deux familles sordides, ils savent à quoi s’attendre. Si tu comprends la brute tu peux la recadrer. Assad rêve de contenir l’intifada syrienne en imposant un projet de réforme bidon qui consolide son autorité, mais pour de nombreux Syriens, il n’a tout simplement plus de pertinence. C’est parce qu’il s’en est rendu compte que le Roi Abdallah de Jordanie a conseillé la démission de Bachir el-Assad.

Il est difficile de prédire ce qui va se passer en Syrie. Mais l’ordre Assad a été déshabillé jusqu’à sa carcasse ; il ne reste que la brutalité de la solidarité alaouite, fortifiée par l’isolement croissant dans le monde arabe. L’ogre est balbutiant, ce qui signifie que la fin ne peut pas être trop loin.

* Michael Young est un éminent journaliste du Daily Star, où cet article a été publié le 17 novembre 2011.

17 novembre 2011 - The Daily Star - Cet article peut être consulté ici :
http://www.dailystar.com.lb/Opinion...
Traduction : Anne-Marie Goossens


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