16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Le pétrole de l’apartheid

dimanche 13 novembre 2011 - 06h:32

Macdonald Stainsby

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Du pétrole brut enfermé dans du schiste pourrait faire d’Israël une puissance énergétique...
Ce qui promet d’être la méthode la plus consommatrice d’énergie pour la récupération du pétrole sur la planète pourrait renforcer la puissance militaire d’Israël, tout en représentant une menace supplémentaire pour les ressources déjà limitées en eau et pour le climat.

JPEG - 34.7 ko
Au Néguev notamment, la pollution par les développements de l’huile de schiste va contribuer sans aucun doute à augmenter la contamination globale.




D’importants gisements gaziers offshore découverts en 2009 et 2010 pourraient bientôt permettre à Israël de devenir un pays exportateur de gaz avec une autosuffisance énergétique. Mais il y a peut-être plus important encore que le gaz sous la mer : le pétrole brut piégé dans des enveloppes de sable sec et de roches des schiste dur, des réserves qui pourraient propulser Israël au premier rang de la planète pour les hydrocarbures récupérables. Israël connaît depuis longtemps une faiblesse au niveau économique et militaire en raison de sa dépendance auprès des autres pour son approvisionnement énergétique.

Ce qui promet d’être la méthode la plus consommatrice d’énergie pour la récupération du pétrole sur la planète pourrait renforcer la puissance militaire d’Israël, tout en représentant une menace supplémentaire pour les ressources déjà limitées en eau et pour le climat.

De nouvelles estimations montrent qu’il y a 250 milliards de barils (bbl) de pétrole brut (ou synthétique) récupérable, voire davantage, en différents sites israéliens. A titre de comparaison, le Canada a un peu moins de 200 bbl de pétrole y inclus les sables bitumeux récupérables, pendant que l’Arabie saoudite en aurait 260.

L’annonce de ces découvertes pétrolières importantes survient juste après celle du champ gazier offshore, contesté, baptisé Leviathan, en mer Méditerranée, et estimé détenir entre 16 et 30 billions de pieds cubes (environ 450 et 850 milliards de mètres cubes) de gaz naturel.

Le gisement Leviathan a été découvert par le groupe Noble Energy, du Texas, en juin 2010. La découverte a créé un litige avec le Liban qui a d’ores et déjà déposé une plainte devant les Nations-Unies, alléguant un forage en biais israélien au large de la côte libanaise après la guerre aérienne de 2006. Autre complication, avec l’autre gisement de gaz naturel dans la région qui s’étend sous les eaux territoriales reconnues de la bande de Gaza.

« Israël n’a jamais acheté (et n’achètera jamais) de gaz à la Palestine » déclarait Ariel Sharon en 2001, quand l’Autorité palestinienne a signé un bail développement de 25 ans avec des sociétés énergétiques européennes. En 2003, le contrôle des Palestiniens sur leur propre gaz a été contesté devant la Cour suprême israélienne dans une affaire qui n’a pas encore été résolue.

British Gas Group (BG Groupe) avait conclu un accord de développement pour le gisement de Gaza prévoyant un gazoduc qui traverserait l’Égypte quand, en 2006, le Premier ministre britannique Tony Blair a déclaré être intervenu pour empêcher l’envoi du gaz vers le sud. En mai 2007, le Premier ministre israélien Ehud Olmert a déposé une proposition, qui fut approuvée par le cabinet, visant à acheter pour 4 milliards de dollars de gaz, dont un milliard irait à l’Autorité palestinienne (AP), portant alors un coup au Hamas nouvellement élu.

Divers conseillers militaires et à la sécurité ayant soutenu qu’un accord gazier avec l’AP représentait un risque pour la sécurité, la proposition n’a pu aboutir. BG Group a fermé ses bureaux en Israël et annoncé sur son site qu’il allait « évaluer les options pour la commercialisation du gaz ». Peut-être est-ce sur le conseil de cadres de haut rang en retraite des FDI (forces de défense israéliennes), mais le BG Group a cédé sa licence d’exploitation, afin de ne plus impliquer l’AP.

« En novembre 2008, les ministères israéliens des Finances et des Infrastructures nationales ont donné pour instruction à Israel Electric Corporation (IEC) (entreprise détenue à plus de 99 % par l’État - ndt) d’entrer en négociations avec British Gas pour l’achat du gaz naturel de la concession offshore de BG à Gaza, » a-t-on pu lire dans un communiqué de presse du groupe Boycott Israel UK juste avant le déclenchement de l’opération Plomb durci.

« Il est possible que la perspective d’une transaction importante sur le gaz naturel avec les Palestiniens ait été un facteur dans le refus du cabinet israélien de lancer une opération Rempart II contre la bande de Gaza, » a écrit le général israélien en retraite Moshe Yaalon, quelques mois seulement avant l’opération Plomb durci sur la bande de Gaza (décembre 2008/janvier 2009).

Ajoutés aux gisements Leviathan, les champs gaziers au large de la côte de Gaza représentent des réserves qui pourraient répondre aisément aux besoins nationaux israéliens en énergie électrique et faire passer l’État sioniste d’importateur à exportateur d’énergie.

Mais l’importance des gisements de gaz pourraient n’être rien à côté du dernier développement de la technologie pour la récupération des sables bitumeux et de l’huile de schiste.

En fait, vu les apports énergétiques massifs nécessaires pour l’extraction du pétrole à partir du schiste, les gisements Leviathan et de Gaza pourraient être intégrés dans la fourniture d’énergie pour un projet pétrolier aussi lourd et d’une telle envergure.

Les grands gisements d’huile de schiste d’Israël varient depuis la forme de roche kérogène pétrifiée jusqu’aux formations bitumineuses ayant la texture et l’apparence de sables bitumeux, fréquents dans des lieux comme Alberta, au Canada.

Utilisant une combinaison de technologies déjà en usage dans la technologie pour les sables bitumeux, de concept plus récent, au Canada, et développée dans les vastes gisements d’huile de schiste au Colorado, en mars 2011, Israel Energy Initiatives (IEI) a annoncé un projet pour transformer le schiste en pétrole. Avec un tel procédé, l’extraction de l’huile de schiste en Israël peut, et de façon définitive, nuire au climat politique et atmosphérique du Moyen-Orient.

IEI est une filiale d’une société israélienne beaucoup plus importante, Israel Data Technologies (IDT), qui domine déjà le paysage économique d’Israël et est dirigée par son président, Howard Jonas. Assistant à toute cette aventure, le magnat de la presse Rupert Murdoch et l’ancien vice-président US, Dick Cheney, parmi bien d’autres huiles.

Environ 15 % de la masse terrestre d’Israël comme définie par l’ONU (1) recouvrent des gisements d’huile de schiste. En fait, Israël exporte déjà son savoir-faire vers Alberta pour les sables bitumeux : Ormat, une firme israélienne, a ouvert un rayon de technologie énergétique brevetée à Alberta sous le nom d’Opti. Opti a fait équipe avec Nexen au Canada pour se lancer dans une technique interne visant à brûler les résidus produits par l’extraction pour fournir l’énergie pour l’opération d’extraction elle-même. Fin juillet 2011, Opti (ainsi que leurs intérêts dans les sables bitumeux d’Alberta) a été vendue à China National Offshore Oil Corporation.

Sans diverger du changement sismique qui a porté à la vitesse supérieure les sables bitumeux en sommeil d’Alberta, après la guerre d’Irak et les hausses cumulées du prix du pétrole qui coïncidèrent avec la catastrophe de l’ouragan Katrina dans le golfe du Mexique, les dernières annonces venant d’Israël sont stupéfiantes.

La proposition de site pour l’huile de schiste qui est la plus susceptible d’être approuvée n’est qu’à une petite balade au sud-ouest de Jérusalem, une zone pastorale de kibboutz et de petits villages dont les historiens pensent qu’ils furent le théâtre de la bataille biblique entre David et Goliath. La région ne ressemble en rien à la ville-champignon pétrolière de Fort McMurray, en Alberta, ou même à quelque chose de plus près du Moyen-Orient, on dirait plutôt une partie de la vallée de l’Okanagan dans l’ouest canadien.

Dans la cour ensoleillée d’une maison d’une communauté fermée, Lia Tarachansky, de Real News Network, interviewe Chagit Tishler sur le projet envisagé pour l’huile de schiste, pendant que de mon côté, avec un Palestinien d’un quartier de Jérusalem, nous écoutons en prenant un thé.

« C’est la plus importante licence accordée à une entreprise privée en Israël » dit Tishler, qui agit avec l’organisation Save Adullam, composée d’habitants locaux qui s’opposent au projet pilote d’IEI. La licence a été donnée dans le cadre de la Loi pétrolière, dit Tishler, qui est essentiellement une loi sur l’entrée libre datant de 1952, et qui donne la primauté à l’exploration pétrolière et gazière sur les exploitations agricoles, les parcs et les sites historiques.

« La région pourrait être complètement ruinée. Cette région est la dernière dans le centre d’Israël qui reste zone ouverte et zone verte, et qui a de nombreux sites archéologiques importants non seulement pour les Israéliens mais aussi pour le reste du monde, » dit-elle, avant d’énumérer les sites historiques de la contrée. Connue sous le nom de vallée d’Elah, la région a été réoccupée deux ans seulement après la Nakba en 1948 par des juifs mizrahim venant essentiellement d’Afrique du nord. A ce jour, eux et d’autres utilisent la vallée pour des cultures vivrières et le vin israélien.

Les opérations programmées par IEI dans la vallée d’Elah prévoient de creuser cinq kilomètres de tranchées à travers les exploitations agricoles et les vignobles pour mettre à jour la roche de schiste, qui serait ensuite chauffée jusqu’à ce que le kérogène et les autres matériaux organiques qu’elle contient s’exsudent de la roche, produisant une substance brute de base. Tout comme le sable bitumeux, cette substance sera toujours nécessaire pour passer à un processus de mise aux normes avant le raffinage.

Exécuté tel qu’il est prévu, le projet d’IEI constituerait l’une des formes les moins efficaces de production pétrolière jamais imaginée. Trois à cinq gigawats d’électricité devraient être utilisés pour produire un seul baril de pétrole à partir de l’huile de schiste, selon Save Adullam. Le chauffage de l’huile de schiste, qui demande des mois à chaque fois, pourrait dégager au moins 15 millions de tonnes de CO² dans l’atmosphère. Aucun autre procédé d’extraction du pétrole traditionnel ou même des sables bitumeux n’implique un procédé de chauffage aussi coûteux, ni avec une telle intensité carbonique. Ce dégagement de carbone se produit avant même le raffinage, à plus forte raison la consommation.

Malgré tout, pour Israël, ces réserves représentent un approvisionnement intérieur qui ne peut être bloqué. Selon IEA, le pétrole à partir du schiste produit un brut léger synthétique presque parfait pour être converti en carburant pour l’aviation.

Jusqu’à présent, les groupes comme Save Adullam qui souhaitent arrêter ce projet ne sont pas parvenus à s’allier avec d’autres communautés vivant sous la menace de l’extraction de l’huile de schiste. Save Adullam se focalise sur l’exigence de l’abrogation de la loi pétrolière de 1952. Les partisans de cette loi se trouvent à la Knesset et dans l’État israélien, notamment au Fonds national juif (FNJ).

Si les premières terres retenues pour les projets de grande envergure ont une résonance religieuse et biblique, il y a aussi d’autres projets miniers qui vont se déployer à travers le territoire traditionnel des Palestiniens bédouins en différentes contrées du désert du Néguev. La plus grande partie de l’huile de schiste en surface, semblable dans sa composition aux sables bitumeux d’Alberta, se trouve dans la partie nord du désert. En outre, une exploitation minière de l’huile de schiste, qui est brûlée pour l’électricité, existe déjà dans le sud profond du désert, près d’Eilat.

Le bassin de Mishor Rotem se trouve sur la rive ouest de la mer Morte, et un gisement d’huile de schiste chevauche les deux côtés de la frontière entre l’État d’Israël et le royaume hachémite de Jordanie. En 2006, le FNJ a estimé qu’Israël consommait en eau 25 % de plus que la quantité d’eau renouvelable (y inclus les près de 90 % de l’eau détournée des Palestiniens en Cisjordanie).

Dans les colonies sionistes et les villages bédouins reconnus du Néguev, le taux des cancers est déjà considérablement plus élevé que dans le reste de l’État juif. La pollution par les développements de l’huile de schiste sous quelque forme que ce soit va contribuer sans aucun doute à augmenter la contamination globale. En outre, il se trouve que la plus grande partie du désert du Néguev est aussi un terrain d’entraînement et une « zone de tir libre » pour les armées de l’air et de terre israéliennes - qui sont déjà des forces destructrices de l’environnement en cause.

La législation d’Israël fait qu’il est quasiment impossible pour les citoyens non juifs d’exiger l’égalité des droits dans pratiquement tous les domaines, à l’intérieur même d’Israël. Les Bédouins voient ces problèmes s’aggraver - principalement sous les consignes du FNJ, exécutées par des unités anti-émeutes et les FDI - avec des projets sous direction FNJ « qui font fleurir le désert », attaquant et passant aux bulldozers des villages entiers (certains l’ont été plus de 25 fois l’an dernier) pour faciliter « la plantation de forêts » et sont forcés de se réinstaller dans des ghettos prévus par le gouvernement.

Les communautés bédouines traditionnellement liées à la terre qui souhaitent faire cesser cette immixtion de l’huile de schiste et ses conséquences toxiques auront probablement à réfléchir au-delà des stratégies visant à simplement faire abroger les lois votées par l’État sioniste, et il n’est guère probable qu’ils trouvent des alliés au FNJ.

Encore un autre parallèle avec le Canada : les vastes gisements offshore que revendiquent Israël - principalement mais pas exclusivement celui de Leviathan - pourraient avoir le même rôle crucial pour l’apport énergétique des développements de l’huile de schiste que celui du gaz naturel des sables bitumeux d’Athabasca (Alberta).

Israël connaît déjà une crise de l’eau, mais on dirait bien qu’il trouve bon d’exacerber ce problème avec sa promotion pour une indépendance énergétique.

JPEG - 107.3 ko




(1) comme défini par le tracé de la Ligne verte de 1948-1967.

Cet article est le premier d’une série de quatre qui traitent des gisements de pétrole non conventionnels au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.


Macdonald Stainsby est un jeune auteur free-lance et militant pour la justice sociale, résidant actuellement à Vancouver, Canada.

Jérusalem, le 10 novembre 2011 - The Media Co-op - traduction : JPP


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.