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Guerre d’Irak, quatre ans après : de la dictature au chaos humanitaire

jeudi 22 mars 2007 - 06h:50

Caroline Pailhe - Le GRIP

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Le 17 mars 2003, à l’aube de l’offensive américaine en Irak, le président américain George Bush déclarait aux Irakiens que les troupes américaines allaient « renverser l’appareil de terreur et (les) aider à bâtir un nouvel Irak, prospère et libre »[1]. Quatre ans plus tard, cette promesse ronflante a de quoi faire frémir. Pour les Irakiens, le quatrième anniversaire de la guerre se fêtera, comme tout autre jour, dans le sang.

Une hécatombe qui ne dit pas son nom

Dès l’entrée en guerre déjà, la politique avait rapidement rattrapé la rhétorique. « Nous ne comptabilisons pas les morts » avait déclaré Tommy Franks, alors commandant de l’armée américaine. En effet, si le département de la Défense actualise régulièrement le total des pertes militaires américaines, il n’en va pas de même pour les morts irakiens, qu’ils soient civils, militaires ou appartenant à la police.

Contrairement aux chiffres des « boys tués au combat », l’Américain moyen n’a d’ailleurs aucune idée du nombre d’Irakiens tués lors de l’offensive décidée par son gouvernement. Selon un sondage réalisé en février 2007 par Associated Press, les Américains pensent qu’en moyenne la guerre a coûté la vie à 9.890 Irakiens[2]. Ce qui ne représente qu’un cinquième des chiffres les plus prudents avancés dans ce domaine.

Selon le « Rapport Hamilton-Baker » publié le 7 décembre 2006, pourtant, 3.000 civils irakiens meurent chaque mois[3].

Pour les membres de l’Iraq Study Group, la commission bipartisane à l’origine de ce rapport et nommée par le Congrès des Etats-Unis, la violence en Irak n’est pas correctement répertoriée. Les normes utilisées pour comptabiliser un acte de violence écartent un grand nombre d’événements qui, de ce fait, n’apparaissent pas dans les statistiques. Ainsi, le meurtre d’un Irakien n’est pas nécessairement comptabilisé. Si les autorités américaines et irakiennes ne peuvent déterminer la source d’un acte sectaire, cet acte n’est purement et simplement pas pris en compte dans le recueil de données. Une bombe qui explose sur le bord d’une route ou une attaque de mortier qui ne blesse aucun personnel de l’armée américaine ne compte pas[4].

Les Nations unies : seule source officielle

Les Nations unies restent la seule source officielle qui s’occupe des « dégâts collatéraux » produits par la guerre en Irak et ses conséquences sur le plan sécuritaire.

Alors que George Bush présentait, en janvier 2007, son plan pour stabiliser l’Irak en annonçant une augmentation des troupes américaines dans le pays, la Mission d’assistance des Nations unies en Irak (MANUI) publiait son dernier rapport sur la situation des droits de l’homme.

Se basant sur la compilation de données collectées à partir des informations du gouvernement irakien et de l’Institut médico-légal de Bagdad, la MANUI affirme que plus de 34.000 civils ont été tués et 36.000 blessés dans les violences en Irak en 2006[5]. Durant cette année donc, 94 civils auraient été tués, en moyenne, chaque jour, en Irak.

Le rapport insiste également sur les attaques incessantes visant les membres des forces de sécurité. Le 24 décembre 2006, le ministère irakien de l’Intérieur indiquait que 12.000 policiers avaient été tués depuis 2003, ce qui représente une moyenne de 10 policiers tués chaque jour.

Enfin, le rapport de la MANUI estime que plus de 30.000 personnes sont détenues par les autorités irakiennes, dont plus de 14.000 par la Force multinationale, sans avoir été jugées ni mises en accusation.

Les sources indépendantes

Convaincus de l’importance de « comptabiliser les morts », plusieurs sources indépendantes recueillent minutieusement les informations à ce sujet et dressent des statistiques fiables, paillant de ce fait aux manquements des gouvernements.

Ainsi, au 16 mars 2007, l’Iraq Body Count estimait qu’entre 58.908 et 64.729 civils irakiens étaient morts depuis l’offensive américaine de 2003[6].

Plus alarmant encore, une étude menée par la John Hopkins Bloomberg Scholl of Public Health de Baltimore et l’Ecole de médecine de l’université de Bagdad, publiée par The Lancet en octobre 2006, évalue à 655.000 le nombre de civils irakiens tués de mars 2003 à juillet 2006[7].

Un nouvel exode au Moyen-Orient

Selon les estimations du Haut commissariat aux réfugiés (HRC) des Nations unies, au rythme actuel de 40.000 à 50.000 par mois, environ 2,3 millions d’Irakiens pourraient être déplacés d’ici à la fin 2007. Par ailleurs, environ 1,8 million de personnes sont actuellement déplacées à l’intérieur de l’Irak[8].

C’est « le plus important déplacement de population au Moyen-Orient depuis les événements dramatiques de 1948 », a estimé le Haut commissaire aux réfugiés des Nations unies, Antonio Guterres, le 4 mars au Caire, en référence à l’exode des Palestiniens après la fondation de l’Etat d’Israël[9]. Sur 26 millions d’Irakiens, ce sont en effet 3,5 à 4 millions qui auraient fui leur domicile à cause des violences et des persécutions, soit quelque 15% de la population.

Selon les estimations de l’ONU, un million de ces réfugiés se sont installés en Syrie (sur 18 millions d’habitants), 750.000 en Jordanie (sur 6 millions d’habitants) et 150.000 en Egypte. Les autres se trouvent en Iran, au Liban et en Turquie.

En janvier 2007, le HCR estimait ses besoins à 60 millions USD (46 millions d’euros) pour aider les réfugiés et les déplacés irakiens en 2007, soit plus du double de la somme dépensée en 2006[10].

Vu la gravité de la situation, les Nations unies ont décidé d’organiser les 17 et 18 avril à Genève, une conférence internationale en faveur des réfugiés irakiens en vue de sensibiliser la communauté internationale à l’impact humanitaire de la violence et du conflit irakien et d’y faire face.

Dans ce dossier alarmant, les Nations unies épinglent également les Etats-Unis, promoteurs de ce chaos humanitaire mais peu pressés de l’alléger. Depuis 2003 en effet, Washington a accueilli sur son territoire... 436 réfugiés irakiens et compte, en 2007, en accueillir quelque... 7.000[11].

Les prévisions pessimistes de 2003 largement dépassées
L’Irak est donc exsangue. La catastrophe humanitaire, prédite avant le début de l’offensive américaine de 2003 et considérée à l’époque comme alarmiste, est en train de se produire sous nos yeux[12].

Pour rappel, en 2002, Medact, une association anglaise qui regroupe des professionnels de la santé et qui est membre de l’Association des médecins contre la guerre nucléaire (AMPGN-IPPNW), prévoyait que l’offensive militaire américaine causerait entre 6.500 morts et 261.000 morts et entre 20.000 et 672.000 blessés[13].

A la même époque, le Bureau de coordination pour les affaires humanitaires de l’ONU estimait qu’entre 600.000 et 1,45 millions de personnes, soit 5% de la population, pourraient chercher refuge dans les pays voisins de l’Irak et que le nombre d’Irakiens déplacés à l’intérieur du territoire pourrait s’élever à 900.00 personnes[14].

Alarmistes à l’époque, ces estimations doivent, quatre ans plus tard, malheureusement être revues à la hausse.

Conclusion

L’Irak est la preuve flagrante du cuisant échec de la politique étrangère de l’Administration Bush, conçue après le 11 septembre 2001. Au niveau humain et humanitaire, les conséquences de cette (més)aventure militaire sont incalculables mais systématiquement sous-estimées.

Ne pas en tenir compte, cela revient d’abord à banaliser la guerre en faisant croire que l’usage de la force cause, au pire, un nombre de victimes minime et accidentel, alors que c’est le contraire qui est vrai. Les civils - des hommes et des femmes ordinaires - sont toujours les principales victimes des conflits. Ils sont la conséquence la plus inacceptable de toutes les guerres et sont protégés dans ce sens par les conventions internationales.

Ensuite, en arriver à telle situation, alors que l’argument imparable présenté par le président Bush était justement de « libérer » ces civils irakiens et de leur construire une vie meilleure, c’est se jouer sans vergogne de la vie d’innocents qui, d’otages d’une dictature sanguinaire se retrouvent pris au piège d’un chaos humanitaire sans précédent, conséquence d’un jeu politique insensé décidé à Washington.

Pour l’administration Bush, il serait grand temps de tenir compte de la réalité du terrain car, comme le soulignait le Rapport Baker, « une politique efficace est difficile à mettre en ?uvre si l’information est systématiquement collectée de façon à minimiser le décalage qui existe entre cette politique et les buts qu’elle s’assigne »[15].


Notes :

[1] George W. Bush, « Address to the Nation on War with Iraq », discours prononcé à Washington, D.C., 17 mars 2003.
[2] « Americans lowball Iraqi death toll », The Associated Press, 24 février 2007.
[3] The Iraq Study Group Report, rapport co-présidé par James A. Baker III et Lee H. Hamilton, p. 10 - Résumé en français du « Rapport Baker »
[4] Op. cit., p. 62.
[5] UN Assistance Mission for Iraq (UNAMI), Human Rights Report, 1er novembre - 31 décembre 2006.
[6] L’Iraq Body Count est un projet britannique dont le but est de créer « une banque de données publique, indépendante et complète des civils morts en Irak, d’après les rapports publiés par les média, suite aux interventions militaires directes des Etats-Unis et des Alliés en 2003 ». Chiffres recueillis sur http://www.iraqbodycount.net/, le 16 mars 2007.
[7] Gilbert Burnham, Riyadh Lafta, Shannon Doocy, Les Roberts, « Mortality after the 2003 invasion of Iraq : a cross-sectional cluster sample survey », The Lancet, octobre 2006, 368 : 1421-28.
[8] UNHCR, Update on the Iraq Situation, novembre 2006.
[9] « Le nombre de déplacés irakiens pourrait atteindre 2,3 millions en 2007 », Le Monde et AFP, 4 mars 2007 et UNHCR, « Growing Needs Amid Continuing Displacement »
[10] UNHCR, « Supplementary Appeal Iraq Situation Response, Protection and assistance to Iraqi refugees in neighbouring States and to IDPs and non-Iraqi refugees in Iraq », janvier 2007.
[11] La libre Belgique, 19 et 22 février 2007.
[12] Pour rappel, voir Xavier Zeebroek, « Irak : le coût humain d’un conflit et la mobilisation humanitaire », Note d’analyse du GRIP, 26 février 2003.
[13] Medact, « Collateral Damage, the health and environmental costs of war on Iraq », 12 novembre 2002.
[14] Voir notamment Nations unies, Bureau de coordination des affaires humanitaires (BCAH-OCHA), « Integrated Humanitarian Contingency Plan for Iraq and Neighbouring Countries », 7 janvier 2003.
[15] The Iraq Study Group Report, p. 62.

Caroline Pailhe, chargée de recherche au GRIP - Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, le 15 mars 2007

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