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Le gardien de la porte de Jaffa

dimanche 25 septembre 2011 - 10h:06

Laurent Zecchini - Le Monde

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Walid Dajani est serein. Cette sagesse lui vient de la présence sept fois séculaire de sa famille en terre palestinienne, mais surtout de sa conviction que Richards Marketing Corporation, une société enregistrée dans les îles Vierges, ne parviendra pas à convaincre la justice israélienne qu’elle est le nouveau propriétaire de l’hôtel New Imperial, à Jérusalem, dont les Dajani sont les "locataires protégés" depuis 1949.

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Monsieur Dajani




La "Corporation" sert de couverture à l’organisation sioniste Ateret Cohanim, qui est à la fois une yeshiva (centre d’étude de la Torah et du Talmud) et une discrète officine de rachat des maisons palestiniennes et chrétiennes dans la Vieille Ville de Jérusalem. Cette entité est contrôlée et financée par le millionnaire juif américain Irving Moskowitz, qui a fait fortune dans les hôpitaux et les salles de bingo en Californie.

Le procès qui oppose la Corporation au Patriarcat grec-orthodoxe de Jérusalem, propriétaire officiel du New Imperial, et à la famille Dajani, n’est pas près de s’achever : Ateret Cohanim est le bras armé de la politique de judaïsation de la Ville sainte menée par son maire, le faussement laïc Nir Barkat, et par le gouvernement israélien. Le New Imperial, construit en 1884, est situé au coeur de la porte de Jaffa, l’une des deux plus majestueuses entrées de la Vieille Ville, en quartier chrétien.

Les juifs ne cachent pas leur ambition de grignoter les quartiers chrétien, arménien et palestinien, une façon de préempter de futures négociations sur le statut de Jérusalem. Déjà, l’opulente galerie commerciale Mamilla constitue une artère stratégique reliant Jérusalem-Ouest à la porte de Jaffa. Sauf que ses concepteurs n’avaient pas prévu qu’elle serait utilisée... dans les deux sens : on y croise de plus en plus de Palestiniennes portant foulard islamique, qui viennent y faire des emplettes infaisables à Jérusalem-Est !

"Si la porte de Jaffa "tombe", souligne Walid Dajani, il n’y aura plus grand-chose à discuter à propos de Jérusalem." C’est pour cela que le patriarche grec-orthodoxe, Sa Béatitude Théophile III, a dit au gérant du New Imperial : "Walid, vous êtes le gardien de la porte de Jaffa !" Seulement voilà : l’Église grecque-orthodoxe n’a pas toujours été en odeur de sainteté. Ireneos Ier, prédécesseur de Théophile III, aimait-il trop l’argent ?

C’est lui, Ireneos Skopelitis, qui a signé, en mai 2004, un blanc-seing au sulfureux Nikoleos Papadimas, son avocat, lui donnant "le pouvoir et l’autorité de signer des contrats de leasing, des baux de longue durée, des accords et tout document qu’il estimerait utile", au nom du Patriarcat. Dans l’accord de leasing de 99 ans (renouvelable) conclu entre M. Papadimas et la Richards Marketing Corporation, qui transfère l’usage, sinon la propriété, du New Imperial à des intérêts juifs, il était mentionné que cette transaction s’effectuait pour 1,25 million de dollars.

Autrement dit un cadeau, vu l’emplacement stratégique du bâtiment. De diverses sources religieuses, on évoque des dessous de table de plusieurs... dizaines de millions de dollars ! En 2005, le scandale a été tel qu’il a précipité la chute du patriarche Ireneos Ier, officiellement démis de ses fonctions par un synode. L’Autorité palestinienne et le roi de Jordanie, Abdallah II, gardien des Lieux saints de Jérusalem, qui s’étaient interposés, continuent aujourd’hui de surveiller attentivement cette menace rampante sur la Ville sainte.

Le "moine Ireneos", comme dit le Père Alexander Winogradsky, de l’Eglise grecque-orthodoxe, vit reclus au sein du monastère sis non loin du Saint-Sépulcre. "Il s’est enfermé lui-même, précise le Père Alexander. Il n’y a rien qui l’empêche de sortir, si ce n’est la peur de ne plus être admis au sein du monastère." Sauf que Sa Béatitude Théophile III ne souhaite pas forcément que son prédécesseur (qui se considère toujours comme patriarche) dégoise sur les agissements financiers de l’Eglise grecque-orthodoxe.

Celle-ci, comme d’autres congrégations chrétiennes, ne rechigne pas à consentir discrètement des baux de longue durée à des intérêts israéliens. Théophile III avait bien sûr dénoncé l’accord conclu entre M. Papadimas et la Corporation, ce qui n’a pas empêché Israël de tenter de lui faire signer un nouvel accord, aux termes duquel le Patriarcat aurait accordé au gouvernement israélien un "droit de premier refus" pour toutes les propriétés qu’il souhaiterait vendre ou louer.

Quant au moine Ireneos, il n’est pratiquement pas sorti du monastère depuis des années. Heureusement, un Palestinien compatissant lui fait parvenir régulièrement de la nourriture, à l’aide d’une corde et d’un treuil, jusqu’à la fenêtre de sa cellule... Théophile III, lui, a d’autres soucis : la crise en Grèce n’arrange pas ses affaires et, au sein de la communauté, les "Grecs", complètement désargentés, sont soumis à une offensive des "Russes", très riches, qui veulent faire une OPA sur le Patriarcat.

Walid Dajani observe tout cela avec un certain détachement. Il sait que le Patriarcat ne le lâchera pas, parce qu’ils sont "dans le même bateau", et que son contrat de gérance "court sur trois générations". Homme de grande courtoisie, musulman un peu dilettante, il souhaite que "le Bon Dieu (lui) accorde une bonne santé pour continuer à lutter" contre la Corporation et Ateret Cohanim. "Ce qu’il nous faudrait, observe-t-il, c’est un Moskowitz arabe qui, discrètement, achète et construise à Jérusalem"...


Laurent Zecchini

lzecchini@lemonde.fr

Site de l’hôtel New Imperial : http://www.newimperial.com/
Courriel : info@newimperial.com

24 septembre 2011 - Le Monde


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