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Politique israélienne : du nettoyage ethnique à l’ethnocide

mardi 13 mars 2007 - 06h:15

Raphaël Kempf

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La politique israélienne dépasse l’entendement, voyez plutôt : des actions militaires meurtrières
que le mot magique de “sécurité” parvient de plus en plus difficilement à justifier, des discours
hypocrites au regard de ce qui se passe sur le terrain, des engagements non tenus, un comportement de renard dans des négociations internationales qui n’impressionnent plus
personne. Pourtant, il faut bien qualifier cette politique.

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Manifestation contre l’extension du Mur d’Apartheid dans le village d’Umm Salamona près de Béthlehem - 9 mars 2007 - Photo : AP/Kevin Frayer

Comprendre là où Israël veut aller doit
nous permettre au mieux de définir correctement les responsabilités dans ce conflit centenaire, au
pis de donner à notre humanisme béat matière à révolte contre ce que des hommes peuvent faire à
d’autres hommes.

La paix maintenant ?

Soyons naïfs : Israël veut-il la paix ? Oui, apparemment, car le premier ministre Ehoud
Olmert a accepté de participer à un sommet avec le président de l’Autorité palestinienne
Mahmoud Abbas, à Jérusalem le 20 février dernier sous les auspices de la secrétaire d’Etat
américaine Condoleeza Rice, et dont l’objectif était de relancer les négociations en vue de la paix.
Malheureusement, force est de constater que ce ne fut qu’une fanfaronade médiatique qui ne
devait mener à rien. En effet, peu avant le sommet, M. Olmert avait déclaré qu’il refuserait de
négocier sur les questions des réfugiés palestiniens, du statut de Jérusalem, et du retrait israélien
des Territoires occupés en 1967. Autrement dit, il refusait de discuter des trois problèmes les plus
importants qu’il faut nécessairement résoudre pour atteindre la paix.

Israël justifie son acharnement à ne pas discuter sous prétexte que le gouvernement
palestinien refuse de reconnaître le droit d’Israël à exister en paix et en sécurité. Pourtant,
l’accord de La Mecque du 8 février formant un gouvernement palestinien d’union nationale a été
interprété par une partie de la presse israélienne comme une reconnaissance implicite d’Israël (1).
Par ailleurs, le porte-parole du gouvernement Hamas sortant, Ghazi Hamad, a déclaré récemment
que les exigences palestiniennes concernaient un Etat dans les frontières de 1967 (2). N’est-ce pas là
une reconnaissance d’Israël au delà de ces frontières ?

A vrai dire, ce qui doit nous frapper est l’insistance d’Israël et du Quartette (Etats-Unis,
Union Européenne, Nations Unies et Russie) sur cette obligation - la reconnaissance -, comme si
aucune obligation ne pesait sur Israël, et comme si le droit pouvait s’appliquer différemment
selon les parties. Or, la feuille de route, arrachée de haute lutte à Israël par le Quartette en 2003 (3),
et qui devait mener à la création d’un Etat palestinien fin 2005, précise notamment qu’Israël doit
geler la construction des colonies (y compris leur croissance naturelle) et retirer celles qui ont été
construites depuis 2001. Un petit tour à l’est de Ma’ale Adumin, la plus grande colonie
israélienne en Cisjordanie, considérée comme une banlieue de Jérusalem, devrait vous convaincre
qu’Israël ne respecte pas ses obligations. Les buldozzers s’acharnent à bâtir de nouvelles maisons,
toutes identiques, en haut des collines de cette région magnifique. Si vous poursuivez un peu plusà l’est, vous tomberez sur un “avant-poste”, un embryon de colonie fait de quelques dizaines de
caravanes où vivent des soldats et quelques Israéliens convaincus que c’est leur devoir d’étendre
Eretz Israël. Dans quelques années, les roulottes seront probablement remplacées par des maisons
identiques aux précédentes.

Bref, Ehoud Olmert va rencontrer Mahmoud Abbas sans intention de négocier, tandis que
la colonisation des Territoires occupés poursuit tranquillement son bonhomme de chemin. Cela
devrait nous convaincre que la “paix” n’est plus qu’une poudre de perlimpimpin qu’Israël jette
aux yeux du monde entier pour masquer ce qu’il fait sur le terrain.


Si Israël ne veut pas la paix, que veut-il ? Voici une pièce en trois actes qui devrait nous
aider à le savoir
.

Acte I - Un projet clair et un bon début

Le sionisme est un “projet de remplacement (4)” d’une population (palestinienne) par une
autre (juive). Son but est de “transformer cette terre en une terre juive (5) ”. Mais comme l’immense
majorité de la population de cette terre n’était pas juive au moment de la création de l’Etat
d’Israël, on comprend qu’un tel projet ne pouvait se réaliser de façon pacifique en demandant
poliment aux Palestiniens d’avoir la délicatesse de quitter leurs maisons et villages. Il fallait donc
planifier le départ des indigènes.
Le dirigeant du mouvement sioniste, David Ben-Gourion, l’avait bien compris qui, dès
1937, écrit dans une lettre à son fils que “les Arabes devront partir, mais il faudra attendre le
moment opportun pour que cela se passe, une guerre par exemple”. Les sionistes n’ont guère
chômé dans l’attente de cette guerre : dans les années 1940, ils ont recueilli des informations très
précises sur les villages palestiniens : leur structure topographique, les accès routiers, le nombre
d’habitants, la présence ou non d’éléments hostiles au sionisme, mais encore le nombre de gardes
ou d’armes - rares - que pouvaient posséder les villages.

Ces informations furent utiles aux
militaires - parmi lesquels la “colombe” Yitshak Rabin - dont la mission était d’appliquer le Plan
Dalet, adopté le 10 mars 1948 par les dirigeants sionistes pour désarabiser la Palestine. Lequel
Plan précisait : “Les opérations sont réparties selon les types suivants : destruction de villages
(par le feu, le bombardement et le minage), en particulier les villages dont nous n’aurons pas
acquis le contrôle ; prise de contrôle par l’encerclement et fouille de chaque village ; destruction
de ses groupes armés et expulsion de sa population de l’autre côté des frontières de l’Etat juif.”
Six mois plus tard, l’opération aura détruit 531 villages et expulsé plus de 750 000 personnes,
devenues réfugiés.

L’historien Ilan Pappé qualifie cette opération de “nettoyage ethnique (6) ”, car les
Palestiniens furent expulsés “pour qu’ils ne puissent plus jamais revenir”, comme l’a dit Yosef
Weitz, un des dirigeants sionistes. Le projet et sa réalisation, simplement affreux, peuvent
également être qualifiés, au regard du droit international, de crime contre l’humanité. En effet, le
“transfert forcé de population” est rangé dans cette catégorie par le Statut de Rome de la Cour
pénale internationale (1998). Ce fait historique - ou al-Nakba, la catastrophe, comme disent les
Palestiniens - est ignoré par Israël, qui refuse de le reconnaître, alors même qu’il est à l’origine
du problème des réfugiés palestiniens qui empêche toute solution - aujourd’hui - du conflit
israélo-palestinien.

Acte II - L’erreur

Même si les résultats du Plan Dalet sont impressionants, peut-on qualifier cette opération
de succès ? Les sionistes ont-ils atteint leur objectif ? Clairement non, répond l’historien Benny
Morris, dont le parcours intellectuel tres particulier devoile les limites morales du sionisme.
Après avoir été chef de file des “nouveaux historiens”, connus pour avoir mis au jour une version
des faits survenus en Palestine entre 1947 et 1949 différente de l’histoire officielle israélienne -
qui proclame que les Arabes sont partis d’eux-mêmes -, il s’est mis répondre de façon amorale au
problème qu’il avait contribué à créer : comment résoudre la contradiction entre la défense du
sionisme et la reconnaissance de ce qui s’est véritablement passé au moment de la création de
l’Etat d’Israël ? Autrement dit, comment continuer à défendre la légitimité d’Israël, alors même
qu’il est né dans le péchê ? Au lieu de choisir une voie consistant à reconnaître les atrocités
commises en 1948, et ses conséquences (des réparations financières, par exemple, pour les
réfugiés palestiniens), Benny Morris a préféré justifier ce qu’ont fait les sionistes il y a soixante
ans.

“Ben-Gourion avait raison. S’il n’avait pas fait ce qu’il a fait, un Etat n’aurait jamais pu
naître. (...) Sans le déracinement des Palestiniens, un Etat juif n’aurait jamais vu le jour ici. (...)
Dans certaines conditions, l’expulsion n’est pas un crime de guerre. (...) Il y a des circonstances
historiques qui justifient le nettoyage ethnique. (...) Il était nécessaire de les déraciner. Il n’y
avait pas d’autre choix que d’expulser cette population.”
Pourtant, Benny Morris pense que Ben-Gourion n’a pas été assez loin. “Il aurait dû finir
le boulot. (...) S’il avait réalisé une expulsion complète - plutôt que partielle - il aurait stabilisé
l’Etat d’Israël pour des générations. (...) L’inachèvement du transfert fut une erreur.(7)”

Aujourd’hui, cette erreur ne peut guère être réparée de la même façon qu’en 1948. La
réalisation d’un nouveau nettoyage ethnique est impensable - même s’il ne faut pas oublier
qu’aujourd’hui, certains hommes politiques israéliens appellent ouvertement au transfert des
citoyens palestiniens d’Israël dans le futur Etat palestinien, de façon à garantir une majorité
démographique juive en Israël. D’autres techniques politiques doivent donc être mises en oeuvres
pour “finir le boulot”.

Acte III - “Finir le boulot”

L’ethnocide est un autre moyen de se débarrasser de l’autre. Non en l’expulsant, mais en
le transformant, en le réduisant au même. “L’ethnocide, c’est la destruction systématique des
modes de vie et de pensée de gens différents de ceux qui mènent cette entreprise de destruction.
En somme, le génocide assassine les peuples dans leur corps, l’ethnocide les tue dans leur
esprit.(8) ” On pourra nous objecter avec raison qu’Israël ne souhaite pas transformer les
Palestiniens en Juifs, mais il peut tout faire pour qu’ils cessent de se sentir Palestiniens. Nous
pensons que la politique menée aujourd’hui par Israël s’apparente à un ethnocide du peuple
palestinien. Mais il s’agit ici de distinguer entre les Palestiniens citoyens de l’Etat d’Israël de
ceux qui vivent dans les Territoires occupés.

Les Palestiniens d’Israël, plus d’un million de personnes, vivent dans un Etat qui se
définit comme “juif et démocratique (9) ”. Cette double définition leur paraît contradictoire. En effet,
les Palestiniens n’ont pas les mêmes droits que les Juifs en Israël en matière d’éducation, de
reconnaissance de la langue arabe, de regroupement familial, de reconnaissance de leur statut de
minorité nationale autochtone, etc.(10) Mais surtout, on leur demande de bien vouloir se sentir
israéliens, autrement dit, de laisser tomber leur identité palestinienne et d’accepter les principes
fondamentaux du sionisme. On leur dit : “Sois sioniste, ou crève”. En effet, les candidats aux
élections et partis politiques n’ont pas le droit de se présenter ou de mener leurs activités
politiques s’ils rejettent l’identité d’Israël en tant qu’Etat juif et démocratique (11). Israël n’est une
démocratie que pour les Juifs.

Dans les Territoires occupés, la situation est quelque peu différente en ce qu’Israël ne
cherche pas à transformer ses habitants en défenseurs du sionisme, il ne tente que de leur rendre
la vie impossible et de détruire l’identité palestinienne à travers une politique de division des
populations et de destruction de l’agriculture. La Cisjordanie connaît aujourd’hui un processus de
cantonisation, elle tend à être divisée en trois régions autour des villes de Naplouse, Ramallah et
Hébron, qui ont de moins en moins de contacts entre elles en raison des points de passage
contrôlés par l’armée israélienne. Le mur participe de ce processus de division des populations en
créant des enclaves, en encerclant des villages qui n’ont parfois qu’un point de passage ouvert
selon l’arbitraire de “l’administration civile” (dénomination officielle de l’administration
militaire) des Territoires pour rejoindre le reste de la Cisjordanie. On connaît par ailleurs
l’importance des oliviers et des paysages (12) comme ciments de l’identité palestinienne. Une
barrière qui épouse la forme des collines, comme autour du village de Bil’in, n’est pas seulemnt
laide à cause de la route bétonnée qui la longe, des oliviers qu’elle détruit, elle est surtout laide
car elle empêche le rêveur de s’abandonner dans le paysage. Désormais, celui-ci a une limite.
Même si on ne la voit pas toujours et partout, elle est là et on la sent, elle détruit l’environnement
sans limites du paysage.

C’est donc à une entreprise de destruction systématique de ce qui fait l’identité
palestinienne que se livre Israël, avec l’idée implicite que moins les Palestiniens se sentiront
Palestiniens, moins ils se révolteront et exigeront l’application de leurs droits. Bien entendu, cela
pourrait régler le problème. Mais accepterait-on de passer par pertes et profits l’âme d’un peuple ?
Les forces culturelles globalisantes l’accepteraient sans remords. Un ethnocide n’est rien si cela
permet à une partie de l’humanité de rejoindre la culture du maître. Inutile d’argumenter pour
défendre “l’âme des peuples (13)”, le seul débat doit se faire autour des moyens de lutte. Et peut-être,
comme dit mon ami Nabil, que “nous ne devons exclure aucun moyens, fussent-ils en dehors du
droit.”

Raphaël Kempf - raphaelkempf@mada-research.org


Notes :

1 - Editorial, “A Potential Turning Point”, Haaretz, 11 février 2007.
2 - Interview de Ghazi Hamad, “Wide and flexible”, bitterlemons.org, 26 février 2007.
3 - “Le gouvernement israélien (...) avait fini par accepter, du bout des lèvres, la feuille de route, mais avec
quatorze réserves. Pour les résumer, le gouvernement israélien n’adhérait aux dispositions du texte qu’à
condition que ce ne soit ni une feuille ni une route, qu’elle parte d’ailleurs que de son point de départ, ne
conduise pas là où elle aboutit, et passe par un autre itinéraire.” Ilan Halevi, “La ?feuille de route’ - malgré
tout”, Revue d’études palestiniennes, Hiver 2007.
4 - Elias Sanbar, Figures du Palestinien, Gallimard, 2004.
5 - Dov Hanin, député à la Knesset (Hadash - parti communiste judéo-arabe), entretien, Jérusalem, 12 février
2007.
6 - Ilan Pappé, “The 1948 Ethnic Cleansing of Palestine”, Journal of Palestine Studies, Fall 2006.
7 - Interview de Benny Morris, “Survival of the Fittest”, Haaretz, 9 janvier 2004.
8 - Pierre Clastres, “Ethnocide”, Encyclopedia Universalis.
9 - Loi fondamentale - Dignité humaine et liberté, 1992.
10 - Nadim Rouhana & Nimer Sultany, “Redrawing the Boundaries of Citizenship : Israel’s New Hegemony”,
Journal of Palestine Studies, Fall 2003.
11 - Loi fondamentale - la Knesset, section 7A, telle qu’amendée le 15 mai 2002.
12 - Elias Sanbar parle des Palestiniens expulsés en 1948 comme de “porteurs de paysages”, op. cit.
13 - Pierre Clastres.



Mada al-Carmel est un institut de recherche qui s’intéresse à la
question de la minorité palestinienne en Israël. Il a été fondé en 2000,
à Haïfa, par Nadim Rouhana, professeur de sociologie, auteur notamment
du livre "Palestinian citizens in an Ethnic Jewish State : Identities in
Conflict" (Yale University Press, 1997).

Préoccupé par le développement humain et national des Palestiniens
d’Israël, Mada al-Carmel cherche à promouvoir la recherche théorique et
appliquée concernant cette minorité nationale. Mada al-Carmel se
concentre sur les besoins sociaux, éducatifs et économiques des
Palestiniens d’Israël, ainsi que sur les notions d’identité nationale et
de citoyenneté démocratique. D’autres questions, plus larges, sont
également abordées, comme l’identité, la citoyenneté, et la démocratie
dans les Etats multiethniques.

Ces recherches sont réunies dans un grand nombre de publications, en
arabe, hébreu et anglais. Parmi celles-ci, Mada al-Carmel publie chaque
année son "Political Monitoring Report" qui réunit des articles
universitaires et recense les discriminations commises par Israël à
l’encontre de la minorité nationale palestinienne, sous diverses formes
 : lois, prises de position par des politiciens, articles de journaux,
actes de violence, etc.

Mada al-Carmel, Haïfa, mars 2007


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