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Egypte : un changement encore à venir

jeudi 28 avril 2011 - 06h:43

Gihan Shahine - Al Ahram

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Il convient de revenir sur l’image un peu utopique que la révolution a donnée de l’Egypte, écrit Gihan Shahine

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Les protestations des ouvriers du textile ont abouti à un procès historique, qui pourrait voir leur entreprise à capitaux étrangers nationalisée - Photo : Mona Dahle/Al Jazeera

La Révolution du 25 janvier qui a renversé le régime en Egypte et a su inspirer le monde par son grandiose et pacifique déroulement, n’a pas encore mis un terme aux difficultés quotidiennes de Shams, une employé de maison âgée de 35 ans. Mais cette jeune femme optimiste peut sentir dans sa vie un changement subtil, et qui finit par amener un sourire sur son visage fatigué. Elle a maintenant pour elle quelque chose dont elle ne disposait pas il y a quelques semaines encore : de l’espoir.

Shams explique qu’elle n’est pas seule à éprouver ces sentiments. « Je peux voir que beaucoup de personnes sont maintenant moins tendues, et se comportent peut-être plus poliment, » a-t-elle dit à Al-Ahram Weekly. « Je peux réellement voir un changement positif dans les personnes, comme en moi-même. Peut-être est-ce l’ancienne génération qui n’a pas beaucoup changé. »

Shams raconte que l’autobus public qu’elle prend sur le chemin de son travail quotidien s’est maintenant transformé en plate-forme de discussion politique. « Les gens sont maintenant plus politiquement orientés et ils n’ont plus peur de parler, » dit-elle. « Les passagers plus jeunes laissent maintenant plus volontiers leur siège aux personnes âgées, le harcèlement sexuel a sensiblement diminué et les gens sont généralement moins renfrognés. Si quelqu’un jette des ordures par terre, d’autres lui demandent de s’en abstenir parce qu’il est temps que nous changions. Mais peut-être est-ce la génération plus ancienne qui est la plus rétive au changement. »

Shams, qui ne s’était jamais souciée de politique, est maintenant plus positive. Pas simplement parce qu’elle s’était jointe à la foule pendant la révolution. Elle s’est également excusée d’être absente à son travail pour prendre part au vote dans le récent référendum et pour se prononcer sur des amendements constitutionnels. Et elle s’est dépêchée d’acheter une participation de 100 lires égyptiennes sur le marché boursier en réponse à un appel national pour sauver la bourse d’un possible effondrement.

Pour la première fois, Shams ressent qu’elle appartient, qu’elle fait quelque chose « pour mon pays ».

Shams est peut-être un exemple vivant des conclusions d’une récente enquête menée par l’ISDC [Information and Decision Support Centre ]. Le rapport, intitulé la Révolution du peuple égyptien. Inspirer le Monde a conclu que la révolution a fourni un bon exemple de l’éthique et de l’esprit de résistance du peuple d’Egypte. Le fait que les protestataires aient pu maintenir la nature pacifique de leur révolution tout en restant implacables dans leurs exigences, ont inspiré le reste du monde selon le rapport.

« La révolution a également montré la cohésion du peuple égyptien qui a étouffé les tentatives de fomenter des différents sectaires, » a relevé l’enquête. Le même rapport a noté qu’un sens du nationalisme et de la loyauté au pays a été ravivé dans le peuple, mentionnant le lancement de plusieurs campagnes de nettoyage et d’initiatives visant à reconstruire l’Egypte et pointant les comportements positifs comme exemples. « La révolution a redécouvert la jeunesse égyptienne, contestant le stéréotype selon lequel les jeunes souffrent d’un trop faible sentiment d’appartenance au pays et manquent d’une vision claire de l’avenir, » conclut le rapport.

La communauté utopique de Tahrir a en effet illuminé le monde par son attitude, son unité, sa persistance et sa capacité à s’organiser. L’usage de drogues, le harcèlement sexuel et les divisions sectaires n’ont trouvé aucun espace sur la Place Tahrir, montrée par les médias internationaux comme un bastion de la libert, où les gens ont été unis par l’amour de leur pays, engagés dans un combat honorable pour la liberté, non seulement de leur pays, mais également de leurs âmes et de leurs esprits, et pour être libérés de toutes les attitudes négatives que la répression et le désespoir ont engendrées les décennies passées.

La campagne de nettoyage de la place qui a eu lieu à la suite de la révolution a impliqué des Egyptiens de tous les âges et de toutes les classes, faisant la démonstration au monde d’un acte civil rien de moins que parfait appartenant à une révolution civile parfaite.

Mais, après la révolution, cet esprit unitaire commence à laisser transparaître des aspects sociaux négatifs. Pour beaucoup, l’avenir demeure en grande partie brumeux, et ceci se reflète sur l’humeur publique. Des sentiments mitigés exprimant de la confusion, de la crainte, de l’espoir, de la frustration et de l’abattement donnent des hauts et des bas sur le plan émotif. Il y a un problème économique sérieux, les divisions sectaires ont refait surface et l’augmentation de l’influence islamiste est sans précédent. Tout cela provoque une agitation sociale, et la prédominance des délinquants et une hausse tout à fait nette du nombre de crimes inquiètent tout le monde.

Ceci s’est normalement réfléchi sur les gens, et si l’enquête récente par le quotidien indépendant Al-Masry Al-Yom montre bien quelque chose, c’est qu’il y a de beaucoup de chemin à faire avant que les Egyptiens ne changent. L’enquête repère les mauvais comportements publics dans le trafic routier, et se réfère à la prédominance du vandalisme et des détritus comme signes que les Egyptiens ont encore à changer.

Le sociologue vétéran Samir Naim prévient que ces signes devraient être considérés comme les sous-produits d’une contre-révolution orchestrée par des membres de l’ancien régime qui, insiste-t-il, « dirigent toujours l’Egypte ». Beaucoup imaginent avec Naim que la prolifération de délinquants et la hausse soudaine d’islamistes en cette période de l’histoire font partie d’un plan ourdi par l’ancien régime pour inciter les gens à regretter ce qui s’est produit et à vouloir retrouver l’ancienne époque où, au moins, ils jouissaient de la sécurité.

« Les Egyptiens ont prouvé dans la révolution qu’ils ont une capacité latente et miraculeuse au changement, mais les conditions empêchent cette capacité et ces qualités positives inhérentes de faire surface, » a expliqué Naim. La logique de Naim est que le changement du comportement des personnes se fait selon les circonstances sociales. Ce qui revient à dire, selon lui, que vous ne pouvez pas blâmer quelqu’un de violer les règles du code de la route en l’absence de tout règlement, ou demander aux gens d’être convenables quand le pain fait défaut ou quand elles doivent patienter dans de longues files d’attente pour en obtenir.

« Jusqu’à présent, » a déploré Naim, « beaucoup de membres de l’ancien régime sont toujours à leur poste et empêchent visiblement tout progrès politique ou économique. » En attendant, ajoute-t-il, « le gouvernement n’a pas proposé de plan simple pour aborder les problèmes sociaux qui affligent la société. Pas une seule initiative nationale n’a été lancée pour combattre la pauvreté, réduire les prix, atténuer les disparités de revenus, combattre le chômage, empêcher les divers trafics— rien. »

Ce décalage économique et politique significatif ainsi que l’absence de sécurité ont créé du souci et de la confusion face à un avenir qui demeure en grande partie obscur. Le fait qu’aucun pas concret n’ait été fait pour récupérer l’argent pillé par l’ancien régime, a également alimenté la colère publique, laissant peut-être ses marques les plus profondes sur les secteurs de la société les moins favorisés dont les moyens de subsistance ont été sérieusement affectés par la révolution.

Fadia, une coiffeuse, en fait partie. Fadia est frustrée car la révolution n’a fait que rendre sa vie plus dure. Le salon où elle travaille ne peut pas assurer les salaires. Mais ce qui irrite le plus Fadia est le sentiment d’insécurité qu’elle ressent à cause de la prolifération des voyous et des actes de délinquance dans le quartier où elle vit.

« Pouvez-vous imaginer que j’ai toujours des ciseaux sous la main pour pouvoir me défendre sur le chemin de ma maison quand je rentre tard le soir après le travail ? » se plaint Fadia. « Les choses empirent de plus en plus. Regardez comment le trafic automobile devient de plus en plus incontrôlable, et voyez la quantité de déchets qui salissent les rues. »

Le psychiatre Ayman Ammar en déduit que la plupart des aspects comportementaux négatifs que nous voyons dans les rues sont aujourd’hui répandus parmi les strates moyennes-inférieures et inférieures de la société qui ont toujours vu leurs besoins fondamentaux insatisfaits. « C’est dans les catégories moyennes et moyennes-supérieures de la société que l’on espère un avenir et que l’on voit un signe positif de changement du fait d’une participation plus forte sur le plan politique et d’un sentiment d’appartenance [à l’Egypte]. »

Le récent référendum sur les amendements constitutionnels, qui a vu une participation sans précédent des électeurs et où aucune violence ou obstruction ne s’est produite, est une manifestation supplémentaire de ces signes positifs de changement.

Mais dans tous les cas, a noté Ammar « nous avons exagéré nos attentes quand nous avons pensé que tous les Egyptiens s’étaient transformés après la révolution. » Après tout, insiste Ammar, les « gens ne peuvent pas changer du jour au lendemain et ceux qui se sont joints aux manifestations représentaient une partie de la population, et non sa totalité.

« Ceux que l’on voit se comporter négativement ne sont probablement pas les mêmes que ceux qui ont mené la révolution pacifique qui a inspiré le monde entier, ou ceux qui se sont engagés dans des campagnes de nettoyage, » explique encore Ammar.
En tant que psychiatre, Ammar souhaiterait immédiatement expliquer l’expérience utopique de la Place Tahrir dans le contexte plus vaste de « l’éthique des révolutions et des crises. »

« Normalement le peuple agit de façon positive et unitaire face à l’adversité et lorsqu’il défend une grande cause pour laquelle les gens sont prêts à mourir, » explique-t-il. « C’est un instinct humain élémentaire. »

Mais pour soutenir cet esprit positif révolutionnaire, Ammar et Naim insistent sur l’idée que quelques pas concrets doivent être faits sur le terrain. Les deux suggèrent que le gouvernement lance un grand projet national qui engagerait les jeunes, exploiterait leurs capacités et renforcerait leur sentiment d’appartenance [à la nation], les unissant pour une puissante cause commune.
Mais pour l’instant, Naim est satisfait des progrès comportementaux maintenant « inamovibles » jusqu’à présent réalisés, lesquels, insiste-t-il « sont bien au-delà des questions de respect ou non du code de la route. »

« Les Egyptiens ont rompu, et pour toujours, la barrière de la peur, pas simplement celle de l’ancien régime, mais également celle de toutes les sortes d’autorité sur les esprits et la pensée, » explique Naim. « Ils se sont prouvés à eux-mêmes qu’ils avaient de la constance, un sens du patriotisme, une conscience politique et qu’ils étaient civiques par nature. »

7 avril 2011 - Al-Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article à : <br/http://weekly.ahram.org.eg/2011/104...
Traduction : Nazem


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