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Si Assad tombe, nous verrons toutes les alliances se défaire dans la région

jeudi 14 avril 2011 - 21h:50

Patrick Seale - The Guardian

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Le président syrien n’est pas le seul à suivre anxieusement les manifestations. Le changement du régime refaçonnera le Moyen-Orient

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Certaines organisations avancent le chiffre de plus de 200 tués depuis le début des manifestations en Syrie. Des chiffres contestés par le gouvernement syrien.

Le régime syrien, longtemps acteur clé dans le jeu du pouvoir au Moyen-Orient, à décidé de riposter de toute sa force. Il semble déterminé à briser le raz-de-marée des manifestations populaires qui ont écrasé les régimes tunisien et égyptien, qui menacent les gouvernements libyen, yéménite et de Bahreïn, et qui contestent maintenant le pouvoir de l’État dans une dizaine de villes syriennes.

Si le régime syrien du président Bashar al-Assad n’arrive pas à réaffirmer son autorité, qu’il est renversé ou simplement affaibli par une longue période d’agitation populaire, il pourrait s’ensuivre des répercussions géopolitiques considérables. Les alliés de la Syrie - la République islamique d’Iran, le mouvement Hezbollah de résistance chiite au Liban, le gouvernement du Hamas à Gaza - seraient tous sous pression. Pour tous les trois, il serait dur de perdre le soutien syrien .

Israël considérera indubitablement cette évolution avec beaucoup de satisfaction. Il y a longtemps qu’il cherche à rompre l’axe Téhéran - Damas - Hezbollah - Hamas qui conteste sa suprématie régionale - allant jusqu’à acquérir une certaine capacité de dissuasion, chose intolérable pour les Israéliens. Toutefois, la satisfaction d’Israël pourrait être tempérée par la crainte de voir se substituer à Assad un régime islamiste, encore plus menaçant pour ses intérêts et sa sécurité.

Pour le moment, tout ce que l’on peut dire est que les concessions et les promesses faites jusqu’ici par Assad sont trop modestes et sont arrivées trop tard pour satisfaire les protestataires. Les derniers jours, on a assisté à une reprise en force des manifestations dont la fureur, la participation et les slogans lancés contre le régime, prennent des allures d’ insurrection. Le régime a riposté en ouvrant le feu, en instaurant des couvre-feu, en procédant à des arrestations en masse et en encerclant des villes et des villages. Quelque 200 manifestants auraient été tués.

On ne rigole plus. Le ministère syrien de l’intérieur a lancé un avertissement glacial le week-end dernier : « il n’y a plus de place pour l’indulgence et la tolérance dans l’application de la loi, la préservation de la sécurité du pays et des citoyens et la protection de l’ordre public ».

Tous les observateurs s’accordent à dire que les faucons du régime l’ont emporté dans leur débat avec les réformateurs, à supposer qu’il y ait vraiment eu un débat. Les manifestants ont à leur tour durci leur position face à la réaction brutale du régime. Pointant d’un doigt accusateur les proches du président - son frère, Maher al-Assad, commandant de la garde républicaine et son cousin, Rami Makhlouf, homme d’affaires démesurément riche - certains exigent, non pas de simples améliorations dans le mode de gouvernement de la Syrie, mais un changement de régime.

Il est évident que dans son discours du 30 mars - sa seule intervention publique jusqu’ici - le président a raté l’occasion historique d’affirmer son leadership et de retirer la situation du bord de l’abîme. S’il avait annoncé des mesures qui n’ont que trop tardé - comme lever l’état d’urgence, libérer les prisonniers politiques et les militants des droits humains, traduire en justice les gros bonnets corrompus du régime - limiter le pouvoir des services de sécurité, autoriser de nouveaux partis politiques à défier le monopole que le Baath détient depuis 50 ans - il aurait pu mener son pays vers une démocratie sur le modèle turc, comme son ami et allié, le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, le lui avait conseillé.

Il pourrait encore s’en sortir en annonçant de spectaculaires réformes immédiates. Mais les intérêts puissants qui dépendent du régime pourraient rendre un changement radical impossible. Au lieu de cela, la Syrie pourrait être condamnée à une lutte douloureuse entre régime et opposition qui se déroulera dans la rue avec de plus en plus de violence. Le bras armé du régime pourrait l’emporter, mais à un prix énorme pour sa légitimité déjà très ébranlée.

À une échelle plus vaste, la région voit se défaire des alliances formées pendant une période critique, il y a 30 ans, à savoir le traité de paix entre l’Égypte et Israël en 1979 ; la révolution iranienne la même année ; l’invasion dévastatrice du Liban par Israël en 1982, suivie par une occupation de 18 ans du sud de ce pays qui a amené l’émergence du Hezbollah. Ayant été l’allié de la Syrie pendant la guerre de 1973, l’Égypte a changé de camp pour devenir le partenaire de paix d’Israël. L’Iran, allié d’Israël sous le Shah, a changé de camp sous la République islamique, pour devenir l’allié de la Syrie. La Syrie et Israël ont échangé leurs partenaires.

Ces arrangements sont maintenant menacés. L’Égypte post - Mubarak prendra probablement ses distances par rapport à Israël et rejoindra le camp arabe, tandis que l’alliance de la Syrie avec l’Iran - impopulaire auprès d’une population en majorité sunnite - pourrait être compromise par tout changement de régime à Damas. D’autres bouleversements de la carte géopolitique régionale toucheraient la Turquie, acteur bienveillant, promouvant le commerce et la solution des conflits tandis que l’Irak remonterait lentement la pente pour redevenir une puissance arabe majeure après avoir été saccagé par Tony Blair, George Bush et les néoconservateurs étasuniens pro-israéliens.

Allons-nous donc assister à un remaniement des alliances formées il y a 30 ans ? L’Irak et l’Iran qui se sont livré une âpre guerre pendant les années 80 pourraient maintenant se rapprocher sous un leadership chiite. Ensemble, ils formeront un bloc redoutable. Les investissements US colossaux en hommes et en finances dans la guerre en Irak apparaîtront plus inutiles que jamais.

Certaines choses toutefois pourraient rester inchangées. Une fois que la crise s’atténuera, la Turquie continuera à cultiver son amitié avec la Syrie quel que soit le régime parce que la Syrie restera le pivot de l’ambitieuse politique arabe turque. La Turquie pourrait effectivement remplacer l’Iran en tant que principal allié régional.

Il est aussi peu probable que la crise diminue l’influence syrienne au Liban. Aucun régime syrien, quelle que soit sa couleur, ne pourrait tolérer un gouvernement hostile à Beyrouth. Sa sécurité - spécialement face à Israël - est intimement liée à celle de son voisin libanais. La vague de manifestations submergeant le monde arabe a relégué le conflit arabo-israélien à l’arrière plan. Mais ceci ne peut être que temporaire. La région ne connaîtra pas de stabilité et guère de paix tant que ce conflit ne sera pas résolu.

* Patrick Seale est un analyste et auteur réputé sur le Proche-Orient. Contributeur régulier à Gulf News. Il a notamment publié des ouvrages sur l’histoire contemporaine de la Syrie et une biographie d’Abu Nidal.

11 avril 2011 - The Guardian - Cet article peut être consulté ici :
http://www.guardian.co.uk/commentis...
Traduction : Anne-Marie Goossens


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