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Ne dites plus « guerre »... Dites « no-fly zone »

jeudi 31 mars 2011 - 07h:53

Tarak Barkawi - Al Jazeera

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L’Occident utilise des euphémismes pour nier un état de guerre contre Kadhafi, et prétextant une mission humanitaire.

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Utiliser uniquement la puissance aérienne contre Kadhafi est une incohérence stratégique qui aboutira très probablement à une impasse - Photo : Reuters

Les fantasmes des années 1990 sont sur ​​nous : les zones d’exclusion aérienne - la rhétorique de la guerre humanitaire à Washington, en Europe et aux Nations unies - les garanties que les troupes américaines ne seront pas envoyées au sol - une guerre aérienne qui, seule, ne peut pas avoir une influence décisive sur les événements terrestres.

Le président Obama a usé de termes alarmistes dans sa déclaration sur la Libye, condamnant la passivité face à des tyrans impitoyables qui brutalement agressent des innocents.

Dans les termes juridiques par lesquels la communauté internationale adopte une décision aussi fâcheuse que la guerre, l’ONU a décidé de protéger les civils et de créer un cordon sanitaire [en français dans le texte] autour du pays tombé dans le chaos.

Tout cela est un écho lointain de la grande époque de la Yougoslavie où l’on pensait que les peuples pouvaient être bombardés pour raison humanitaire. [...]

Peu de critiques ont même pris la peine de souligner l’évident principe sélectif. Obama ne se manifestait guère avant de s’en prendre à ce tyran en particulier, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité attribue l’état envié d’innocents à protéger à certains Libyens et non aux Syriens, aux Yéménites, aux Palestiniens ou aux Bahreïnites, et encore moins à ceux qui souffrent en Côte d’Ivoire, au Zimbabwe ou ailleurs.

Néanmoins l’idée libérale de la guerre, de l’usage de la force pour des objectifs humanitaires, continue d’obscurcir l’opinion et d’imprégner profondément les termes des communiqués officiels, dans les forums internationaux et en particulier en Europe occidentale. Cette idée dissimule aussi le caractère réel des opérations de la coalition contre la Libye.

Nier la guerre, ou l’art de l’euphémisme

La guerre libérale est très utile, en particulier aux « bons Européens », parce qu’elle nie qu’il s’agit d’une guerre. Il serait question d’une zone d’exclusion aérienne protégeant les droits de l’homme !

Alors qu’il est évident qu’ils s’allient aux rebelles libyens dans leur guerre contre le régime en place, les dirigeants de la coalition [occidentale] sont obligés de prétendre le contraire. Ils vont régulièrement et poliment informer les forces de Kadhafi de l’endroit où elles doivent se regrouper si elles veulent éviter d’être détruites au nom de valeurs universelles.

En résumé, et sans jamais l’exprimer clairement, le message à Kadhafi, c’est qu’il doit arrêter de se défendre contre ceux qui pourraient le renverser. Pourquoi, nous direz-vous, n’est-il pas possible de parler plus clairement, au moins à nous-mêmes ? Pourquoi la guerre libérale doit-elle être décrite par des euphémismes ?

Au c ?ur de la guerre libérale se trouve une contradiction entre la grande rhétorique - l’humanité, l’innocence, le mal - et la responsabilité limitée, marquée par le « pas de troupes au sol » et ses légions pathétiques de troupes de maintien de la paix envoyées par les Nations Unies.

Dans ces guerres justifiées par des motifs altruistes, les dirigeants élus des démocraties occidentales veulent épargner le sang, si ce n’est l’argent, de leurs propres concitoyens.

L’arme choisie est la puissance aérienne et le coût est une incohérence stratégique. En l’absence d’une politique au sol, les forces aériennes en sont réduites à faire sauter les choses, à regarder les résultats et à tourner au-dessus. Toutes choses étant égales, le résultat attendu est une impasse.

Plus pernicieux est la façon dont la guerre libérale fait percevoir les conflits. Cela représente un tour de main qui ne peut qu’être admiré.

Un jeu dramatique

Il y a place pour deux acteurs principaux, l’intervenant humain (généralement la dite communauté internationale conduite par l’Occident) et l’acteur barbare (une sélection de dirigeants, de régimes et de groupes ethniques qui peut changer avec le temps).

Comme par magie, les pays réels et leurs peuples, avec leurs histoires entrelacées, deviennent des personnages dans une pièce de théâtre moralisatrice, des éléments typés qui se comportent en fonction de caractéristiques innées.

Le drame est joué en différentes versions, mais dans tous les cas l’Occident s’en sort toujours bien à la fin. Mais les termes de la présentation sont solidement fixés : des intérêts et des idéaux, une tragédie et de la politique, de l’inaction bureaucratique et du charisme.

La mémoire historique est une victime si immédiate que personne ne le remarque. Les États-Unis ont mené contre les pirates barbaresques leur première guerre dans ce qui est maintenant la Libye, et c’était déjà justifié par des préoccupations humanitaires alors qu’il était question d’intérêts commerciaux [guerre de Tripoli - 1801 à 1805)].

Aveuglés que nous sommes par les récits orientés des Occidentaux et la violence des autochtones, il est devenu impossible de distinguer l’imbrication d’histoires partagées, reliées entre elles qui ont conduit au conflit actuel dans lequel les Libyens, les Occidentaux et d’autres sont impliqués.

La Libye a obtenu son indépendance en tant que royaume il y a soixante ans, les États-Unis et le Royaume-Uni, ses clients, lui fournissant de l’argent et des armes en échange de pétrole et de stabilité.

Comme ailleurs, depuis hier jusqu’à aujourd’hui, cette chimie a généré du ressentiment populaire. Elle a préparé le terrain pour des alternatives politiques, lesquelles ont été saisies par Kadhafi.

Histoire de « Funhouse » [*]

Cela pourrait appartenir à une histoire de Funhouse, qui aurait pour but de nous rappeler que même si le pouvoir est grand, ses origines sont à trouver dans une histoire conjointe avec l’Occident.

Il n’y a pas si longtemps la police des frontières de Kadhafi et ses gardes-côtes, formés et assistés par l’Union Européenne, étaient grandement appréciés par les « bons Européens » puisqu’ils aidaient à contenir les [immigrants] Africains.

Le dernier service rendu par la guerre libérale est de placer la source de la violence chez les indigènes, dans les peuples arriérés du monde non-européen et non pas chez les Occidentaux qui exploitent, envahissent, bombardent et occupent.

Si on se fie à la rhétorique officielle, le problème en Irak et en Afghanistan a apparemment à voir avec des préjugés religieux et ethniques entre les peuples de là-bas, qui de façon irrationnelle continuent à s’entretuer alors que des soldats occidentaux sont gentiment envoyés pour les moderniser.

Le prix élevé à payer pour la guerre libérale est la clarté. L’Occident risque à présent de créer une situation où les rebelles n’auront ni la permission ni les moyens de renverser Kadhafi, et où l’Occident ne le fera pas lui-même.

Comme en Bosnie et au Kosovo, fournir des armes ou autoriser des volontaires arabes violerait la neutralité supposée de l’intervention humanitaire. Kadhafi peut avoir recours à des escadrons de la mort et à des tireurs d’élite pour poursuivre son combat.

La guerre n’est pas un conte moral, mais une violente étreinte mutuelle. Une réflexion sérieuse commence par l’acceptation que nous, en Occident, sommes maintenant engagés dans une guerre et que la responsabilité éthique exige de voir au-delà des manoeuvres de séduction du libéralisme.

* Barkawi Tarak est maître de conférence au Centre d’études internationales, à l’Université de Cambridge. Il est spécialisé dans l’étude de la guerre en mettant l’accent sur le conflit entre l’Occident et les pays du Sud dans une perspective historique et contemporaine. Il est l’auteur de Globalization and War, ainsi que de nombreux articles de recherche.

Note :

* Funhouse : jeu pour enfants où l’on tourne autour d’une maison qui réserve de multiples surprises, effrayantes comme amusantes

28 mars 2011 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction : Info-Palestine.net


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