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La révolution égyptienne : 10 ans de gestation

vendredi 11 mars 2011 - 19h:09

Hossam el-Hamalawy - The Guardian

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Le mur de peur érigé par Hosni Moubarak a commencé à s’effriter lorsque le peuple a pu constater qu’il n’était pas le seul à vouloir se libérer.

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Au centre du Caire, une femme tient une inscription commémoratrice portant la date de la révolution égyptienne, mais les graines de l’insurrection ont été semées bien longtemps avant le 25 janvier - Photo : Peter Andrews /Reuters

Dans les années 1990, on ne pouvait que murmurer le nom de Hosni Moubarak. Parler politique ou faire des blagues était à éviter dans les conversations téléphoniques. Cette année, des millions d’Egyptiens se sont battus pendant 18 jours contre leur tyran vieillissant, bravant les troupes de la police qui tiraient des gaz lacrymogènes, des balles en acier recouvertes de caoutchouc et des balles réelles. Le peuple d’Egypte a surmonté sa peur, mais cela ne s’est pas produit du jour au lendemain. La révolution égyptienne, plutôt que d’être arrivée à l’improviste le 25 Janvier 2011, est le résultat d’un processus de maturation tout au long de la décennie précédente - une réaction en chaîne à partir des manifestations de solidarité avec l’Intifada palestinienne à l’automne 2000.
La poigne de fer de Moubarak et le déclenchement de la sale guerre entre les militants islamistes et le régime dans les années 1990 signifiait la mort de la dissidence dans la rue. Les rassemblements publics et les manifestations de rue ont été interdits et, si cela se produisait malgré tout, ils étaient confrontés à la force. Des armes mortelles ont été utilisées contre les grévistes. Les syndicats ont été placés sous contrôle gouvernemental.

C’est seulement après que l’intifada palestinienne ait éclaté en Septembre 2000 que des dizaines de milliers d’Egyptiens sont descendus dans les rues en signe de protestation - sans doute pour la première fois depuis 1977. Bien que ces manifestations étaient en solidarité avec les Palestiniens, elles ont rapidement pris une dimension anti-régime, et la police a voulu réprimer les manifestations pacifiques. Le président, cependant, reste un sujet tabou, et j’ai rarement entendu des slogans anti-Moubarak.

Je me souviens de la première fois en avril 2002, où j’ai entendu des manifestants scander en masse des slogans contre le président lors des émeutes pro-palestiniennes autour de l’Université du Caire. Luttant contre les forces de sécurité bien connues, les manifestants scandaient en arabe : « Hosni Moubarak est comme [Ariel] Sharon. »
La colère devait exploser sur une échelle encore plus grande avec le déclenchement de la guerre contre l’Irak en mars 2003. Plus de 30 000 Egyptiens se sont batus avec la police dans le centre du Caire, investissant brièvement la Place Tahrir, et brûlant des portraits de Moubarak.

Les scènes diffusées par Al-Jazeera et d’autres réseaux satellitaire sur l’insurrection palestinienne ou l’attaque américaine en Irak ont incité les militants à travers l’Egypte à abattre le mur de la peur, brique après brique. C’est en 2004 que les pro-palestiniens et des militants anti-guerre ont lancé le mouvement Kefaya, qui s’est attaqué au président et à sa famille.

Bien qu’il n’a pas pu créer un mouvement de masse dans la classe ouvrière et les pauvres des villes, l’utilisation par Kefaya des médias sociaux et traditionnels a contribué à modifier la culture politique dans le pays. Des millions d’Egyptiens, tout en restant assis chez eux, pouvaient voir ces jeunes militants audacieux au centre du Caire se moquant du président, portant des banderoles avec des slogans qui étaient inimaginables une dizaine d’années auparavant.

En Décembre 2006, les travailleurs de la plus grande usine de textile au Moyen-Orient située dans la ville de Mahalla dans le delta du Nil, se mirent en grève. L’action succédait à deux décennies de calme relatif dans les grèves dans l’industrie suite à la répression et à un agressif programme néo-libérale qui avait la bénédiction du FMI et de la Banque mondiale. Après leur victoire, qui a reçu une large couverture médiatique, une vague de grèves a traversé le secteur du textile, les travailleurs des autres usines exigeant les mêmes gains que ceux de Mahalla. Le militantisme dans l’industrie allait bientôt s’étendre à d’autres secteurs de l’économie. Des images de grève ont été diffusées via les médias sociaux et traditionnels, prouvant que des millions de travailleurs pouvaient peu à peu surmonter leurs peurs et organiser des protestations inspirées par les succès rencontrés dans les grèves d’autres secteurs. Comme journaliste couvrant la vague de grèves en 2007, j’ai souvent entendu des grévistes dire : « Nous avons été encouragés à réagir après que nous ayons entendu parler de Mahalla. »

Bien que critiquée par certains comme seulement économique, la vague de grèves a été en substance politique. En avril 2008, une ébauche de révolte a eu lieu dans la ville de Mahalla à propos du prix du pain. Les force de sécurité ont réprimé le soulèvement en deux jours, faisant au moins trois morts et des centaines détenus, recourant à la torture. Les scènes de ce qui a été ensuite connu sous le nom d’ « Intifada de Mahalla » auraient pu constituer une répétition générale de ce qui s’est passé en 2011, les manifestants portant des banderolles caricaturant Moubarak, se battant contre les forces de police dans les rues et s’attaquant aux symboles du Parti National Démocratique tant détesté. Peu de temps après, une révolte similaire a eu lieu dans la ville d’el-Borollos, au nord du delta du Nil.

Bien que ces soulèvements aient été réprimés, le pays a continué à être le témoin presque quotidiennement de grèves et de sit-in des travailleurs comme des petites manifestations organisées par les militants au centre-ville du Caire et dans les provinces. Les travailleurs rassemblés occupaient, au printemps et à l’hiver 2010, les abords du Parlement dans ce que les chroniqueurs locaux ont décrit comme un « le Hyde Parc du Caire ».

Les luttes politiques et économiques quotidiennes contre l’Etat montraient que la légitimité du régime de Moubarak s’érodait rapidement, pour peu qu’elle ait jamais existé.

En octobre 2010, il y avait certainement quelque chose dans l’air. Il était devenu normal de tomber sur une grève ici ou là alors que l’on se rendait à son travail. Les fonctionnaires rentrant chez eux après avoir quitté leur bureau croisaient des militants qui organisaient de petites manifestations au centre du Caire. Ils contemplaient cela et réagissaient très rarement. Mais ils ont été les témoins de scènes quotidiennes de dissidence.

La Tunisie a ensuite mené sa propre révolte, renversant un tyran et, plus important encore, la révolution tunisienne a été vue par des millions de téléspectateurs en Egypte et ailleurs, en grande partie à nouveau grâce à al-Jazeera. Ce n’était qu’un des nombreux catalyseurs - les incidents quotidiens dus à la brutalité policière en ont fourni beaucoup d’autres.

Le soulèvement qui a débuté le 25 janvier 2011 a été le résultat d’un long processus grâce auquel le mur de la peur s’est étiolé peu à peu. La clé de tout cela était que les actions sur le terrain ont été transmises sous forme d’images au plus large public possible. Rien n’aide autant à laisser sa peur de côté que de savoir qu’il existe d’autres personnes, ailleurs, qui partagent le même désir de libération et qui ont commencé à agir en ce sens.

2 mars 2011 - The Guardian - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.guardian.co.uk/commentis...
Traduction : Abd al-Rahim


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