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Facebook dans Gaza

lundi 28 février 2011 - 08h:21

Karma Nabulsi
LRB

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Du fait d’une situation palestinienne qui perdure, d’expulsions, de dépossessions et d’occupation militaire, il existe une riche tradition de déclarations et de manifestes en Palestine.

Le week-end dernier (8-9 janvier)The Observer publiait un article enflammé sur le Manifeste de la jeunesse de Gaza, rédigé en anglais par une poignée de jeunes de la bande de Gaza et diffusé sur Facebook. Vu les milliers de personnes en Occident qui auraient fait savoir qu’ils « l’avaient apprécié » ou qui auraient publié des commentaires positifs sur lui, le manifeste ne pouvait manquer d’annoncer un nouveau mouvement pour le changement en Palestine occupée.

Du fait d’une situation palestinienne qui perdure, d’expulsions, de dépossessions et d’occupation militaire, il existe une riche tradition de déclarations et de manifestes en Palestine : des centaines de Palestiniens ont écrit depuis 1948. Bayan Harakatina (Déclaration de notre mouvement, 1959) a joué un rôle important dans le recrutement de la première vague de jeunes dans le mouvement de libération palestinienne Fatah, et dans l’unification de leur conscience politique. Il a été diffusé clandestinement, « confiant » à ses lecteurs les idées clés d’un nouveau mouvement. Des documents plus récents, tel que le manifeste fondateur du Front populaire pour la libération de la Palestine (1967) a été diffusé plus ouvertement. Ces manifestes ont été rédigés par des jeunes Palestiniens organisés en tant que documents mobilisateurs exclusivement pour la jeunesse palestinienne.

Tout le monde a écrit des manifestes : Travailleurs de l’union de la Palestine a été publié par le Comité général provisoire des travailleurs de Palestine en 1962 ; le commandement national unifié de l’Intifada a publié 46 communiqués entre 1988 et 1990 ; l’Appel de la société civile palestinienne pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions (BDS) contre Israël a été lancé le 9 juillet 2005 ; le Manifeste de la Palestine a été publié l’an dernier par le Comité national pour la défense des droits inaliénables du peuple palestinien ; des dizaines de déclarations ont été aussi publiées par les comités du droit au retour dans les camps de réfugiés depuis 1998 ; les prisonniers politiques palestiniens dans les geôles israéliennes, de tous partis, ont publié en 2006 le Document de réconciliation nationale aujourd’hui célèbre.

Les déclarations et manifestes palestiniens tendent à quatre objectifs :

  • 1) aborder de façon critique la situation présente et son contexte historique ;
  • 2) donner les grandes lignes d’une réponse, en énonçant clairement les principes qui doivent en être à la base ;
  • 3) annoncer l’émergence d’un groupe organisé pour la mettre à exécution ;
  • 4) appeler la jeunesse palestinienne à rejoindre le mouvement.

La formulation y est prudente et est généralement négociée longuement entre différentes personnes et organisations. Bref, les manifestes sont une force de propositions et orientent vers une certaine forme d’action collective.

Le manifeste Gaza youth breaks out (Manifeste de la jeunesse de Gaza) n’appartient pas à cette tradition : il ne présente aucune analyse claire de la situation historique actuelle, pas plus que les grandes lignes d’une réponse. Il n’annonce pas l’existence d’un groupe organisé, et n’invite personne à rejoindre qui que ce soit. Son ton est dénonciateur plutôt qu’analytique. Son langage est apolitique : la terminologie de résistance habituelle aux manifestes palestiniens est remplacée ici par l’usage de mots crus (Merde au Hamas. Merde à Israël. Merde au Fatah. Merde à l’ONU et à l’Unrwa. Merde à l’Amérique !...). Et il lui manque une dimension mobilisationnelle. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait suscité si peu d’intérêt dans le monde arabe. L’article le plus complet à son sujet a été publié dans Al Akhbar au Liban, qui a plus ou moins repiqué sur l’article de The Observer.

Si ce manifeste n’appartient pas à la tradition palestinienne des déclarations, alors à quelle tradition appartient-il ? Manifestement, il s’empare du désespoir et de l’horreur de la vie aujourd’hui dans la bande de Gaza, et la jeunesse palestinienne trouve dans cette situation tous les droits de publier sur Facebook ou ailleurs les appels et exigences qui lui conviennent. Mais, à défaut d’être ancrées dans une vision particulière ou collective de changement, les trois exigences articulées dans le manifeste - « nous voulons être libres, nous voulons être en mesure de vivre normalement et nous voulons la paix » - n’ont pas de sens. Peut-être est-ce pour cela qu’il est si attrayant pour ceux qui l’ont lu sur Facebook, et que les médias européens et américains l’ont repris. Il satisfait aux goûts et aux souhaits occidentaux, en particulier au fantasme d’une jeunesse branchée sur le numérique qui émerge sur le cyberespace comme agent d’un changement transformationnel dans le monde réel.

Dans le cas de la Palestine, ce fantasme fait que certaines choses apaisent des consciences coupables. Il recadre la question de la justice pour la Palestine en termes vides et rassurants, lance la méthode par laquelle un changement peut s’opérer dans l’espace virtuel, et vide le corps politique palestinien des exigences exprimées et mûrement réfléchies de ses millions de citoyens.




* Karma Nabulsi est chercheuse au Nuffield College d’Oxford. Elle est ancienne représentante de l’OLP et elle a participé aux négociations de paix de 1991-1993.

10 janvier 2011 - LRB blog - traduction : JPP


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