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Plans américains pour refaire à l’Iran ce qui a été fait en Irak

vendredi 9 mars 2007 - 23h:23

Seymour M. Hersh - The New Yorker

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Plans américains pour refaire à l’Iran ce qui a été fait en Irak : l’isoler, créer des tensions ethniques, l’attaquer et changer son régime

Le Président Bush irait-il jusqu’à faire la guerre pour empêcher Téhéran d’obtenir la bombe nucléaire ? L’administration Bush, tout en préconisant publiquement la diplomatie pour dissuader l’Iran d’avoir des armes nucléaires, a augmenté ses activités clandestines à l’intérieur de l’Iran et a intensifié ses préparatifs d’une probable attaque aérienne de grande importance.

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Attentat contre la population civile en Irak - Photo : AFP

Les officiels américains de l’Armée et des services de renseigngements en poste ou en retraite disent que les états-majors des Forces Armées Aériennes dressent des listes d’objectifs à bombarder et que des groupes de combat américains clandestins sont en action en Iran pour collecter des données et établir des contacts avec des groupes ethniques minoritaires anti-gouvernementaux. Ces fonctionnaires déclarent que le Président Bush est déterminé à empêcher le régime iranien de lancer un programme d’enrichissement d’uranium prévu pour ce printemps.

Les services de renseignement américains et européens et l’Agence internationale de l’énergie atomique (l’A.I.E.A.), soupçonnent l’Iran de chercher à produire des armes nucléaires mais il n’ y a pas de consensus sur le temps que cela pourrait prendre et sur les meilleurs moyens (action diplomatique ou action militaire ?) de dissuader l’Iran. Par contre, l’Iran insiste sur le fait que sa recherche est seulement d’ordre pacifique, qu’elle se fait dans le cadre du Traité Nucléaire de Non-prolifération et qu’il n’ y a pas lieu de la retarder ou de la décourager.

Les états-majors américains et la Communauté internationale sont de plus en plus convaincus que l’objectif final de Bush, au-delà de la confrontation sur l’énergie nucléaire est bien d’abattre et de changer le régime iranien. Le Président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, a nié la réalité de l’holocauste et a déclaré qu’Israel doit « être effacé de la carte. » Selon un ancien membre bien placé des services de renseignement américains, Bush et d’autres personnes à la Maison Blanche, voient dans le président iranien un Adolf Hitler potentiel : « c’est comme cela qu’ils l’appellent et ils se demandent si Iran ne va acquérir des armes stratégiques et déclencher une autre guerre mondiale »

Un consultant gouvernemental très proche des dirigeants civils du Pentagone a dit que Bush « était absolument convaincu que « l’Iran allait fabriquer la bombe » s’il n’était pas arrêté à temps. Il a dit que le président croit qu’il doit l’arrêter « parce qu’aucun démocrate ou républicain qui sera élu après lui n’aurait le courage de le faire » , et qu’il veut que l’on se rappelle de lui pour l’avoir fait.

Un ancien fonctionnaire de la défense, qui traite toujours les questions sensibles pour l’administration Bush, m’a dit que les plans militaires se fondent sur l’hypothèse qu’ « une campagne de bombardements soutenus de l’Iran humiliera les leaders religieux et amènera la population à se soulever et à renverser le gouvernement. » Il a ajouté : « J’ai été choqué quand j’ai entendu cela et je me suis demandé quel type de drogue ils prennaient »

Le principe de renverser le gouvernement iranien a été mis en avant début mars (2006) par Patrick Clawson, expert de l’Iran, directeur adjoint au Washington Institute for Near Est Policy et supporter du Président Bush. « Tant que l’Iran restera une république islamique, il mettra tôt ou tard en ?uvre un programme d’armes nucléaires même clandestinement s’il faut, » a déclaré Clawson le 2 mars au Comité des Affaires Etrangères du Sénat. « La question principale est savoir combien de temps ce régime va-t-il encore tenir ? »

Quand j’ai parlé à Clawson, il a souligné que « cette administration faisait beaucoup d’efforts diplomatiques. » Il a ajouté cependant que l’Iran n’avait pas d’autres choix que de répondre aux demandes de l’Amérique ou de faire face à une attaque militaire. Clawson a indiqué qu’il craint qu’Ahmadinejad ne « prenne l’Ouest pour des mauviettes et ne pense que nous allons nous écraser. Nous devons être prêts à sévir contre l’Iran si la crise prend de l’ampleur. » Clawson a indiqué qu’il préférerait compter sur le sabotage et d’autres activités clandestines, telles que des « accidents industriels. » mais qu’il serait plus prudent dit-il de se préparer à une guerre plus large. Etant « donné la manière dont les Iraniens agissent, ce n’est pas comme planifier une invasion du Québec. »

Un stratège militaire m’a dit que les critiques de l’Iran par la Maison Blanche, la cadence élevée des préparatifs de guerre et le lancement d’activités clandestines en Iran montrent la mise en ?uvre d’une vraie campagne de « coercition » contre l’Iran. « On doit être prêt à y aller et on verra comment ils répondront » dit l’officier. « On doit être vraiment menaçants pour qu’Ahmadinejad recule. » Il a ajouté, les « gens pensent que Bush s’était concentré sur Saddam Hussein depuis le 11 septembre, » alors que « selon moi, s’il y a une nation qui a toujours retenu son attention, c’est bien l’Iran. » (En réponse à des demandes de commentaires détaillés, la Maison Blanche a indiqué qu’elle ne dirait rien sur les préparatif de gueere mais elle a ajouté : « comme le président l’a indiqué, nous poursuivons une solution diplomatique » ; le département de la défense a également indiqué que l’affaire iranienne était traitée par des « voies diplomatiques » traversales mais qu’elle ne les prenait pas en compte dans son travail de préparation de la guerre ; la C.I.A dit qu’elle face à des « inexactitudes » dans ses rapports mais n’a pas indiqué lesquels.)

« C’est beaucoup plus qu’une question nucléaire, » m’a indiqué à Vienne un diplomate du haut rang. « La question nucléaire est juste un point de fixation et il y a encore du temps pour l’approfondir. Mais l’administration croit qu’elle ne peut pas être fixée à moins d’avoir le contrôle des coeurs et des esprits des iraniens. La vraie question est de savoir qui va contrôler le Moyen-Orient et son pétrole dans les dix prochaines années. »

Un haut conseiller en terrorisme du Pentagone a exprimé une opinion semblable. « Cette Maison Blanche croit que la seule manière de résoudre le problème est de changer la structure du pouvoir en Iran, et le moyen pour le faire est la guerre, » a-t-il dit. Le danger, dit-il, est que cette idée « renforce également la croyance en Iran que la seule manière de défendre le pays est d’avoir des armes nucléaires. » Un conflit militaire qui déstabiliserait la région pourrait également augmenter le risque du terrorisme : « Et le Hezbollah entrera en jeu » dit le conseiller faisant référence au groupe terroriste qui est considéré comme le plus accompli dans le monde et qui forme un parti politique au Liban tout en ayant des liens étroits avec l’Iran. « Et là interviendra Al Qaeda. »

Dans les dernières semaines, Bush a tranquillement lancé une série d’entretiens avec quelques sénateurs et membres principaux du Congrès, incluant au moins un démocrate, sur les plans d’attaque de l’Iran. Un haut membre de la House of Appropriations Commitee, qui n’a pas participé aux réunions mais qui a discuté leur contenu avec ses collègues, m’a dit qu’il n’y avait eu « aucun briefing formel, » parce qu’ « ils sont peu disposés à donner des informations à la minorité politique américaine. Ils sont le Sénat à eux-seuls, en quelque sorte. »

Cette même personne m’a dit que personne lors de ces réunions « ne s’est vraiment opposée » à l’idée d’une guerre contre l’Iran. « Les gens qui y assistaient étaient les mêmes que ceux qui ont mené les accusations contre l’Irak. Tout au plus, a-t-on soulevé des questions : Comment on allait frapper tous les objectifs en même temps ? Comment on allait frapper assez profondément ? » (L’Iran a construit ses installations sous terre.) « il n’y a eu aucune pression du congrès » pour ne pas prendre des mesures militaires, dit mon interlocuteur. « La seule pression politique vient des types qui veulent aller en guerre. » Parlant du Président Bush, mon interlocuteur me dit : « la chose la plus inquiétante est que ce type se donne une mission messianique. »

Quelques opérations, apparemment en partie pour intimider l’Iran, sont déjà en cours. Depuis l’été dernier, des escadrilles américaines partant des porteurs de la mer arabe font des manoeuvres rapides simulant des bombardements avec armes nucléaires connues sous le nom de bombardements « au-dessus de l’épaule » me dit l’ex-fonctionnaire et ce dans la portée des radars des côtes iraniennes.

Le mois dernier, dans un texte présenté à une conférence sur la sécurité au Moyen-Orient à Berlin, le colonel Sam Gardiner, un analyste militaire qui a enseigné à l’université nationale de guerre avant de prendre sa retraite militaire de l’Armée de l’Air, en 1987, a fourni une évaluation de ce qui serait nécessaire pour détruire le programme nucléaire de l’Iran. Travaillant sur des photographies satellites des équipements iraniens connus, Gardiner a estimé qu’au moins quatre cents cibles devraient être frappées. Il a ajouté :
« Je ne pense pas qu’un stratège militaire américain voudra s’arrêter là. L’Iran a probablement deux usines de produits chimiques. Il faudra les frapper. Il faudra frapper les sites de missiles ballistiques de moyenne portée qui viennent juste d’être installés près de la frontière irakienne. Il y a quatorze terrains d’aviation avec abris. .... Il faudra se débarrasser de cette menace. Il faudra frapper ce qui peut menacer la navigation dans le golfe arabo-persique. Cela signifie qu’il faut frapper les sites des missiles de croisière et les sous-marins iraniens fonctionnant au diesel. .... Certains de ces équipements seront très difficiles à atteindre même avec des armes pénétrantes. Les États-Unis devront employer des unités spéciales pour les détruire. »

Un des plans initiaux de l’option militaire présenté à la Maison Blanche par le Pentagone cet hiver, suggère l’utilisation d’armes nucléaires tactiques spéciales pour détruire les bunkers telles que le B61-11. Une des cibles est l’usine iranienne des centrifugeuses à Natanz, soit près de 200 miles au sud de Téhéran. L’usine de Natanz, qui n’est plus sous le contrôle de l’A.I.E.A., est censé avoir des sous-terrains pour abriter cinquante mille centrifugeuses, des laboratoires et des zones de travail à 75 pieds sous terre. Ce nombre de centrifugeuses pourrait fournir assez d’uranium enrichi pour vingt ogives nucléaires environ par an. (L’Iran a reconnu qu’il avait caché au début l’existence de ce programme d’enrichissement aux inspecteurs de l’A.I.E.A., mais prétend que rien dans cette activité courante n’est prohibé par le Traité de Non-prolifération.) l’élimination de Natanz serait un échec important pour les ambitions nucléaires de l’Iran, mais les armes conventionnelles de l’arsenal américain ne peuvent pas assurer la destruction d’équipements à soixante-quinze pieds sous terre et roches, surtout si cela a été renforcé par du béton armé.

Il y a un précédent dans la Guerre Froide concernant les possibilités de détruire ces bunkers par des armes nucléaires. Dans le début des années 80, les services secrets américains ont noté que le gouvernement soviétique avait commencé le creusement à l’extérieur de Moscou de complexes sous-terrains gigantesques. Les analystes ont conclu que les bunkers devaient servir à abriter un gouvernement en cas de guerre atomique et protéger ainsi les leaders politiques et militaires. (Il y a des équipements similaires en Virginie et en Pennsylvanie pour les leaders américains.) Les équipements soviétiques existent toujours et tout ce que les américains savent d’eux reste classé « Top Défense ». L’indice de l’existence de ces équipements sont les puits de ventilation dont certains sont déguisés me dit mon interlocuteur. Dans ce cas, seules les armes nucléaires peuvent détruire le bunker. Il ajoute que quelques analystes américains d’intelligence croient que les Russes ont aidé les Iraniens à concevoir les équipements de leurs sous-terrains. « Nous voyons une similitude dans la conception, » notamment dans les puits de ventilation », dit-il.

Un ancien haut fonctionnaire du département de la défense m’a dit que, selon lui, un bombardement même limité permettrait aux États-Unis d’y aller et de faire assez de dommages à l’infrastructure pour ralentir le programme nucléaire. Cela est possible. » Il ajouta : « les Iraniens n’ont pas d’amis, et nous pouvons leur dire que si nécessaire nous continuerons à frapper et à détruire leurs infrastructures. Les Etats-Unis devraient agir comme si nous sommes prêts à y aller. Nous n’avons pas besoin de détruire tous leurs moyens de défense aérienne. Nos bombardiers furtifs et nos missiles fonctionnent très bien, et nous pouvons faire exploser tout ce qui est fixe. Nous pouvons aussi faire des choses sur le terrain, mais cela est difficile et dangereux (boucher les puits de ventilation et les laisser dormir.) »

Pour ceux qui connaissent les bunkers soviétiques, selon l’ancien haut fonctionnaire, il faut dire : « qu’il n’ y a pas d’autre moyen. Vous devez savoir ce qui existe sous terre, savoir quel ventilateur pour quels besoins, où se trouvent les générateurs diesel, et qu’est-ce qui est faux et qu’est-ce qui est vrai. Et il y a beaucoup de choses que nous ne connaissons pas. » Le manque d’information fiable pousse les stratèges militaires à préconiser une destruction totale des sites, ce qui laisse peu de marge pour ne pas utiliser des armes nucléaires tactiques. « Toute autre option selon les spécialistes des armes nucléaires laissera le travail inachevé, » dit l’ancien haut fonctionaire. « Radical » est le mot clé de stratèges de l’Armée de l’Air. C’est une décision difficile mais vous l’avons prise pour lancer les bombes nucléaires sur le Japon. »

Et il a continié en disant : « les stratèges nucléaires passent par une formation intensive et apprennent les techniques pour évaluer les dommages et les retombées nucléaires (nous parlons de nuages radioactifs, de rayonnement, de contamination pendant des années. Ce n’est pas un essai nucléaire souterrain, où tout ce que vous pouvez voir est un léger soulèvement du terrain. Ces politiciens n’ont aucune idée de ce que cela peut être et à chaque fois que quelqu’un essaie d’écarter l’option nucléaire, ils le conspuent. »

La mise en avant de l’option nucléaire a créé des craintes sérieuses dans les états majors réunis et certains officiers ont parlé de démissionner dit-il. L’hiver dernier, les chefs des états majors ont cherché sans succès à écarter l’option nucléaire des plans de guerre contre l’Iran, dit l’ancien fonctionnaire des services de renseignements. « La Maison Blanche a dit `pourquoi remetttez-vous en question cela, n’est-ce pas vous qui avez proposé cette option ?’ »

Le conseiller en terrorisme du Pentagone a confirmé que certaines individus de l’Administration Bush envisagent sérieusement cette option qui correpond à un regain d’intérêt pour les armes nucléaires tactiques chez des civils du Pentagone et dans des cercles politiques. Il la considère comme une « tendance lourde qui doit être arrêtée. » Il a également confirmé que quelques officiers supérieurs et des hauts fonctionnaires pensaient à démissioner à cause de cettte question. « Il y a une vraie opposition chez les militaires contre le fait de brandir des armes nucléaires contre d’autres pays, » dit le conseiller. « et cela touche les rangs élevés des militaires. » Cela va bientôt atteindre un point de non retour dit-il parce que les chefs d’état major réunis sont d’accord pour donner au Président Bush une recommandation formelle déclarant qu’ils sont fortement opposés à considérer l’option nucléaire pour l’Iran. « Les débats internes sur cette question se sont durcis ces dernières semaines » dit le conseiller. « Et, si les hauts dirigeants du Pentagone expriment leur opposition à l’utilisation des armes nucléaires, alors cela n’arrivera jamais. »

Le conseiller a ajouté, cependant, que l’idée d’utiliser des armes nucléaires tactiques dans de telles situations a reçu l’appui du Conseil de la Science de la Défense, groupe dont les membres sont choisis par le secrétaire de la défense Donald Rumsfeld. « Ils disent au Pentagone que l’on peut construire le B61 avec plus de souffle et moins de rayonnement radioactif. »

Le Président de ce groupe est William Schneider, Jr., un sous-secrétaire d’état dans l’administration de Reagan. En janvier 2001, au moment où le Président Bush se préparait à prendre ses fonctions, Schneider travaillait dans un groupe de réflexion sur les forces nucléaires, étude commanditée par le National Institute for Public Policy, un think tank conservateur. Le rapport du groupe de réflexion a recommandé de traiter les armes nucléaires tactiques comme une partie essentielle de l’arsenal des États-Unis et a souligné leur capacité « à détruire avec certitude et rapidité des cibles prioritaires beaucoup plus que ne peuvent le faire les armes conventionnelles. » Plusieurs signataires de ce rapport sont aujourd’hui des membres importants de l’administration Bush, y compris Stephen Hadley, le Conseiller National de Sécurité, Stephen Cambone, sous-secrétaire de la défense pour les renseignements, et Robert Joseph, sous-secrétaire d’état pour la Sécurité Internationale et le Contrôle des Armes.

Le conseiller du Pentagone se pose la question de l’efficacité des attaques aériennes. « Les Iraniens ont très bien réparti les sites de leur activité nucléaire, et nous n’avons aucune idée de l’endroit où se trouve l’essentiel de leur programme, qui pourrait même être localisé hors du pays » dit-il. Il souligne comme beaucoup d’autres personnes que le bombardement de l’Iran pourrait provoquer « une réaction en chaîne » avec des attaques contre les moyens et les citoyens américains dans le monde entier : « et que pensera 1.2 milliard de musulmans le jour où nous attaquerons l’Iran ? »

Avec ou sans l’option nucléaire, la liste de cibles ne peut inévitablement qu’augmenter. Un haut fonctionnaire récemment retraité de l’Administration Bush, qui est également un expert en planification de guerre, m’a dit qu’il aurait vigoureusement argumenté contre une attaque aérienne de l’Iran, parce que l’ « Iran est une cible beaucoup plus difficile » que l’Irak. Mais, il a ajouté que « quelque soit le type de bombardement que vous voulez faire pour stopper le programme nucléaire, vous pouvez commencer par améliorer votre mensonge auprès de ceux qui vous écoutent. Frappez quelques camps d’entraînement et tirez vos conclusions. »

Le conseiller du Pentagone dit qu’en cas d’attaques, l’Armée de l’Air a prévu de frapper des centaines de cibles en Iran mais que « 90% d’entre elles, n’ont rien à avoir avec la prolifération nucléaire. Il y a bien des gens qui croient que c’est la bonne manière de faire, » que l’Administration peut réaliser ses buts politiques en Iran grâce à une campagne de bombardements. Cette idée est soutenue par les neoconservateurs.

Si l’ordre devait être donné d’attaquer, les groupes de combat américains qui opèrent actuellement en Iran pourraient marquer les cibles critiques avec des rayons laser pour guider les bombardements et réduire au minimum les pertes civiles. En début de cet hiver, le consultant du gouvernement qui a d’étroites relations avec les civils du Pentagone, m’a dit que ces unités travaillaient également avec des groupes minoritaires en Iran, y compris les Azéris, au Nord, les Baluchis, au Sud-Est, et les Kurdes, au Nord-Est. Les troupes « étudient le terrain, distribuent de l’argent aux tribus ethniques, et recrutent des vigiles dans les tribus et des bergers locaux, » dit le conseiller. Le but est d’obtenir des « yeux sur le terrain » - citant un vers d’« Othello, » il dit, « donne moi des preuves oculaires. » Le but principal, dit le conseiller, est de « créer des tensions ethniques » et de dynamiter le régime.

Cette nouvelle mission des troupes de combat est developpée officiellement dans la revue quadriannuelle de la Défense de février 2006. Elle découle de l’intérêt de longue date de Rumsfeld, secrétaire de la défense, pour accroître le rôle des militaires dans les opérations secrètes alors que de telles activités conduites par la C.I.A, doivent avoir l’aval du Président et faire l’objet d’information auprès des principaux membres du Congrès.

« La protection par la force est le leitmotiv à la mode » dit l’ancien haut fonctionnaire des renseignements. Il faisait référence à la position du Pentagone pour qui les activités clandestines en tant que préparatifs du champ de bataille ou protection des troupes sont considérées comme des opérations militaires et non des opérations de renseignement et par conséquent elles ne sont pas soumises au contrôle du Congrès. « Les types dans les états majors réunis disent qu’il y a beaucoup d’inconnues sur l’Iran » dit-il. « Nous avons besoin d’en savoir beaucoup plus que ce que nous savions sur l’Irak. Maintenant nous avons le feu vert pour faire tout ce que nous voulons. »

La profonde méfiance de Bush envers Ahmadinejad a augmenté sa détermination à confronter l’Iran. Ce point de vue s’est renforcé avec les allégations selon lesquelles Ahmadinejad, aurait fait partie d’une brigade des forces spéciales des gardiens de la révolution en 1986 et qu’il aurait pu être impliqué dans des activités terroristes vers la fin des années 80. (Il y a des lacunes dans la biographie officielle d’Ahmadinejad pour cette période.) Ahmadinejad aurait eu à ce qu’il paraît des contacts avec Imad Mughniyeh, un terroriste qui a été impliqué dans les atten tats mortels contre l’ambassade des États-Unis et la caserne de la marine des États-Unis à Beyrouth, en 1983. Mughniyeh était alors le chef de sécurité du Hezbollah ; il est fiché au FBI dans la liste des terroristes les plus recherchés.

Robert Baer, qui a été membre de la C.I.A. au Moyen-Orient et ailleurs pendant deux décennies, m’a dit qu’Ahmadinejad et ses camarades Gardes de la Révolution du gouvernement iranien « sont capables de fabriquer une bombe en cachette et de la lancer sur Israel. Ce sont des Shiites apocalyptiques. Si vous êtes assis à Tel Aviv et que vous pensez qu’ils ont des armes nucléaires et des missiles, vous penserez forcément qu’il faut le leur enlever. Ces types sont des dingues, et il n’y a aucune raison de reculer devant eux. »

Sous Ahmadinejad, les gardes révolutionnaires ont augmenté leur base de pouvoir dans toute la bureaucratie iranienne ; vers la fin de janvier 2006, ils avaient remplacé des milliers de fonctionnaires avec leurs propres membres. Un ancien haut fonctionnaire des Nations Unies, qui connaît très bien l’Iran, a décrit cette opération comme un coup d’état qui a des des implications sinistres pour l’Ouest. Les « professionnels du ministère des affaires étrangères ont été mis dehors, d’autres attendent leur tour » dit-il. « On est peut être en retard. Ces types croient maintenant qu’ils sont beaucoup plus forts qu’au début de la révolution. » Il dit que cela est beaucoup plus vrai depuis l’apparition de la Chine en tant que superpuissance car l’attitude des iraniens est d’envoyer au diable l’Ouest et de penser qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent.

La position du chef religieux suprême de l’Iran, l’Ajatollah Khamenei, est pour beaucoup d’experts plus importante que celle d’Ahmadinejad. « Ahmadinejad n’est pas sous contrôle » dit un diplomate européen. Le « pouvoir est diffus en Iran. Les gardes de la révolution sont parmi les soutiens principaux du programme nucléaire, mais, finalement, je ne pense pas qu’ils en ont la charge. Le chef suprême a le droit de véto sur le programme nucléaire, et les gardes de la Révolution ne feront rien sans son aval. »

Le conseiller en terrorisme du Pentagone dit que « permettre à l’Iran d’avoir la bombe n’est pas quelque chose qu’il faut négocier. Si nous ne pouvons pas envoyer des bombes nucléaires sur un nid de terroristes, c’est parce que cela est tout simplement trop dangereux. » Il ajouta, « Tout le débat en interne est de savoir comment y aller pour stopper le programme nucléaire iranien. » Il est possible dit le conseiller, que l’Iran renoncera unilatéralement à son programme nucléaire et devancera une action militaire américaine. « Dieu peut nous sourire mais je ne pense pas cela ira dans ce sens. La ligne à ne pas franchir est que l’iran ne doit devenir une puissance nucléaire. Le problème est que les Iraniens réalisent que c’est seulement en devenant une puissance nucléaire qu’ils peuvent se défendre contre les États-Unis. Quelque chose de mauvais nous attend. »

Alors que presque personne ne discute les ambitions nucléaires de l’Iran, il y a des débats intenses pour savoir combien il faudrait de temps pour fabriquer la bombe et ce qu’il y a lieu de faire. Robert Gallucci, un ancien expert gouvernemental en matière de non-prolifération, doyen actuellement de School Foreign Office à Georgetown, m’a dit : « compte tenu de ce que je sais, l’Iran pourrait arriver dans huit à dix ans » à développer une arme nucléaire opérationnelle. Gallucci a ajouté : « s’ils avaient un programme nucléaire secret et que nous pourrions le prouver, et nous ne pourrions pas l’arrêter par voie de négociations, diplomatie, ou menace de sanctions, je serais d’accord pour le supprimer. Mais si vous la faites » - lancer la bombe nucléaire sur l’Iran « sans pouvoir montrer qu’ il y a un programme secret, vous aurez des ennuis. »

Meir Dagan, Chef du Mossad, service du renseignement israélien, a dit à la Knesset en décembre dernier que l’ « Iran a un à deux ans au plus tard pour enrichir l’uranium nécessaire pour fabriquer une bombe. De ce point de vue, la réalisation de leur arme nucléaire est simplement une question technique. » Dans une conversation avec moi, un haut fonctionnaire israélien des renseignements a parlé de ce qu’il a appelé la duplicité iranienne : « L’iran a deux programmes parallèles, un programme déclaré officiellement à l’A.I.E.A. et un programme secret dirigé par les militaires et les gardiens de la révolution. Les fonctionnaires israéliens ont à plusieurs reprises avancé cet argument mais ils n’ont apporté aucune preuve publique. Richard Armitage, député secrétaire d’état dans le premier mandat de Bush, m’a dit « je pense que l’Iran a un programme secret d’armes nucléaires, je le crois mais je ne peux pas le prouver. »

Ces derniers mois, le gouvernement pakistanais a permis aux États-Unis d’approcher A.Q. Khan, le soi-disant père de la bombe atomique pakistanaise. Khan, qui vit maintenant en état d’arrestation à Islamabad, est accusé d’avoir mis en place un marché noir des matériaux nucléaires ; il a fait au moins une visite clandestine à Téhéran vers la fin des années 80. Pendant ans les interrogatoires les plus récents, Khan a fourni des informations sur la conception des armes de l’Iran et son calendrier pour construire une bombe. « le danger est incontestable » dit l’ancien haut fonctionnaire des renseignements. (Le conseiller du Pentagone a également confirmé que Khan « chantait comme un canari. ») Le souci, dit l’ancien haut fonctionnaire, est que « Khan a des problèmes de crédibilité. Il est impressionable et il dit aux conservateurs ce qu’ils veulent entendre » ou ce qui pourrait être utile au président du Pakistan, Pervez Musharraf, qui est sous pression pour aider Washington dans sa guerre contre le terrorisme.

« Je pense Khan nous mène en bâteau » dit l’ancien fonctionnaire des renseignements. « Je ne connais aucune personne qu’il cite, c’est un peu le pistolet qui fume mais ses lumières sont en train de s’éteindre. Il nous ?fourgue’ nos propres informations. La C.I.A., qui est grillée par l’affaire des armes de destruction massive en Irak va au Pentagone et à l’énonciation du bureau du vice-président, `que c’est toute la nouvelle substance.’ Les gens de l’Administration disent, `que nous en avons assez.’ »

Le crédibilité de l’Administration dans le cas de l’Iran est compromise pour avoir manipulé les renseignements pour accréditer l’idée des armes de destruction massive en Irak. Dans un essai récent sur le site Web de politique étrangère, intitulé « dupez-moi deux fois » Joseph Cirincione, directeur pour la non-prolifération à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, a écrit, « la stratégie de l’Administration Bush semble être un effort de rééditer son succès de propagande pour faire la guerre à l’irak. » Il a noté plusieurs parallèles : Le vice-président des Etats-Unis donne un important discours centré sur la menace d’une nation riche en pétrole dans le Moyen-Orient. La secrétaire d’état des États-Unis dit au congrès que la même nation nous lance le défi global le plus sérieux. Le secrétaire de la défense accuse cette nation d’être le principal support du terrorisme global.

Cirincione pense que certaines affirmations de l’Administration Américaine sur l’Iran ne sont fiables et elles manquent de preuves. Quand je lui ai parlé, il a répondu en disant : « que savons-nous ? Quelle est la menace ? La question est de savoir si cette menace est imminente et la réponse ne peut être donné par la communauté du renseignement et l’A.I.E.A. » (En août, le Washington Post a souligné que l’évaluation nationale des services de renseignements la plus complète prévoit une décennie pour que l’Iran devienne une puissance nucléaire)

L’année dernière, l’administration de Bush a informé les fonctionnaires de l’A.I.E.A. sur ce qu’il y avait de nouveau et d’alarmant concernant le programme des armes iraniennes et ce à partir des données tirées d’un ordinateur portable d’un iranien. Les nouvelles données comprennent plus de mille pages de schémas techniques des systèmes d’armes. Le Washington Post a signalé qu’il y avait également des conceptions pour un petit équipement qui pourrait servir dans le processus d’enrichissement d’uranium. Les fuites organisées au sujet de cet ordinateur portable sont devenues le point central des histoires publiées dans le Times et ailleurs. Ces histoires suggéraient que les matériels auraient pu être fabriqués et ils citaient des hauts fonctionnaires américains pour le confirmer. Le titre dans le Times était le suivant « A PARTIR DE L’ORDINATEUR, LES USA CHERCHENT A DEMONTRER LES OBJECTIFS DE L’IRAN. »

Des fonctionnaires américains et européens du renseignement, m’ont dit, cependant, que l’ordinateur portable était plutôt suspect et révélait dans tous les cas moins de choses que ce qui a été dit. L’Iranien qui avait possédé cet ordinateur portable, avait été au commencement recruté par des agents allemands et américains du renseignement qui travaillaient ensemble. Par la suite, les Américains l’ont laissé tomber. Les Allemands ont gardé un ?il dessus mais il a été pris par la force iranienne du contre-renseignement. On ne sait pas où il est aujourd’hui. Quelques membres de sa famille sont parvenus à quitter l’Iran avec son ordinateur portable qui a été remis à une ambassade des États-Unis, apparemment en Europe. C’était un classique « walk-in. »

Un officiel du renseignement européen m’a dit « il y a beaucoup d’hésitation de notre part » au sujet de ce que les matériels du portable peuvent réellement prouver, « et nous ne sommes toujours pas convaincus. » Les schémas n’étaient pas méticuleux comme pouvaient le suggérer les journaux et ils avaient plutôt le caractère de croquis » dit-il. ...

La menace d’action militaire américaine a créé la consternation aux sièges sociaux de l’A.I.E.A., à Vienne. Les fonctionnaires de l’agence croient que l’Iran veut être capable de fabriquer une arme nucléaire, mais « personne n’a présenté la moindre preuve de l’existence d’un programme parallèle d’armes nucléaires » me dit le diplomate de haut rang. La meilleure estimation de l’A.I.E.A. est que l’Iran est à cinq années avant de fabriquer une bombe nucléaire. « Mais, si les Etats-Unis font quoi que ce soit de militaire contre l’Iran, ils feront du développement d’une bombe une question de fierté nationale iranienne, » dit le diplomate. « Toute la question est d’évaluer les risques des intentions iraniennes, seulement les Américains ne feront pas confiance au régime iranien. L’Iran est une menace pour la politique américaine. »

À Vienne, on m’a raconté la rencontre excessivement explosive en début d’année entre Mohamed ElBaradei, directeur général de l’A.I.E.A., qui a obtenu l’année dernière le prix nobel de la paix et Robert Joseph, sous-secrétaire d’état pour la limitation des armements. Le message de Joseph était brutal dit un diplomate : « Nous ne voulons pas voir une seule centrifugeuse tourner en Iran. L’Iran est une menace directe à la sécurité nationale des Etats-Unis et de nos alliés, et nous ne le tolérerons pas. Nous voulons que vous nous donniez un engagement ferme que vous ne diriez rien publiquement qui nous portera tort. »

La lourde menace de Joseph était inutile dit le diplomate, puisque l’A.I.E.A. avait déjà décidé de prendre une position dure contre l’Iran. « Tous les inspecteurs étaient fâchés d’avoir été induits en erreur par les Iraniens, et certains pensent que les dirigeants iraniens sont des cinglés, 100% totalement cinglés » dit le diplomate. Il a ajouté que la conviction d’ElBaradei est que les dirigeants iraniens « cherchent la confrontation, tout comme les neoconservateurs de l’autre côté » - à Washington. « À la fin, cela fonctionnera seulement si les Etats-Unis acceptent de parler aux Iraniens. »

La question centrale, celle de savoir si l’Iran est en mesure d’enrichir l’uranium pour obtenir des armes nucléaires, est maintenant devant le Conseil des Nations Unies où les Russes et les Chinois sont peu disposés à imposer des sanctions à Téhéran. Un ancien fonctionnaire de l’A.I.E.A. m’a dit en mars 2006, découragé, qu’« il n’y a rien que puissent faire les Iraniens qui peut avoir des conséquence positifs. La diplomatie américaine ne cherche pas à les accréditer. Même s’ils annoncent l’arrêt de l’enrichissement de l’uranium, personne ne les croira, c’est un cercle vicieux. »

Un autre diplomate à Vienne m’a demandé : « pourquoi l’Ouest prendrait le risque d’aller en guerre contre ce type d’objectifs sans laisser à l’A.I.E.A. le temps de vérifier ? Il faut aller au moindre coût car nous pouvons mettre en place une stratégie qui forcera l’Iran à mettre ses cartes sur table. » Un ambassadeur occidental à Vienne a exprimé le même désespoir quant à la disqualification de l’A.I.E.A. par la Maison Blanche. « Si vous ne croyez pas l’A.I.E.A. capable de faire des inspections, si vous ne lui faites pas confiance, vous n’avez qu’à bombarder sans attendre l’Iran. »

Il y a peu de sympathie pour l’A.I.E.A. au sein de l’Administration Bush ou parmi ses alliés européens. « Nous sommes déçus par le Directeur Général de l’A.I.E.A » me dit le diplomate européen. « Son approche de base est de décrire le conflit avec l’Iran comme un conflit entre deux parties à juger sur le même plan. Or ce n’est pas le cas. Nous sommes du bon côté ! ElBaradei a avancé l’idée de laisser l’Iran avoir un petit programme d’enrichissement nucléaire, ce qui est absurde. Ce n’est pas son problème d’émettre des idées qui posent un risque sérieux de prolifération. »

Les Européens sont cependant inquiets parce qu’ils sentent de plus en plus que le Président Bush et le vice-président Dick Cheney pensent qu’une campagne de bombardements est nécessaire mais que leur vrai but en fait est de changer le régime en place. « Nous sommes sur la même longueur d’onde en ce qui concerne la bombe nucléaire mais les USA veulent en plus le changement du régime iranien » me dit un conseiller diplomatique européen. Il a ajouté « les Européens ont un rôle à jouer tant qu’ils n’ont pas à choisir entre la position des Russes et des Chinois d’une part et celle des Américains d’autre part, choix qui peut les entraîner à aller là où ils ne veulent pas aller. La politique des Européens est de garder les Américains dans la bonne voie et cela n’est pas facile. »

« Le Britanniques pensent que c’est une très mauvaise idée » me dit Flynt Leverett, un ancien membre du Staff du Conseil de Sécurité Nationale qui est maintenant un Haut membre au Brookings Institution’s Saban Center. « Ils (britanniques) sont vraiment inquiets que nous puissions bombarder et changer le régime iranien. » Le conseiller diplomatique européen a reconnu que le Foreign Office britannique était au courant des préparatifs de guerre à Washington mais « ... il va être très difficile d’aligner les Européens sur la position américaine. » Il a dit que les Britanniques « sont très inquiets que les Américains n’aillent à fond contre les Iraniens sans chercher de compromis. »

Le diplomate européen a dit qu’il était sceptique sur le fait que l’Iran n’admette ce qu’il fait mais qu’« au moins, l’on sait bien que les possibilités iraniennes ne sont pas au point de lancer avec succès leurs centrifugeuses » pour enrichir l’uranium en quantité. Une raison des raisons de poursuivre les efforts diplomatiques est dit-il le pragmatisme iranien. « Le régime agit dans le cadre de ses meilleurs intérêts » dit-il. Les dirigeants iraniens « prennent une ligne dure dans leur approche de la question nucléaire et ils veulent faire face au bluff américain » en pensant « que plus ils sont intransigeants, plus l’Ouest pliera probablement. » Mais dit-il « ce que nous savons des Iraniens, c’est qu’ils apparaissent superconfiants en eux-mêmes jusqu’au moment, où ils feront volte-face. »

Le diplomate continua : « on ne doit pas récompenser les mauvais commportements et ce n’est pas l’heure de faire des concessions. Nous devons trouver les moyens d’imposer des coûts suffisamment lourds pour ramener le régime iranien à la réalité. Cela va être un appel clair et je pense que si nous sommes unis et si les sanctions sont suffisantes, ils reculeront. Il est trop tôt pour abandonner la voie diplomatique internationale. » Il a ajouté, « si le processus diplomatique ne fonctionne pas, il n’ y a pas de solution militaire non plus.Il peut y avoir une option militaire, mais son impact pourrait être catastrophique. »

Tony Blair, le premier ministre britannique, était l’allié le plus sûr de George Bush dans l’année qui a précédé l’invasion de l’Irak. Actuellement, lui et son parti sont éclaboussés par une série de scandales financiers, et sa popularité est au plus bas. Jack Straw, le ministre des affaires étrangères, a dit l’année dernière que l’action militaire contre l’Iran était « inconcevable. » Blair a été plus circonspect en disant publiquement qu’on devrait ne jamais prendre des options sans discuter au préalable.

D’autres fonctionnaires européens ont exprimé un scepticisme semblable au sujet de l’efficacité d’une campagne américaine de bombardements militaires. « L’économie iranienne est dans une mauvaise forme, et Ahmadinejad est dans la mauvaise passe politiquement, » me dit le fonctionnaire européen des renseignements. « Il bénéficiera politiquement du bombardement américain. Vous pouvez le faire, mais les résultats seront plus mauvais. » Une attaque américaine dit-il aliénerait les Iraniens ordinaires, y compris ceux qui pourraient être bien disposés par rapport aux États-Unis. L’« Iran ne vit plus dans l’âge de pierre, et sa jeunesse a accès aux films et aux livres des États-Unis, et ils l’aiment, » dit-il. « S’il y avait une offensive de charme en Iran, les mollahs auraient des ennuis à la longue. »

Un autre fonctionnaire européen m’a dit qu’il se rendait compte que beaucoup de personnes à Washington veulent une attaque américaine. « C’est toujours les mêmes types, » dit-il avec un geste de fatalité. « On croit que la diplomatie est condamnée à échouer et le temps nous est compté. »

Israel est un allié important avec une voix qui compte. Ses dirigeants ont mis en garde depuis des années disant que la tentative de l’Iran d’enrichir l’urannium arrivait à un point de non retour. Plusieurs fonctionnaires américains m’ont dit que l’intérêt de la Maison Blanche est d’empêcher Israël d’attaquer un pays musulman, attaque qui risquerait de provoquer des réactions violentes dans la région. C’est cela qui pousse les Américains à faire ses préparatifs de guerre. Dans un discours à Cleveland le 20 mars, le Président Bush a dépeint l’hostilité d’Ahmadinejad envers Israel comme une « menace sérieuse. C’est une menace à la paix du monde. » Il a ajouté, « je l’ai dit clairement, je le dis clairement encore, que nous emploierons des moyens militaires pour protéger notre allié, Israel. »

N’importe quel projet de bombardement américain, m’a indiqué Richard Armitage devrait considérer les questions suivantes : « Que va-t-il se passer dans les autres pays musulmans ? Quelle capacité l’Iran a-t-il de nous atteindre et de nous toucher globalement par le terrorisme ? La Syrie et le Liban augmenteront-ils leur pression sur Israel ? Quelle conséquence aura cette attaque sur notre position internationale déjà diminuée ? Et quells sont les conséquences sur la Russie, la Chine, et le Conseil de sécurité ? »

L’Iran, qui produit maintenant presque quatre millions de barils de pétrole par jour, ne devrait pas arrêter sa production pour perturber les marchés du pétrole du monde. Il pourrait bloquer ou miner le détroit d’Ormuz, qui est large de 34 miles par lequel transite le pétrole du Moyen Orient pour atteindre l’Océan Indien. Néanmoins, le fonctionnaire de la défense récemment retraité écarte les conséquences stratégiques de telles actions. Il m’a dit que la marine américaine pourrait maintenir la circulation marine ouverte grâce à des missions de sauvetage et en mettant en place des dragueurs de mines. « Il est impossible de bloquer le passage, » dit-il. Le consultant gouvernemental qui a des relations avec le Pentagone a également dit qu’il croit que le problème du pétrole pourra être maîtrisé précisant que les États-Unis ont des réserves stratégiques pour tenir soixante jours. Mais les experts des affaires pétrolières auxquels j’ai parlé, sont moins optimistes ; un expert en matière d’industrie a estimé que le prix du baril pourrait grimper immédiatement partout dans le monde de 90 à 100 $ et encore plus selon la durée et la portée du conflit.

Michel Samaha, un ancien politicien chrétien libanais et ancien ministre du conseil à Beyrouth, me dit que les réprésailles iraniennes pourraient se concentrer sur le pétrole et les gisements de gaz sans défense en Arabie Saoudite, au Qatar, au Koweit, et aux Emirats Arabes Unis. « Ils seront en danger, » dit-il « et cela peut être le début du vrai jihad de l’Iran contre l’Ouest. Vous aurez un monde sens dessus sens dessous. »

L’Iran pourrait aussi lancer des vagues d’attaques terroristes en Irak et ailleurs, avec l’aide de Hezbollah. Le 2 avril, le Washington Post a signalé que les préparatifs de guerre pour parer à de telles attaques « prennent beaucoup de temps » aux agences de renseignements des États-Unis. « Le meilleur réseau de terreur dans le monde est jusque là demeuré neutre dans la guerre contre le terrorisme depuis plusieurs années, » dit le conseiller sur le terrorisme du Pentagone en parlant du Hezbollah. « L’attaque contre l’Iran les mobilisera et nous mettra face au groupe qui a bouté Israel hors du Liban du Sud. Si nous attaquons l’Iran, le Hezbollah ne se restera pas sur la touche. À moins que les Israéliens ne les neutralisent, ils se mobiliseront contre nous. » (Quand j’ai interrogé le consultant gouvernemental sur cette possibilité, il m’a dit que, si le Hezbollah lançait ses fusées sur le Nord d’Israel, Israel et le nouveau gouvernement libanais les liquideront. »)

Le conseiller a continué, « si nous attaquons, la moitié du Sud irakien s’enflammera comme une bougie. » Les forces américaines, britanniques, et d’autres troupes de la coalition en Irak seraient sous le feu des troupes iraniennes ou celles des milices shiites répondant aux ordres de l’Iran. (L’Iran, qui est en majorité shiite, a des liens étroits avec les principaux partis shiites en Irak.) Un général 4 étoiles retraité m’a dit que malgré les huit mille soldats britanniques, « les Iraniens pourraient prendre Bassora avec dix mollahs et un camion avec un haut parleur. »

« Si vous attaquez » m’a dit le diplomate de haut rang à Vienne, « Ahmadinejad sera le nouveau Saddam Hussein du monde arabe, mais avec plus de crédibilité et plus de puissance. Vous devrez gardez votre fusil baissé et discuter avec les Iraniens. »

Le diplomate a continué : « Il y a des gens à Washington qui serait mécontents que nous trouvions une solution. Ils sont les promoteurs de l’idée d’isoler et changer le régime . C’est peut-être un rêve, mais l’occasion d’éviter la guerre est à saisir maintenant » a-t-il ajouté.

Seymour M. Hersh, 17 avril 2006 - The New Yorker - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.newyorker.com/fact/conte...
Traduit de l’anglais par D. Hachilif

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- Iran-Irak : la volte-face des Etats-Unis


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