16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Irak, Afghanistan, Iran, conflit israélo-palestinien... Bush dans la spirale de l’échec

vendredi 9 mars 2007 - 06h:38

Philippe Boulet-Gercourt

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Pour vaincre les insurgés, « six jours ou six semaines, mais probablement pas six mois » (septembre 2003, Donald Rumsfeld). « Entre cinq et douze ans » (juin 2005, le même Rumsfeld). « Les neuf mois qui viennent seront critiques » (juin 2005, Zalmay Khalilzad, ambassadeur américain à Bagdad). « Les six prochains mois seront critiques » (un an plus tard, le même Khalilzad). « Nous saurons d’ici à six mois si les résultats commencent à se matérialiser ou non » (février 2007, Paul Ryan, un congressman républicain de retour d’Irak). « Les prochains six mois seront leur horizon » (mars 2007, un proche du groupe de militaires conseillant David Petraeus, le commandant des forces américaines en Irak)... Après tant de deadlines farfelues, qui croire ? Plus personne, apparemment, si l’on sonde l’humeur du citoyen américain lambda. Quatre mois ont passé depuis la vague démocrate qui a emporté le Congrès. Quatre mois pendant lesquels la situation n’a fait qu’empirer sur tous les fronts.

Négligeant le résultat des élections, George Bush avait demandé de la patience aux Américains, le temps que 21 500 soldats supplémentaires viennent remettre de l’ordre en Irak. Mais, de la patience, le pays n’en a plus. Il flotte dans l’air un parfum de Vietnam que l’on reconnaît à cent lieues. Dans les sondages sur l’Irak d’abord : deux Américains sur trois déplorent l’envoi de troupes supplémentaires et plus de la moitié souhaitent rapatrier les boys, même si la guerre civile fait rage à Bagdad et ailleurs. Dans la cote de Bush ensuite : avec 29% d’opinion favorable, selon un sondage « New York Times »-CBS News, le Texan approche du record d’impopularité présidentielle établi par Truman au pire moment de la guerre de Corée. Le sondeur John Zogby publie même une enquête d’opinion sur les présidents dans laquelle Bush arrive bon dernier : plus de 30% le considèrent comme « un échec »... Pire que Nixon !

Mais la réalité va au-delà des simples pourcentages. Mille petits signes montrent que, dans ce pays qui sacralise ses présidents, l’actuel ne suscite plus aucun respect. Aux caisses des supermarchés, on ne compte plus les unes de la presse trash sur un supposé divorce imminent du couple Bush. Sur CNN, un « best of » cruel retrace les « étouffements, gaucheries et cassages de figure » de Bush en public. Plus personne ne s’esclaffe. Il faut vraiment un néconservateur comme Bill Kristol, du « Weekly Standard », pour découvrir que « les républicains sourient » et sont « plutôt enthousiastes ». Franchement hilarant.
Oui, un parfum de Vietnam... L’hebdomadaire « Newsweek » publie en couverture une photo de soldate amputée des deux jambes. Elle a ce regard sombre qu’on n’oublie pas. Dans la presse, les reportages se succèdent sur les horreurs de la guerre et de l’après-guerre. Une longue enquête du « Washington Post »sur le traitement des soldats blessés entraîne des démissions en série, jusqu’à celle du secrétaire d’Etat à l’Armée de terre.

Même John McCain, le candidat républicain à la présidentielle de 2008, qui applaudit à la montée en puissance militaire décidée par Bush, ne peut pas éviter un lapsus en évoquant les vies américaines « gâchées » en Irak. Un sondage - encore un - montre à quel point les Américains sont tentés par le repli : un tiers seulement se disent « satisfaits » de la position des Etats-Unis dans le monde, le chiffre le plus bas enregistré par l’Institut Gallup depuis qu’il a commencé à poser la question en 1962. Fébriles, les commentateurs dépoussièrent leurs vieux clichés : après les effets de biceps du daddy party républicain, les électeurs se réfugient dans le giron du mummy party démocrate. Clichés, certes, mais l’éternel mouvement de balancier de la psyché américaine, entre l’aventurisme international et le repli frileux, est, lui, bien réel.

Que faire ? Le mummy party, justement, se demande comment satisfaire ces enfants aux exigences compliquées. Arrêter Bush ? Facile à dire, quand votre majorité d’un seul siège au Sénat s’appelle Joe Lieberman, démocrate va-t-en guerre, et quand vos électeurs vous interdisent de priver les bidasses envoyés au front de quelque crédit que ce soit. Les sénateurs démocrates ont commencé par se faire manoeuvrer par les républicains avant de se retrouver divisés sur la marche à suivre. La Chambre des Représentants, elle, a adopté une résolution exprimant son désaccord avec l’envoi de renforts,mais elle ne sait pas comment transformer ce galop d’essai. Chaque initiative au Congrès se retrouve tiraillée entre la gauche démocrate, qui refuse le moindre compromis avec la Maison-Blanche, et l’aile droite du même parti, prétendants à la présidentielle inclus, terrifiée à l’idée de voir les démocrates revêtir l’habit de traître ou de capitulard. Mais l’opinion continue d’exiger quelque chose, sans peut-être savoir exactement quoi.

Personne, en tout cas, n’imagine que le statu quo puisse durer jusqu’à l’élection de 2008 : dans ce chaos absolu qu’est devenu l’Irak, l’unité de temps est le jour ou la semaine, pas le mois et encore moins l’année. Les démocrates continuent donc de pousser, tâchant de colmater leurs divisions loin des caméras de télévision. Mais leurs options sont limitées. Le charme de la dénonciation de principe, sans conséquence directe, a vite lassé. Il faudra bien menacer, agir sur le front budgétaire ou poser des conditions, exiger un calendrier. Les républicains mèneront une guerre de tranchées parlementaire jusqu’à l’été, peut-être l’automne. Après... Le plus surréaliste reste la situation sur le terrain. Un mélange de Kafka et de Feydeau, claquements de portes compris. En Irak, les journées violentes se suivent et se ressemblent, les troupes supplémentaires, qui commencent tout juste à se déployer, n’ont évidemment pas enrayé la désintégration du pays. S’il y a un plan militaire qui peut tenir la route, il est bien caché : les effectifs américains sont très en deçà de ce que le général Petraeus recommandait lui-même dans la nouvelle édition du manuel de campagne contre l’insurrection.

Sur l’Iran, la Maison-Blanche a commencé par croire que le monde n’avait pas changé, qu’elle pouvait faire taire les sceptiques à coups de « preuves irréfutables » des agissements iraniens en Irak. Fiasco total, même auprès des militaires. Puis elle a haussé le ton... avant d’accepter ce qu’elle avait refusé pendant des mois : des pourparlers diplomatiques avec l’Iran et la Syrie. Mais les portes claquent toujours : le vice-président Dick Cheney continue d’affirmer que « toutes les options sont sur la table » à propos de l’Iran, s’attirant un démenti précipité du secrétaire à la Défense, qui jure pour la énième fois que Washington n’a aucune intention d’attaquer l’Iran. Comme le détaille l’infatigable Seymour Hersh dans le « New Yorker », la Maison-Blanche a opté pour une stratégie de confinement actif de l’Iran en s’appuyant sur ses alliés sunnites dans la région. Peu importent les contradictions flagrantes et l’aventurisme de cette « réorientation » de la politique américaine au Moyen-Orient. Le fait, par exemple, que la grande majorité des attentats contre les Américains en Irak ont été perpétrés par des sunnites. Que le gouvernement que Washington soutient en Irak est chiite, allié de l’Iran. Ou que l’Arabie Saoudite, allié clé dans cette nouvelle stratégie, a un long passé de soutien aux sunnites les plus extrémistes.

En Afghanistan, c’est à peine plus cohérent. Le voyage de Dick Cheney s’est soldé par l’humiliation de cette bombe explosant à 1 kilomètre de l’endroit où il se trouvait pour annoncer au monde entier le retour en force des talibans. Une enquête de l’Asia Foundation montre que l’optimisme des Afghans a chuté de 20 points (44% contre 64%) depuis la veille de l’élection présidentielle de 2004. La population reste certes largement favorable aux élections démocratiques, aux droits des femmes et aux institutions nationales telles que la police ou l’armée, mais tout le monde redoute une offensive majeure des talibans après le dégel. De l’autre côté de la frontière, au Pakistan, le mécontentement américain est tel à l’encontre de Pervez Moucharraf qu’il a justifié le voyage de Cheney à Islamabad.

En Israël et en Palestine, Condoleezza Rice tente de réamorcer le processus de paix, mais elle doit compter sur deux gouvernements extraordinairement faibles et le legs de six années de soutien inconditionnel de Bush aux Israéliens. A l’échelle du monde, l’objectif le plus claironné de la diplomatie américaine - réduire la menace terroriste - s’est soldé par un échec patent, si l’on en croit le décompte effectué par Peter Bergen et Paul Cruickshank, deux chercheurs de la New York University : « Le taux d’attaques terroristes dans le monde par des groupes djihadistes et le nombre de victimes de ces attaques ont crû spectaculairement après l’invasion de l’Irak, écrivent-ils dans un article de « Mother Jones ». Globalement, l’incidence des attaques a augmenté de 607% [...] et le nombre des tués, de 237%. »

On en est là, après quatre mois de cohabitation. Un président qui a ouvert la boîte de Pandore de l’Irak et ne sait plus comment la refermer. Un vice-président totalement déjanté qui accuse la présidentedémocrate de la Chambre, Nancy Pelosi, d’« encourager les terroristes » avec ses positions sur l’Irak. Une majorité parlementaire démocrate qui veut faire plier bagage à l’armée, mais qui réalise aussi que tout le Proche-Orient est sur le point de s’embraser. Et une opinion qui se moque des subtilités géopolitiques et ne souhaite qu’une chose : se recroqueviller à l’intérieur de ses frontières et oublier ce monde hostile qui l’entoure. Au choix : cela peut finir mal. Très mal. Ou affreusement mal.

Philippe Boulet-Gercourt, correspondant aux Etats-Unis - Le Nouvel Observateur, semaine du 8 mars 2007, n°2209


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.