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Israël, l’Amérique, et le nouveau Moyen-Orient

mardi 15 février 2011 - 06h:51

Henry Siegman - The Huffington Post

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Pratiquement du jour au lendemain, le Moyen-Orient arabe s’est transformé au point de devenir méconnaissable. Les implications de cette transformation pour les intérêts vitaux de l’Amérique dans cette région et pour la paix israélo-palestinienne seront de grande envergure. Elles seront également largement interconnectées.

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Un Président américain trouvera désormais politiquement plus facile de proposer un plan de paix américain et d’obtenir sa mise en œuvre en raison de l’impact des révolutions populaires sur les propres calculs coûts-avantages d’Israël.




La plupart des observateurs semblent s’accorder pour dire que les craintes israéliennes d’une influence politique naissante des Frères Musulmans et donc d’une résurgence du Hamas en Cisjordanie réduisent à néant le peu de chances qu’il pouvait encore exister pour un accord israélo-palestinien après la dernière impasse des pourparlers de paix sous négociation US. Mais cette conclusion pourrait bien être erronée, comme d’autres l’ont été dans le passé.

Les appréciations passées sur les perspectives d’un accord israélo-palestinien étaient totalement illusoires. Les tentatives de paix de l’Amérique au cours des années - qui ont toutes échoué - se fondaient sur le principe que « nous ne pouvions vouloir la paix plus que les parties elles-mêmes », un mantra récemment repris par la secrétaire d’État, Hillary Clinton, pour expliquer pourquoi le conflit ne pouvait être résolu que par un accord entre les parties, et non par une coercition extérieure.

La pression par les États-Unis fait défaut

En réalité, il n’y a jamais eu la moindre possibilité pour les parties elles-mêmes de pouvoir arriver à un accord, étant donné le déséquilibre écrasant de pouvoir entre elles, et étant donné l’appétit insatiable d’Israël pour la terre palestinienne. Les administrations américaines successives ont fait le choix de ne pas voir la réalité qu’Israël avait décidé de maintenir son contrôle effectif sur la Palestine « du fleuve à la mer », dès le lendemain de la guerre des Six Jours. (Voir La grande arnaque du processus de paix au Moyen-Orient - Henry Siegman, London Review of Books, vol. 29, n° 16, 16 août 2007). C’est une détermination qui aurait pu être surmontée si seulement les calculs coûts/bénéfices par Israël avaient été modifiés par une force puissante, à savoir une pression effective des États-Unis.

Ces pressions n’ont jamais eu lieu parce qu’il fallait que le Président américain du jour dise au Congrès et au public américain que l’engagement proclamé par Israël en faveur d’un retrait des territoires occupés et de création d’un État palestinien viable et souverain était une tromperie servant à couvrir l’expansion continue de ses colonies. L’AIPAC et les autres organisations fondamentalistes juives et évangéliques protestantes qui servent de lobbies en faveur d’Israël ont veillé à ce que la franchise soit beaucoup trop coûteuse politiquement pour toute administration.

Le Premier ministre d’Israël, Benjamin Netanyahu, et son gouvernement ont été convaincus d’avoir eu le dessus sur le Président Obama lors de leur confrontation sur la poursuite des constructions dans les colonies, et qu’ils pouvaient désormais continuer d’engloutir la Cisjordanie en toute impunité, au mépris non seulement des intérêts américains mais aussi du droit international et de tous les accords antérieurs où Israël s’engageait à arrêter de construire des colonies et à démanteler tous les avant-postes illégaux (*). (En dépit des promesses répétées, non seulement les avant-postes illégaux n’ont pas été démantelés, mais beaucoup d’entre eux ont été convertis en véritables colonies). L’objectif prévu à long terme de l’entreprise coloniale d’Israël - instaurer un contrôle irréversible, par le biais de ses colonies, sur toute la Palestine - était manifestement en vue, si ce n’est déjà devenu un fait accompli.

La crédibilité de l’Amérique sur le déclin

Les dirigeants israéliens ont fondé leur indifférence vis-à-vis de l’indignation populaire arabe généralisée quant à leurs quarante-quatre années d’occupation du peuple palestinien sur leur conviction que les régimes autoritaires arabes, dont la survie dépendait dans une large mesure du parapluie de sécurité des États-Unis, mettraient en échec la rage de leurs sujets. La déférence de ces régimes vis-à-vis des États-Unis a été responsable de la stabilité des accords de paix de l’Égypte et de la Jordanie avec Israël et de l’historique Initiative de paix arabe qui a commis tous les pays arabes à la normalisation complète des relations avec Israël une fois qu’il aura atteint un accord de paix avec les Palestiniens.

Mais la crédibilité et l’influence de l’Amérique ont commencé à s’éroder, avant même les récentes éruptions populaires dans la région, en partie à cause de la capitulation du Président Barack Obama devant Bibi Netanyahou. La chute de Moubarak affaiblira la volonté que d’autres régimes arabes auraient pu avoir à collaborer avec les États-Unis et Israël dans une coalition anti-iranienne et renforcera l’influence de l’Iran dans la région. Parce que l’hostilité de la plupart des régimes arabes envers l’Iran n’était pas partagée par la rue arabe, principalement du fait que l’Iran était vu par eux comme assumant un leadership dans la lutte contre l’occupation israélienne de la Palestine que leurs propres régimes arabes avaient abandonnée.

Les changements révolutionnaires en cours dans la région créent des dommages pour Israël qui pourraient bien être existentiels, selon la façon dont il y réagit. Car, avec la suppression de Moubarak, Israël peut récolter ce qu’il a semé si témérairement, et revenir à son statut antérieur de nation paria dans cette partie du monde. Le gouvernement Netanyahu a déjà prouvé que même si le sionisme n’est pas du racisme, les sionistes peuvent être racistes. C’est un gouvernement qui, par son refus aux Palestiniens d’avoir leur propre État et par l’instauration d’un régime d’apartheid israélien, peut encore parvenir à persuader le monde que le sionisme qu’il pratique est effectivement du racisme.

La colère des peuples arabes plus les humiliations des Palestiniens

En tout état de cause, le traité de paix d’Israël avec l’Égypte est ce qui a permis d’éviter à Israël d’être défiée militairement par tous les autres pays de la région. L’Égypte a de loin la force militaire la plus efficace dans le Moyen-Orient arabe, et aucun défi militaire arabe n’aurait été osé contre Israël sans la participation de l’Égypte. Un changement de gouvernement en Égypte qui met fin à la politique de Moubarak consistant à épouser la docilité de l’Amérique envers Israël compromettra de façon significative la situation stratégique d’Israël.

Peu importe les éventuels changements supplémentaires pouvant se produire dans la région, l’évolution à ce jour en Tunisie et Égypte a déjà considérablement réduit la capacité des régimes arabes restant d’opter pour le rapprochement avec Israël. Il est difficile d’imaginer que l’Initiative de paix arabe, si dédaigneusement ignorée par Israël depuis près de dix ans, ne soit pas retirée à l’avenir. Aucun régime arabe restant n’osera contester la colère populaire qui existe dans tous les pays arabes envers Israël pour les humiliations qu’Israël inflige aux Palestiniens sous son occupation sans fin. Bien que le conflit israélo-palestinien ne soit pas la première cause des bouleversements en cours, l’échec des régimes arabes à mettre fin à la dépossession des Palestiniens fait partie des griefs populaires essentiels contre leurs dirigeants.

Pour la même raison, le traité de paix de la Jordanie avec Israël n’a pas de chances de survivre si le traité de paix de l’Égypte est abrogé. Il est difficile d’imaginer que la Jordanie risquerait d’être le seul pays arabe à entretenir des relations normales avec Israël.

Une action américaine sur la Palestine est cruciale

La manipulation de l’administration Obama des réalités qui bougeaient dans le monde arabe ne gagnera pas de prix, même si sa réticence à laisser tomber Moubarak, le pilier régional de sa politique au Moyen-Orient, est compréhensible. Elle doit maintenant rattraper son retard si elle veut retrouver un peu de sa crédibilité perdue dans la nouvelle réalité qui émerge au Moyen-Orient, en particulier à la lumière de son incompétence à traiter avec le gouvernement nationaliste et xénophobe d’extrême droite de Netanyahu.

Ironiquement, c’est précisément cette question - sauver un État palestinien viable et souverain de la gueule d’une occupation israélienne inflexible sur le point d’avaler toute la Palestine - qui offre aux États-Unis une chance de rétablir une partie de sa crédibilité perdue. Si les États-Unis devaient réussir dans un tel effort permettant à un État palestinien viable de voir le jour, non seulement l’influence américaine dans la région s’améliorerait et l’Iran s’affaiblirait, mais la principale cause de l’hostilité arabe et internationale contre Israël - et du soutien populaire arabe de l’Iran - diminuerait fortement. Cela faciliterait également la capacité américaine à prendre la défense d’Israël - diplomatique ou militaire - si les circonstances l’obligeaient à le faire.

Étant donné le nombre d’initiatives de paix des États-Unis ayant échoué au cours des années, une telle opération de sauvetage américaine est-t-elle seulement concevable ? Est-ce qu’un Président américain serait finalement capable d’abandonner le frauduleux processus de paix, de présenter aux parties un cadre détaillé pour une solution sur le statut permanent et d’en obtenir l’acceptation par Israël et les Palestiniens ? La réponse est oui, pour deux raisons importantes.

Coûts élevés pour les intérêts US

Tout d’abord, les bouleversements dans la région ont spectaculairement augmenté le coût des politiques américaines actuelles dans cette partie du monde pour les intérêts américains, un coût qui comprend de nouveaux dangers pour la sécurité de son personnel militaire dans la région. C’est un coût qui dépasse de loin le coût pour toute administration de supprimer la vérité sur la culpabilité d’Israël quant à l’impasse des pourparlers de paix. C’est un coût pour les intérêts américains que même les membres du Congrès sous l’emprise du lobby d’Israël peuvent maintenant trouver excessif.

Même s’il est vrai que nous ne pouvons pas imposer nos idées à un autre gouvernement, cela a toujours été une excuse boiteuse pour notre inaction. Parce que personne n’a suggéré aux États-Unis de punir Israël pour parvenir à ses fins. Ce qui est proposé, c’est que nous cessions de le récompenser - par des dons militaires, diplomatiques et économiques sans précédent - pour son indifférence aux dommages que son sabotage délibéré d’une solution à deux États causent, non seulement aux Palestiniens mais aux intérêts nationaux de l’Amérique, sans parler des dommages à ses propres intérêts.

La deuxième raison pour laquelle un Président américain trouvera désormais politiquement plus facile de proposer un plan de paix américain et d’obtenir sa mise en ?uvre est l’impact des révolutions populaires sur les propres calculs coûts-avantages d’Israël.

Pour les raisons indiquées ci-dessus, Israël est sur le point de revenir à son isolement antérieur. Les accords de paix avec l’Égypte et la Jordanie sont menacés, les assauts internationaux sur la légitimité d’Israël, aussi mal fondés puissent-ils être, sont en cours, et - en conséquence de son rejet des propositions du Président Obama de mettre fin à ses confiscations des territoires palestiniens qui a transformé les pourparlers de paix en une farce - l’influence et la crédibilité de son protecteur américain ont été fortement diminuées. Dans ces circonstances, un gouvernement israélien qui rejette les demandes urgentes du seul ami véritable qui lui reste ne peut pas survivre longtemps.

Sauver un État palestinien souverain offre aux États-Unis une chance de rétablir la crédibilité et l’influence qu’ils ont perdues dans la région et d’affaiblir l’Iran. Compte tenu des changements tectoniques dans cette région et de la menace qu’ils représentent à la fois pour les intérêts américains et israéliens, une intervention américaine pour mettre fin au conflit israélo-palestinien est non seulement politiquement concevable, mais, peut-être pour la première fois, réalisable.

(*) - Avant-postes illégaux au regard de la loi israélienne, sachant que toutes les colonies sont illégales au regard du droit international (ndt JPP).


Henry Siegman est président du Projet US/Moyen-Orient et professeur invité non résident au Sir Joseph Hotung Middle East Program, à l’École des études orientales et africaines à l’université de Londres.

Cet article a été rédigé pour le Norwegian Peacebuilding Centre (Noref) à Oslo. Une version écourtée sera publiée le 17 février 2011 dans la London Review of Books.

Du même auteur :

- Israël et le refus pathologique de la paix
- Gaza et le Hamas : rétablir la vérité

13 février 2011 - The Huffington Post - traduction : en grande partie par K. dans les commentaires à l’article d’Alain Gresh, En Égypte, rien n’est joué (Blog du Monde diplomatique), et complétée par JPP


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