Les Rohingyas : un génocide volontairement ignoré
vendredi 22 mars 2013 - 05h:30
Ramzy Baroud
Impossible de comprendre l’attitude imperturbable des dirigeants régionaux et internationaux ainsi que des grandes organisations internationales, face à la guerre implacable menée contre les Rohingyas musulmans au Myanmar, anciennement connu sous le nom de Birmanie.
- Des Rohingyas enfuis de Birmanie sont assis sur une jetée de la rivière Naf, après avoir été arrêtés par les gardes-frontières du Bangladesh - Photo : Reuters/Andrew Biraj
En attendant, les « boat people » sont abandonnés à eux-mêmes. Le 26 février dernier, des pêcheurs ont découvert un bateau en bois délabré flottant au hasard en mer, à presque 25 kilomètres (16 milles) au large des côtes de la province d’Aceh, au nord de l’Indonésie. L’agence Associated Press, parmi d’autres, a rapporté que s’y trouvaient 121 personnes, dont des enfants, toutes dans un état extrêmement faible, déshydratées et presque mortes de faim. C’étaient des Rohingyas réfugiés qui avaient préféré risquer leur vie en mer plutôt que de rester en Myanmar. Pour imaginer comment des parents peuvent prendre la décision de risquer la vie de leur enfant sur une mer tumultueuse, il faut d’abord comprendre les risques plus grands qui les menaçaient chez eux.
Faisant un reportage depuis Jakarta pour la Voix de l’Amérique, Kate Lamb a fourni une évaluation minimale des effets des actes de violence dans l’état d’Arakan, lesquels ont fait des centaines de victimes parmi les Rohingyas musulmans, avec des milliers de maisons incendiées et près de 115 000 personnes devenues des réfugiés. Ces chiffres sont susceptibles d’être beaucoup plus élevés. Beaucoup de Rohingyas en fuite ont péri en mer ou ont disparu pour ne jamais être retrouvés.
D’horribles histoires sont rapportées et parlent de familles séparées et de bateaux disparus en mer. Il y a des faits établis que les diverses marines et police des frontières dans la région ont renvoyé des réfugiés après qu’ils aient par miracle survécu à ce voyage souvent mortel vers d’autres pays, la Thaïlande, l’Indonésie, le Bangladesh et ailleurs. L’agence de réfugiés des Nations Unies (UNHCR) a signalé qu’en 2012, presque 13 000 Rohingyas réfugiés ont tenté de quitter le Myanmar sur des bateaux de contrebandiers dans le Golfe du Bengale. Au moins cinq cents d’entre eux ont péri noyés.
Mais qui sont les Rohingyas ?
Les officiels et les médias du Myanmar veulent simplement considérer les Rohingyas comme des Bengalis immigrés illégaux, ce qui au mieux est une lecture naïve de l’Histoire. Les intentions cachées derrière cette fausse classification sont vraiment sinistres car elles sont censées fournir un argument juridique pour expulser par la force la population des Rohingyas. Le président birman, Then Sein, a été jusqu’à faire une « offre » aux Nations Unies l’année dernière, disant qu’il était disposé à envoyer le peuple des Rohingyas « vers n’importe quel autre pays voulant bien les accepter. » Les Nations Unies ont refusé.
Les Rohingyas musulmans, cependant, sont originaires de l’état du « Rohang », officiellement connu sous le nom de Rakhine ou Arakan. Si on cherche l’exactitude historique, non seulement les Rohingyas sont des natifs du Myanmar, mais c’est en fait la Birmanie qui a occupé le Rakhine au 17e siècle. Au cours des années, particulièrement dans la première moitié du 20ème siècle, les natifs de l’Arakan ont été rejoints par des travailleurs bon marché ou forcés venus du Bengale et de l’Inde, qui se sont établis là de manière permanente. Pendant des décennies, la tension a persisté dans la région entre les bouddhistes et les musulmans.
Naturellement, une majorité soutenue par une junte militaire peut aisément dominer une minorité ne disposant d’aucun appui régional ou international sérieux. Sans aucun poids réel, la population des Rohingyas d’Arakan, estimée à presque 800 000 personnes, a survécu entre le cauchemar de ne disposer d’aucun statut juridique (puisque leur est refusée toute citoyenneté), le peu ou l’absence de droits et les purges ethniques régulières lancées par leurs voisins bouddhistes avec le soutien du gouvernement, de l’armée et de la police. Les pires des violences dans ces dernières années, se sont produites entre juin et octobre de l’année passée. Les bouddhistes ont eux aussi payé un prix élevé dans les affrontements, mais les Rohingyas apatrides, isolés et sans défense, sont ceux qui ont eu à subir le plus de destructions et de tués.
Et au moment même où le « calme » était parait-il revenu – en réalité revenir au statu quo de la complète discrimination et de l’aliénation politique des Rohingyas - la violence a éclaté une fois de plus, et à chaque fois l’étendue du conflit s’aggrave. Fin février, une foule de bouddhistes en colère a attaqué des écoles, des magasins et des maisons appartenant à des musulmans non-Rohingyas, dans les faubourgs de la capitale Rangoon. La cause de la violence était une rumeur selon laquelle la communauté musulmane prévoyait de construire une mosquée.
Ce qui a lieu dans l’Arakan est des plus dangereux, non seulement en raison de la gravité des atrocités et des souffrances perpétuelles infligées aux Rohingyas, qui sont souvent considérés comme le peuple le plus persécuté au monde. D’autres dangers existent, qui menacent d’élargir ce conflit à toute la région de l’Asie du Sud-Est, rendant instables des zones frontalières déjà fragiles et transformant facilement comme cela a été le cas récemment, un conflit ethnique en conflit purement religieux. Dans une région au mélange unique d’appartenances ethniques et religieuses, la douloureuse situation des Rohingyas pourrait devenir le déclencheur qui pourrait faire exploser les conflits latents dans la région.
Bien que la situation du peuple Rohingya aient ces derniers mois franchi toutes les lignes rouges d’une terrible tragédie – tout en restant masquée dans les médias - elle fait encore et toujours face à beaucoup d’obstacles à surmonter avant qu’un minimum de réaction ne se produise. Tandis que les pays de l’Association des Nations du Sud-Est Asiatique (ASEAN) ont connu de fortes avancées économiques, cette association reste politiquement inefficace, montrant très peu d’intérêt pour les questions liées aux droits de l’homme. Sous couvert de son engagement à la « non-intervention » et en prétextant son attention prioritaire vers les conflits territoriaux infectant le domaine maritime au sud de la Chine, l’ASEAN semble inconsciente de l’existence même des Rohingyas. Pire encore, les dirigeants de l’ASEAN sont, semble-t-il, tombés d’accord pour que le Myanmar préside leur sommet de 2014, en récompense des réformes tout à fait superficielles mises en place par Rangoon pour sortir de son isolement politique et pour ouvrir son marché au delà de la Chine et de quelques pays seulement.
En attendant, les pays occidentaux, avec à leur tête les États-Unis, réclament leur part du grand gâteau économique que représente le Myanmar, et ne disent pour ainsi dire rien au sujet de l’absence de respect des droits de l’homme par Rangoon. Les réformes démocratiques mineures au Myanmar semblent, après tout, un prétexte suffisant pour que le pays retombe dans les bras occidentaux. Et la course vers Rangoon a en effet commencé, gênée en rien par la persécution du peuple des Rohingyas. Le 26 février, le président Sein du Myanmar s’est réuni à Oslo avec le premier ministre de la Norvège, Jens Stoltenberg, dans le cadre d’une visite « exploratoire ». Ils ont parlé d’économie, naturellement, car le Myanmar a beaucoup à offrir. Et concernant le conflit dans l’Arakan, Jens Stoltenberg a clairement déclaré que c’était une affaire birmane intérieure, se conformant à la plupart des déclarations lénifiantes. Au sujet des désaccords sur la « citoyenneté », dit-il, « nous avons encouragé le dialogue, mais nous n’exigerons pas que le gouvernement de la Birmanie donnent la citoyenneté aux Rohingyas. »
D’ailleurs, pour récompenser Sein pour ses réformes démocratiques supposées audacieuses, la Norvège a pris la tête de la course en annulant presque la totalité de la dette, et cette initiative a été copiée par d’autres pays, dont le Japon qui a tiré un trait l’année dernière sur une dette birmane de 3 milliards de dollars.
Bien que l’on soit habitué à l’hypocrisie officielle, qu’il s’agisse de l’ASEAN ou des gouvernements occidentaux, beaucoup sont interloqués par l’impardonnable silence du prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi. Heureusement, d’autres parlent. Le prix Nobel Muhammad Yunu, du Bangladesh, ainsi que l’ancien président de Timor-Est, Ramos-Horta, ont chacun de leur côté manifesté en termes très forts leur appui au peuple persécuté des Rohingyas.
« La minorité des Rohingyas musulmans continue à souffrir d’une persécution indescriptible, avec plus de 1000 tués et des centaines de milliers d’entre eux chassés de leurs maisons rien que ces derniers mois, apparemment avec la complicité et la protection des forces de sécurité, » ont écrit les lauréats du prix Nobel, dans le Huffington Post le 20 février. Ils ont critiqué la loi ségrégationniste sur citoyenneté de 1982, et ont réclamé que la citoyenneté soit accordée à la totalité des Rohingyas.
Les souffrances des Rohingyas doivent cesser. Ces gens doivent voir leurs droits et leur dignité respectée. Ils n’en peuvent plus de franchir des mers impitoyables et des terrains impraticables, simplement pour survivre. Plus de voix doivent se joindre à ceux qui leur manifestent leur soutien aux Rohingyas. L’ASEAN doit sortir de son silence et de son immobilité, et les pays occidentaux doivent tenir compte de l’avis de leurs propres sociétés civiles : aucune normalisation avec Rangoon quand des hommes, des femmes et des enfants sont brûlés vivants dans leurs propres maisons. Cette injustice doit être connue du monde entier et des efforts sérieux, organisés et déterminés doivent suivre pour que soit mis un terme à la persécution du peuple Rohingya.
* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com
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6 mars 2013 - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach