L’insurrection tunisienne, qui a réussi à renverser Zine El Abidine Ben Ali, le président tunisien, a abattu les murs de la peur érigés par la répression et la marginalisation, rétablissant ainsi la foi des peuples arabes dans leur capacité à exiger la justice sociale et la fin des tyrannies.
C’est un avertissement à tous les dirigeants, qu’ils soient soutenus par des puissances régionales ou internationales, qu’ils ne sont plus à l’abri de la colère populaire.
Il est vrai que la fuite de Ben Ali du pays n’est que le début d’un chemin ardu vers la liberté. Il est également vrai que les succès du peuple tunisien pourraient encore être limités ou confisqués par l’élite dirigeante du pays, qui s’accroche désespérément au pouvoir.
Mais l’Intifada tunisienne a placé le monde arabe à la croisée des chemins. Si elle réussit pleinement à susciter des changements réels à Tunis, elle va forcer une porte alors grande ouverte vers la liberté dans le monde arabe. Si elle subit un échec, nous serons alors les témoins d’une répression sans précédent appliquée par des dirigeants voulant à tout prix maintenir leur emprise sur un pouvoir absolu.
Dans tous les cas, un système qui combinait une répartition nettement inégale de la richesse avec un déni des libertés s’est effondré.
Un modèle de tyrannie
Tunis a peut-être été un exemple extrême, mais tous les régimes arabes sont des variations du même modèle qui suit docilement les instructions de l’Occident de « libéralisation » de l’économie, tout en étranglant les droits de l’homme et les libertés civiles.
L’Occident a longtemps admiré le système tunisien, louant sa « laïcité » et « ses politiques économiques libérales », et, dans sa quête d’ouverture des marchés mondiaux et de maximisation des profits, a fermé les yeux sur les violations des droits et le bâillonnement des médias - deux fonctions dans lesquelles le régime de Ben Ali a excellé.
Mais la Tunisie, sous Ben Ali, n’a pas été un modèle de laïcité, mais un modèle sans vergogne de tyrannie. Sa « laïcité » a consisté en une idéologie de la terreur - pas seulement au nom de la lutte contre l’extrémisme islamique, mais dans une tentative d’écraser l’esprit d’opposition - qu’il soit islamique, laïque, libéral ou marxiste.
Comme d’autres pays auparavant, la Tunisie était réputée pour avoir adopté les modèles économiques identique à celui du Chili sous l’ancien dictateur Augusto Pinochet, l’Occident - en particulier les États-Unis et la France - soutenant le régime de Ben Ali en donnant la priorité à la stabilité au lieu de plus de démocratie.
Mais même si ces gouvernements se maintiennent au pouvoir pendant des décennies, grâce au soutien de l’Occident et grâce à un appareil de sécurité qui fait disparaître l’immunité de la personne humaine, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne connaissent une fin humiliante.
L’Occident et les États-Unis en particulier, ont toujours abandonné leurs alliés - un exemple mémorable est la manière dont Washington a lâché Mohammad Reza Pahlavi, le chah d’Iran, quand la colère populaire menaçait la stabilité du pays.
Joie et crainte
L’échec à réprimer la force populaire de l’une des forces de sécurité les plus répressives dans le monde arabe a été accueillie avec jubilation. Les blogueurs ont comparé l’événement à la chute du mur de Berlin, ce qui suggère que ce sera l’avènement d’une ère nouvelle dans laquelle le peuple arabe aura un plus important mot à dire dans la détermination de son avenir.
Mohamed Bouazizi, le jeune tunisien qui s’est immolé par le feu en signe de protestation contre le chômage et la pauvreté, est devenu un symbole des sacrifices pour la liberté en Tunisie.
Les militants de la région ont appelé à la « tunisisation » de la rue arabe - prenant la Tunisie comme modèle pour l’affirmation du pouvoir du peuple et de ses aspirations à la justice sociale, à l’éradication de la corruption et à la démocratie.
Mais l’atmosphère de fête qui domine la blogosphère et de larges secteurs de la société arabe est entachée par un fort sentiment de prudence et de crainte : parce que la situation reste incertaine à Tunis et qu’il existe la peur d’un coup d’État, qui imposerait sa sécurité et étoufferait les aspirations populaires.
Que l’insurrection tunisienne réussisse à introduire des réformes radicales ou qu’elle soit partiellement avortée par l’élite dirigeante reste à voir. Mais elle a déjà permis face aux peuples dans le monde arabe, à dénoncer la fausseté de régimes qui imaginent qu’adopter des programmes pro-occidentaux leur permettra de tromper leur peuple et de garantir leur longévité.
L’histoire a montré que les forces de sécurité peuvent faire taire les peuples, mais qu’elles ne peuvent jamais écraser une révolte qui couvait sous la cendre. Comme le disait le très aimé poète tunisien Abul-Qasim al-Shabi dans son poème adressé aux tyrans dans le monde :
Attendez, ne laissez pas le printemps, la clarté du ciel et l’éclat de la lumière du matin vous tromper ...
Parce que les ténèbres, le grondement du tonnerre et le souffle du vent vont venir vers vous
de l’horizon.
* Lamis Andoni est une analyste et une commentatrice des questions du Moyen-Orient et de la Palestine.
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16 janvier 2011 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction : Info-Palestine.net