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En Irak, les Chrétiens ont toujours été chez eux
dimanche 14 novembre 2010 - Ramzy Baroud
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Quelque que soit la diminution de leur nombre, comme pour le reste des Irakiens de tous les milieux, les Irakiens chrétiens demeureront des Irakiens.

Le dimanche 31 octobre quand un groupe armé a envahi une église à Bagdad, tuant et blessant un grand nombre de d’Irakiens chrétiens, c’était un nouvel épisode de l’horreur inimaginable dans ce pays depuis son invasion par les Etats-Unis en mars 2003. Chaque groupe d’Irakiens a fait face à de terribles dévastations en raison de cette guerre, dont la véritable ampleur commence à peine à être révélée.

Il est vrai que la situation en Irak était difficile avant la guerre. Après avoir visité le pays en 1999, je peux en témoigner. Mais les grandes difficultés supportées par beaucoup d’Irakiens, particulièrement les dissidents politiques, étaient d’une certaine manière une caractéristique typique des régimes autoritaires et dictatoriaux. L’Irak pouvait, à ce moment-là, facilement se comparer avec d’autres pays vivant dans de semblables difficultés. Mais ce qui s’est produit depuis la guerre [commencée en 2003] peut difficilement être comparé à n’importe quel autre pays ou à toutes les autres guerres depuis la deuxième guerre mondiale. Même en mettant de côté le nombre dévastateur de morts, l’ampleur des déplacements internes et de l’émigration forcée est terrifiante. C’est une nation qui avait plus ou moins maintenu un certain niveau de cohésion démographique à travers de nombreuses générations. C’était cette cohésion qui a fait de l’Irak ce qu’il était.

Les communautés d’Irakiens chrétiens ont coexisté aux côté de leurs voisins musulmans depuis des centaines d’années. Les églises des deux principaux groupes chrétiens, les Assyriens et les Chaldéens, remontent respectivement aux années 33 et 34 après Jésus-Christ. Un éditorial récent dans un journal arabe avait pour titre : « les Arabes chrétiens devraient se sentir chez eux. » Quel qu’ait été le contenu de l’article, le fait est, et le fait reste que les Arabes chrétiens n’ont pas à pas se sentir chez eux : ils sont tout simplement chez eux. Leurs racines remontent aux jours du Christ, et depuis lors ces communiqués ont gardé une identité unique et une histoire pleine de de fierté dans les plus difficiles des circonstances.

Je me souviens d’un groupe d’enfants irakiens d’une école pour les Chaldéens, parés de beaux uniformes bleu-foncé exécutant les nashids [chansons] du matin avant de rejoindre leurs classes. Ils étaient si innocents et si pleins de vie. Leurs yeux exprimaient les promesse et l’excitation du futur. Je redoute d’imaginer lesquels de ces enfants ont été tués, blessés ou déplacés de force avec leurs familles, comme des millions d’autres Irakiens de tous les milieux ethniques et religieux.

Aujourd’hui il n’y a plus que la moitié des Irakiens chrétiens qui vivent toujours dans leur pays, si l’on se réfère au recensement de 1987 qui avait dénombré 1,4 million de chrétiens. Leur nombre - à la suite des meurtres les plus récents qui ont suivi l’assaut des forces irakiennes dans l’église et les échanges de coups de feu avec les kidnappeurs - diminue rapidement. La pénible situation des Irakiens chrétiens semble très semblable à celle des Palestiniens chrétiens, dont le nombre diminue et continue de diminuer à cause de l’occupation israélienne de Jérusalem, de la Cisjordanie et de Gaza depuis 1967. La Diaspora chrétienne palestinienne est le produit direct de l’occupation israélienne et de sa main-mise sur la Palestine historique en 1948. Le gouvernement israélien ne voit aucune différence entre un palestinien chrétien et un palestinien musulman.

Mais rien de tout cela n’est considéré comme digne de discussion dans une grande partie des médias occidentaux, peut-être parce qu’ils risqueraient de blesser la sensibilité de l’occupant israélien. Les nouvelles préoccupantes venant d’Irak peuvent maintenant être manipulées en présentant la douleur des chrétiens comme une ramification d’un plus grand conflit entre des militants islamiques et les communautés de chrétiens en Irak.

Le fait est que la société irakienne a été longtemps connue pour sa tolérance et son acceptation des minorités. Il y a eu une époque où personne n’employait des appellations telles que shiites, sunnites et chrétiens ; il y a avait un seul Irak et un seul peuple irakien. Ceci a complètement changé, parce qu’une partie de la stratégie qui a suivi l’invasion de l’Irak était de souligner et de manipuler les délimitations ethniques et religieuses du pays, créant des clivages insurmontables. Sans un pouvoir centralisé pour guider et apporter des réponses collectives au peuple irakien, tout l’enfer s’est abattu sur lui.

Des hommes masqués se donnant le nom commode de militants mais sans identités précises, ont disparu aussi rapidement qu’ils sont apparus pour répandre leur violence à travers le pays. La confiance inter-communautaire qui a été le tissu de la société irakienne pendant ses plus dures périodes s’est dissoute. Le chaos et la méfiance lui ont succédé, et le reste appartient à l’Histoire.

Il n’y a aucune doute concernant la brutalité et la méchanceté insigne de ceux qui ont récemment causé la mort de 52 Irakiens chrétiens, dont un prêtre, dans la principale église catholique romaine de Bagdad. Mais traiter cette question comme une question parmi d’autres entre musulmans et chrétiens, ou la présenter comme le suggère avec un titre trompeur un communiqué de l’UPI : « les chrétiens d’Irak coincés entre la majorité musulmane shiite et la minorité sunnite », est une injustice majeure.

C’est également dangereux, parce que lorsque de telles notions deviennent acceptables, elles permettent à des puissances étrangères de justifier leur présence permanente en Irak sous le prétexte qu’elles sont là pour protéger ceux qui sont « coincés » au milieu. En fait, depuis des centaines d’années, chaque puissance coloniale au Moyen-Orient a employé cette logique pour justifier leur violence et leur exploitation.

En effet, nombreux sont ceux qui sont prêt à exploiter de telles tragédies pour servir leurs intérêts politiques ou pour justifier rétrospectivement leurs honteuses actions en Irak. Cette mentalité arrogante a poussé le stratège républicain Jack Burkman, dans un programme en langue anglaise d’Al Jazeera en mai dernier, à qualifier les peuples du Moyen-Orient de « groupes de barbares dans le désert. »

Une telle prétention démesurée est encore renforcée par des massacres tels que celui qui a visé les Irakiens chrétiens. Un soldat des Etats-Unis en Irak, cité dans une récente émission de Democracy Now s’est référé à la culture irakienne en parlant de « culture de la violence », prétendant que son pays essayait de faire quelque chose à ce sujet.

Où est l’introspection et la réflexion qui consisteraient à se demander ce qui a amené à la surface cette culture de « violence » ? Qui essaierait de voir ce « groupe de barbares » tout simplement comme des êtres humains qui, comme tous les autres, essayent de survivre, de défendre leurs familles et de maintenir un minimum de normalité et de dignité dans leurs vies ?

Quant aux « Chrétiens d’Irak », je dois être en désaccord avec cette appellation qui est largement diffusée dans les médias. Ce ne sont pas les « chrétiens d’Irak », mais les « Irakiens chrétiens ». Leurs racines sont aussi profondes que l’histoire de la Mésopotamie, leur histoire est aussi riche que les rives fertiles du Tigre et de l’Euphrate. Quelque que soit la diminution de leur nombre, comme pour le reste des Irakiens de tous les milieux, ils demeureront des Irakiens. Et leur retour à leur pays est seulement une question de temps.

Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.

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8 novembre 2010 - Communiqué par l’auteur
Traduction : Naguib