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Juifs ou Israéliens ?
samedi 30 octobre 2010 - Daoud Kuttab

J’ai toujours essayé le plus possible de faire la distinction entre les juifs et les Israéliens. Cela me dérange quand des Palestiniens emploient ces deux termes indifféremment.

Chaque fois que je traverse le Jourdain, je surprends des discussions de personnes parlant sur leur téléphone portable, racontant comment elles sont entrées du coté juif, comment elles ont quitté le côté juif, ou qu’elles attendent pour passer du côté juif. De tels propos, on peut les entendre aussi de personnes qui s’approchent d’un check-point israélien ou qui en partent, ou qui ont quelque chose à faire avec les Israéliens.

Des prédicateurs religieux utilisent indifféremment ces termes, parlant des actions néfastes des Israéliens ou du manque de confiance dans les négociateurs juifs, etc.

Lorsque je couvrais l’information sur l’Intifada et que je circulais au sein des territoires occupés, j’avais la même préoccupation. Des personnes me disaient que des juifs étaient arrivés par ce côté, que des soldats juifs avaient frappé le fils d’untel, que des juifs avaient fait feu cachés derrière ces arbres, toujours pour parler d’actions des forces d’occupation israéliennes.

Quand je partais avec des journalistes étrangers, il me fallait faire l’interprète, et j’étais dans le pétrin car je me demandais si je devais traduire les mots littéralement ou si je pouvais utiliser simplement l’adjectif israéliens pour le substantif soldats.

L’utilisation du mot juif pour israélien ne se limite pas aux Palestiniens de certaines régions ou de milieux économiques particuliers. J’ai entendu un professeur d’université et aussi une personne de ma propre famille utiliser le mot juif pour parler des Israéliens, et je me suis fâché parce que je pensais à un certain nombre d’amis juifs américains que je connais, et qui n’ont rien à voir avec les occupants et l’Etat d’Israël, voire qui sont antisionistes et partagent l’aspiration des Palestiniens à se libérer de l’occupation israélienne.

J’ai beaucoup pensé à ces mots ces dernières semaines alors que nous étions inondés d’exigences continuelles par les dirigeants d’Israël pour que les Palestiniens reconnaissent non seulement l’Etat d’Israël mais aussi sa judaïté. Ces exigences comprenaient aussi une série de nouvelles lois que le gouvernement israélien avait approuvées, exigeant que les autres se réfèrent à la judaïté de l’Etat et n’écoutant guère les 20% de citoyens non juifs d’Israël.

Ce qui me gêne, c’est cette quasi-absence de réaction de la part de la population juive mondiale. Je peux comprendre que les juifs de la diaspora aient des sentiments particuliers envers l’Etat d’Israël pour des raisons ethniques ou religieuses. Mais j’ai toujours pensé que ces juifs mettaient en avant leur nationalité locale (américaine, britannique ou hongroise), tout en soulignant leur confession et leur culture juives uniques.

S’agissant des juifs dans la diaspora, j’ai le sentiment qu’il est problématique de vouloir gommer les différences entre Israéliens et juifs. Brouiller ces différences fait le jeu de ceux qui essaient de présenter toute action ou déclaration anti-israéliennes comme antisémites.

Les Palestiniens ont rejeté, et continueront de le faire, l’équivalence de ces deux termes, pour diverses raisons. Les nationalistes palestiniens soulignent que le conflit israélo-arabe est un combat national politique et non pas religieux. Et même si les Palestiniens ont reconnu les Israéliens à l’intérieur des frontières de 1967, ils refusent totalement l’idée que les juifs auraient un droit biblique sur la terre de la Palestine historique ou au-delà.

En outre, les dirigeants palestiniens n’abandonneront pas leurs frères, citoyens palestiniens d’Israël, et dont la situation serait rendue encore plus difficile par cette mesure qui écarterait l’idée qu’Israël est l’Etat de tous ses citoyens, quelle que soit leur religion.

Les dirigeants israéliens de droite, dirigés par le Premier ministre Benjamin Netanyahu et son ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman, peuvent croire qu’ils ont trouvé une stratégie gagnante pour faire obstruction aux exigences palestiniennes pour la fin de leur occupation militaire. Les Palestiniens et la plupart des gens sensés dans le monde approuveront la position palestinienne selon laquelle Israël peut se faire appeler comme il veut. Mais en cassant les oreilles des Palestiniens avec la judaïté d’Israël, la direction israélienne prévient les tentatives qu’auraient des juifs dans le monde de prendre des distances avec la position politique d’Israël, même en le soutenant par ailleurs ethniquement, culturellement et émotionnellement.

Cela aura des conséquences beaucoup plus néfastes pour les juifs du monde que pour les Palestiniens. J’espère qu’ils se rendront compte du danger de cette initiative et qu’ils agiront pour l’arrêter avant qu’il ne soit trop tard.


Daoud Kuttab a enseigné le journalisme à l’université de Princeton et organisé des séminaires sur les nouvelles techniques de l’information dans le monde arabe. Il est palestinien et journaliste. Né à Jérusalem en 1955, il a étudié aux Etats-Unis et travaille dans le journalisme depuis 1980. Il a créé et présidé l’Institut du film de Jérusalem dans les années 90, ainsi que l’Institut des médias modernes à l’université Al Qods jusqu’en janvier 2008. En 1997, il est parti pour Amman où il va créer la première station radio internet du monde arabe, AmmanNet (http://www.ammannet.net).
Son site : http://www.daoudkuttab.com/ ; son courriel : info@daoudkuttab.com

Du même auteur :

- L’union ne suffit pas - 2007
- Pourquoi tant d’arrogance ? - 2006

28 octobre 2010 - Miftah - site de Daoud Kuttab - traduction : JPP