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Un rapport de l’armée israélienne qui confirme les conclusions Goldstone est enterré en Israël
jeudi 29 juillet 2010 - Max Blumenthal
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L’avocat général de l’armée israélienne, Mandelblit, reconnaît les destructions d’infrastructures civiles et le mépris de la vie des civils. Ici, à Rafah.




Un rapport discrètement remis aux Nations-Unies il y a deux semaines par l’avocat général de l’armée israélienne, Avichai Mandelblit, sur la conduite d’Israël pendant l’opération Plomb durci (contre la bande de Gaza, 27 décembre 2008/18 janvier 2009) confirme les principales conclusions du rapport Goldstone (résumé en français - pdf).

Le rapport Mandelblit (version intégrale en anglais (pdf)), qui apporte des informations sur 150 enquêtes en cours, a scandalisé l’armée israélienne. « L’armée donnait la même impression d’effroi qu’après le rapport Goldstone » fait remarquer un officier israélien. Un autre chef militaire exprime sa colère quand, après qu’un précédent rapport des FDI ait affirmé la légalité des bombardements des zones civiles avec une arme chimique, le phosphore blanc, le rapport Mandelblit publie maintenant des recommandations qui en limitent l’usage. « C’est comme s’il essayait de vous lier les mains dans le dos. Pourquoi l’usage d’une arme qui ne pose aucun problème doit-il être limité ? », demande cet officier.

La confirmation par Mandelblit de l’usage de phosphore blanc par l’armée israélienne à Gaza contre des bâtiments des Nations-Unies est l’un des aveux les plus remarquables de son rapport. Il prend de front, en le démentant, ce mensonge maintes et maintes fois affirmé devant l’opinion israélienne au lendemain de l’opération Plomb durci, et repris dans un rapport des FDI d’avril 2009, prétendant qu’« aucune munition au phosphore n’avait été utilisée sur des zones construites ».

Le débat sur l’emploi du phosphore est enfoui dans le corps du rapport, à la page 21, dans une section sur les bâtiments des bureaux locaux de l’UNRWA :

« L’un des incidents le plus largement évoqué pendant l’opération contre Gaza concerne l’infrastructure locale de l’UNRWA, où trois personnes ont été blessées et où des dommages matériels importants ont résulté de l’usage de munitions qui font des écrans de fumée et qui contiennent du phosphore blanc. Des dégâts supplémentaires ont été provoqués par l’usage d’obus à haute intensité explosive à proximité de l’enceinte. »

Outre le déploiement de munitions à phosphore blanc, le rapport Mandelblilt reconnaît que l’avocat général militaire des FDI a diligenté une enquête pénale sur :

-  le meurtre de 26 membres de la famille Al-Samouni (p. 6) (Voir : Gaza : le massacre de Zeitoun de Tom Eley),
-  l’utilisation possible de boucliers humains (p. 9-11),
-  le bombardement délibéré d’une école de l’UNRWA remplie d’élèves afin de neutraliser un unique mortier, faisant un grand nombre de tués,
-  une attaque délibérée contre une mosquée avec des missiles « puissants » afin de tuer 2 « agents » terroristes non identifiés (p. 17),
-  le bombardement d’une cérémonie de remise de diplôme de la police (p. 19), tuant 4 civils (d’après le rapport Goldstone, les FDI auraient tué 9 civils et 99 policiers),
-  le meurtre d’un civil qui brandissait un drapeau blanc (p. 22),
-  des tirs sur des charrettes tirées par des chevaux et transportant des civils blessés, tuant un certain nombre d’entre eux (p. 24),
-  des tirs d’obus à fléchettes par des chars d’assaut à proximité immédiate d’une « tente pour condoléances », tuant des civils (p. 25),
-  l’usage d’un bulldozer pour raser la coopérative de poulets Sawafeary (p. 27-28) afin d’obtenir un « champ de vision dégagé » pour les soldats du secteur,
-  la destruction d’une usine de conditionnements en ciment pour rechercher, en vain, des tunnels (p. 29),
-  la destruction d’une série d’usines, l’armée prétendant qu’elle « ignorait qu’elles produisaient des produits alimentaires » (p. 30),

et reconnu implicitement la destruction de biens privés (p. 33).

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Bombardement au phosphore blanc sur Gaza

Même si Mandelblit établit la responsabilité dans de nombreux meurtres à la charge des commandants des FDI, il avance aussi la politique de tir de l’armée pour justifier ces meurtres. Tant que les soldats ont affirmé dans leurs témoignages qu’ils pouvaient avoir vu des agents ennemis dans la zone (Mandelblit admet l’extrême difficulté à rassembler des témoignages des victimes palestiniennes), il se dit capable d’affirmer alors que les soldats ont respecté « le droit des conflits armés ».

Qu’est-ce que le Droit des conflits armés ? Il s’agit d’un ensemble de lignes directrices à respecter lors des combats, lignes qui furent redéfinies spécialement pour les opérations de l’armée israélienne par le philosophe militaire Asa Kasher. (Voir : Israël travaille au changement du droit international par Jeff Halper). En précisant quelle est sa version du droit, Kasher écrit, « La responsabilité d’avoir à distinguer entre les terroristes et les non combattants ne repose pas sur les épaules (d’Israël). » Il ajoute : « Envoyer un soldat (à Gaza) se battre contre les terroristes est justifié, mais pourquoi devrais-je l’obliger à prendre des risques supplémentaires pour épargner celui ou celle qui se trouve à côté du terroriste ? Du point de vue de l’Etat d’Israël, cette personne est beaucoup moins importante. J’ai plus de devoir à l’égard du soldat. S’il faut choisir entre le soldat et celui ou celle qui est près du terroriste, la priorité va au soldat. N’importe quel pays en ferait autant. » En d’autres termes, la mort de civils est justifiée selon les règles militaires israéliennes si un soldat est en mesure de juger qu’il « se sent en danger ».

On ne sait si le rapport Mandelblit va conduire à une révision à la baisse des règles de combat vues par Kasher. Les recommandations du rapport ont déjà provoqué un mécontentement virulent chez le corps des officiers de l’armée israélienne, aussi il serait peu réaliste de compter que ceux-ci les mettent en pratique, surtout depuis qu’Israël semble être prêt à une nouvelle campagne potentiellement sanglante contre les zones urbaines au sud du Liban. La véritable valeur du rapport, alors, est de venir confirmer les principales conclusions du rapport Goldstone. Même dans cette enquête parmi les plus prudentes sur la conduite des FDI durant l’opération Plomb durci, Mandelblit en arrive à présenter une situation cohérente de destructions de l’infrastructure civile palestinienne et de mépris de la vie des civils.

Malheureusement, les conclusions accablantes contenues dans le rapport ne sont pas parvenues jusqu’au grand public israélien. Les articles concernant ce rapport sont restés enterrés profond chez les journaux israéliens pendant que, selon le Yedioth Aharonoth, le ministère des Affaires étrangères israéliens se refuse à le mettre à disposition sur son site en hébreu (uniquement sur le site en anglais).

Le chroniqueur du Maariv, Ofer Shelakh, est l’une des rares personnalités publiques israéliennes à avoir dénoncé le silence officiel après la publication de Mandelblit. Il écrit ceci le 23 juillet, dans une rubrique sur le rapport de Mandelblit des FDI et sur le rapport Eiland sur la flottille de Gaza (pas de lien, à partir d’une unique traduction en hébreu de la page 23 du supplément hebdomadaire du Maariv) :

« Quelle est la vérité et pourquoi soudainement répondons-nous à l’ONU en des termes différents de ceux qui furent avancés auprès des citoyens israéliens ? C’est la même chose pour les procédures juridiques engagées contre des officiers israéliens, pour le procès du commandant de la brigade de Gaza, pour l’enquête de l’ex-commandant de la Brigade Giv’ati, Ylan Malka, dont nous n’entendons que les réponses israéliennes destinées aux autorités étrangères.

« Il semble d’après les décideurs du système de défense d’Israël, que nous, les Israéliens, nous ne cherchons pas à savoir, nous ne devons pas savoir, ou que nous sommes d’accord pour que tout cela ne soit fait que pour être avalé par l’étranger, pour repousser les critiques anti-israéliennes. Les Israéliens préfèrent penser que les FDI opèrent avec brio, que leurs commandants ne commettent pas d’erreurs, que leur politique de tirs est respectueuse et morale, et que le problème dans Plomb durci a été la politique de tirs et non les décisions prises par les commandants sur place.

« Peut-être après tout que cette cynique approche de l’opinion israélienne se justifie. Il est un fait qu’aucun tollé n’est monté de l’opinion après la sombre situation dépeinte par (le rapport Eiland), mais dans l’armée israélienne, il est certain que dans ses cadres moyens, beaucoup comprennent le mal qui en découle pour les critères d’expression de la vérité, de l’expression de toute la vérité. »

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L’armée israélienne, face à des civils...

25 juillet 2010
- Max Blumenthal - traduction : JPP