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Afghanistan : et l’agonie continue
jeudi 1er avril 2010 - Ramzy Baroud
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Petite fille afghane gravement blessée dans un bombardement de l’OTAN. Aucune raison morale ne peut être invoquée pour défendre la guerre en Afghanistan...

Washington et ses propagandistes dans les médias essaient depuis des années de nous vendre cette absurde guerre en Afghanistan. Alors qu’ils tentent de nous convaincre que la guerre est basée sur une logique militaire sans faille et sur la morale, elle reste en réalité une aventure tragique, sans objectifs interprétables, impliquant plusieurs pays, des agences privées et toutes sortes d’entreprises cherchant de rapides profits.

La lâcheté intellectuelle de certains ne doit pas aveugler la majorité sur le fait que la guerre en Afghanistan est moralement indéfendable et militairement vouée à l’échec.

La décision des Etats-Unis de poursuivre leur brutal aventurisme militaire en Afghanistan ne peut être compris que dans le cadre de sa logique politique limitée et extrêmement égoïste.

Commençons par écarter certaines des hypothèses ridicules qui ont imprégné cette guerre depuis son lancement en 2001. Tout d’abord, on nous a dit que la guerre avait pour objectif d’éliminer Al-Qaïda. Pourtant, un responsable aujourd’hui à la retraite, d’une agence de la CIA et qui a servi au Moyen-Orient et en tant que responsable dans la lutte contre le terrorisme, a affirmé que « Al-Qaïda est fini en Afghanistan » Il a en outre fait valoir que « l’administration Obama, comme celle qui l’a prédédé, prétend que nous luttons là-bas contre le terrorisme. Ce n’est tout simplement pas vrai. C’est purement une question de contre-insurrection. »

En effet, même les pires faucons de guerre font peu d’efforts pour définir le lien entre les Talibans et Al-Qaida. Si le lien est malgré tout imposé, il est alors aisé de démontrer les liens avec Al-Qaïda dans les zones tribales du Pakistan, incitant alors à « une action » dans cette partie du pays, et non pas en Afghanistan.

Grâce à cette « stratégie » militaire aléatoire des États-Unis et de leurs alliés, Al-Qaida s’est étendu dans toutes sortes de directions et de nombreuses ramifications ont poussé dans diverses parties du monde. Sans disposer d’un commandement central dans le sens militaire du terme, des groupes et des individus inspirés par Al-Qaida agissent aujourd’hui pour des objectifs localisés en répondant à différents stimuli.

Donc, si ce n’est pas al-Qaida qui inspire l’énorme mais futile escalade militaire en Afghanistan, alors qu’est-ce donc ? C’est là que les idéalistes entrent en jeu. On parle de construction de nation, d’une démocratie de style occidental, de sécurité régionale et ainsi de suite. Certains d’entre eux croient vraiment à ce qu’ils disent, et tous ne croient pas que l’actuelle et mortelle escalade militaire conduite par le général Stanley McChrystal dans les zone rurales, donnera les résultats escomptés. Pourtant, ils contribuent à l’illusion que les bonnes intentions — à commencer par la propagande initiale sur le sauvetage des femmes afghanes, puis la « libération » par rapport aux terroristes étrangers, puis la démocratie et la construction de la nation, et ainsi de suite — avaient quelque chose à voir avec cette guerre sanglante.

Avec leur insistance à utiliser cette terminologie positive, ils contribuent à faire bénéficier les élites politiques de Washington — et aussi de Kaboul — du bénéfice du doute selon lequel si nous pouvons être en désaccord avec leurs méthodes, nous devons malgré tout avoir confiance en leurs intentions.

Il incombe à ceux qui sont inspirés par la démocratie et aux amateurs de la construction de nations, de se souvenir que Washington a beaucoup fait pour étouffer les mouvements véritablement démocratiques dans le monde depuis son occupation de l’Afghanistan en 2001. La Palestine et le Liban restent les exemples les plus frappants. Quant à la construction nationale, comparons les montants astronomiques investis dans le financement de cette guerre destructrice en Afghanistan et le soutien au régime fantoche corrompu de Kaboul, avec les sommes minuscules consacrées au renforcement de l’infrastructure économique datant de l’âge de pierre dans ce pays.

Le budget militaire américain rien que cette année devrait dépasser 693 milliards de dollars, sans compter les 42 milliards de dollars mis de côté pour la sécurité intérieure. Selon CostofWar.comhttp://www.costofwar.com], les coûts de la guerre en Afghanistan ont dépassé à eux seuls 256 milliards de dollars. Les deux guerres en Afghanistan et en Irak approchent maintenant le seuil de 1000 milliards de dollars.

La guerre en Afghanistan ne saurait être défendue pour aucune raison morale. Le nombre officiel de décès parmi les civils afghans en 2009 est estimé à 2412. Le nombre de morts est probablement beaucoup, beaucoup plus élevé, puisque ces chiffres ne tiennent pas compte des nombreux civils tués dans les villages éloignés dans les zones du sud et de l’est, lesquelles ne sont pas accessibles aux étrangers. La mort de ces innocents devrait à elle seule imposer le silence à ceux qui parlent encore d’éthique et de morale dans cette guerre désastreuse.

Mais tout le monde n’est pas si ouvertement égaré dans son évaluation de la guerre. Certains comprennent bien que la guerre en Afghanistan est une aventure politique et stratégique qui cherche à s’auto-justifier. Ils l’acceptent pourtant naïvement, comme le fait un Con Coughlin dont l’article récent dans The Telegraph avait comme titre révélateur : « L’Inde et le Pakistan doivent enterrer la hache de guerre pour que les Talibans puissent être écrasés. »

Le rapprochement indo-pakistanais n’est considéré comme bénéfique que dans la mesure où il permettrait « d’écraser » quelqu’un d’autre. Et considérant que ce « quelqu’un d’autre » n’est pas une bande de terroristes dépourvus de but, mais une insurrection populaire bien implantée et motivée, le prix de cet « écrasement » est susceptible d’entraîner la mort de dizaines de milliers de personnes innocentes. Coughlin utilise le même langage hautain et abstrait de « groupes islamistes » à écraser, à défaut de comprendre ou d’analyser les caractères distincts de chaque situation, que ce soit en Afghanistan, au Pakistan ou ailleurs. Au lieu de cela, Coughlin exprime sans aucune gêne son souci du danger que ces militants font peser pour « la survie de la classe dirigeante » à Islamabad. Voici donc l’impérieuse raison qui fait que Richard Holbrooke, l’envoyé spécial de Washington pour la région fait feu de tout bois sur la nécessité de garantir la survie des classes dirigeantes, non seulement à Islamabad, mais aussi à Kaboul et New Delhi.

La guerre en Afghanistan s’est transformée en « trouver un objectif en allant de l’avant [find-an-objective-as-you-go] » dans une aventure militaire qui mène nulle part. Cette guère s’avère inutile et indéfendable à tous points de vue, qu’ils soient politiques ou militaires ou moraux. En outre, comme Haviland Smith en a conclu dans sa sinistre évaluation : « il n’est pas vraiment important que nous nous voyons nous-mêmes comme de bienfaisants libérateurs, il importe seulement que les Afghans nous considèrent comme des occupants étrangers. » Quand accepterons-nous de regarder cette réalité en face ?

* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est écrivain et publie pour PalestineChronicle. Ses écrits sont publiés par de nombreux journaux, quotidiens et anthologies à travers le monde. Son avant-dernier dernier livre : La Seconde Intifada : une chronique du combat du peuple (Pluto Press, Londres) et le dernier tout récemment publié : Mon Père était un combattant de la liberté : l’histoire non dite de Gaza (Pluto Press, London).

Du même auteur :

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1e mars 2010 - Communiqué par l’auteur
Traduction de l’anglais : Nazem