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Liban : « Les cartes, il nous les faut ! »
samedi 17 février 2007 - Serene Assir

« Ce fut un changement quelque peu surprenant étant donnés la « relation spéciale » historique entre les Etats-Unis et Israël et les innombrables actes gratuits de protection de leur intérêt mutuel au Moyen-Orient. La semaine dernière, le Département d’Etat américain adressa au Congrès un rapport exposant ses constatations préliminaires concernant l’utilisation controversée de bombes à fragmentation au Liban Sud pendant les dernières heures de la guerre de l’été 2006. Ces constatations, ainsi qu’on l’a rapporté, suggèrent qu’Israël a peut-être violé le « Arms Export Control Act », texte qui régit l’usage fait des armes vendues par les Etats-Unis, le plus important producteur et exportateur d’armes du monde.

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Une vieille dame est assise dans les ruines de la ville libanaise de Bint Jbeil. Cette ville a été la victime d’une des plus cruelles attaques israéliennes avec bombes à fragmentation - Photo : AFP

Selon l’ « Arab American Institute », qui se trouve à Washington, on ne peut avancer que deux options en ce qui concerne les bombes à fragmentation, dans le cas où une investigation définitive prouverait l’existence d’une utilisation illégale de ces bombes par Israël. Soit le Président américain Bush impose des sanctions à Israël, soit « le Congrès devrait mener une action législative contre Israël pour faire respecter la loi dans son intégralité ».

Largement six mois après la fin de cette guerre estivale qui tua 1400 personnes, fit plus de 4000 blessés et anéantit plus de 15000 foyers, la vie des habitants du Sud Liban continue d’être empestée par la menace que font peser les bombes à fragmentation non explosées. Selon Samar (16 ans, habitant de Khiam), « la périphérie de la ville est couverte de bombes. Mon frère a été grièvement blessé par une bombe quand il est sorti travailler dans notre oliveraie. Il va beaucoup mieux à présent, mais il ne peut toujours pas marcher longtemps sans grande souffrance. »

« Jusqu’au 31 janvier, 841 sites contenant des bombes à fragmentation avaient été localisés au Sud-Liban. » a affirmé Dalya Farran, la porte-parole de l’UNMACC (Centre de Coordination Anti-mines des Nations Unies pour le Sud Liban, basé à Tyr). « Il y a eu 216 accidents, dont 30 furent fatals. » Suite à d’importantes pressions concernant cette question des bombes à fragmentation, de la part de groupes locaux et internationaux de défense des droits de l’homme, d’organisations humanitaires et de travailleurs des media, l’UNMACC a pu réunir les ressources nécessaires à l’entraînement et à la constitution d’équipes de déminage en nombre suffisant pour tenter de nettoyer le sud et de le rendre sûr pour ceux qui y vivent et y travaillent. Parmi ces équipes, souligna Farran, on trouve à présent un groupe de femmes « démineuses », entraînées par des Suédois, probablement le premier du genre au Moyen-Orient.

Mais l’efficacité de ce travail de déminage continue d’être affectée par l’absence persistante de réponse d’Israël à une exigence émanant de l’UNMACC et d’Amnesty International, parmi d’autres ; en clair qu’Israël fournisse un quadrillage précis indiquant où ont été lancées les bombes à fragmentation. « Nous avons aussi besoin de savoir quels types de bombes ont été balancées, et où. » ajouta Farran, parce que le nombre de munitions qu’elles contiennent varie, en fonction du type de missile qui les porte. Jusqu’à ce qu’Israël produise des cartes avec ce degré de précision, le travail des démineurs se fera dans l’angoisse, au hasard, en quête, zone après zone, de signes, sous l’emprise d’un risque sévère, pour eux-mêmes et en tout cas pour les habitants, tant que le travail n’est pas fait.

Il apparaît, cependant, qu’il s’agit là du point précis sur lequel Israël contrevient de façon flagrante aux Conventions de Genève qui interdisent l’utilisation de ce type d’armes dans les zones civiles. Le fait que 90% - sur un total estimé à 4 millions - de ces bombes ont été déversées sur le Sud Liban au cours des dernières 72 heures de guerre, au moment où la mise en application d’une résolution des Nations Unies pour la cessation des hostilités était imminente, ne fait qu’accentuer le sentiment de soupçon qui entoure le refus persistant d’Israël de fournir les cartes de leur localisation.

Dans le contexte d’incapacité d’Israël à atteindre son objectif d’éradication du Hezbollah durant la guerre de l’été 2006, culminant avec la démission du chef d’état-major, le général Dan Halutz, l’utilisation massive de bombes à fragmentation fut au moins pour un part un acte de dépit. Le fait que beaucoup de ces bombes étaient vieilles ou dépassées, et de ce fait moins susceptibles d’exploser après largage mais plutôt de rester en sommeil, attendant leurs victimes civiles, ajoute l’insulte à la blessure. Israël ne peut prétendre, au bout d’une décennie d’occupation du Sud Liban dans le passé, ne pas comprendre que 70% de son économie repose sur l’agriculture. Qui alors étaient les cibles intentionnellement visées par ce tir de barrage de dernière minute ? Des fermiers ? Des enfants ?

Ces vils calculs mis à part, aussi longtemps que le Premier Ministre israélien Ehud Olmert - lui-même sous le feu de la critique pour sa désastreuse opération libanaise - ne transmettra pas de cartes détaillées aux Nations Unies, non seulement d’autres vies seront perdues au Liban, mais les défenseurs des droits de l’homme et d’autres parties concernées y trouveront des munitions supplémentaires pour réprimander un état dont les objectifs militaires ont coûté la vie à un nombre incalculable de personnes et en ont déplacé durablement des millions d’autres, depuis sa création en 1948.

Retournons aux Etats-Unis : étant donné que le Département d’Etat est allé jusqu’à ce point, il n’y a pas eu de retour. Ceci pourrait être un grand tournant dans le combat commun pour l’interdiction de munitions aussi aveugles et totalement injustifiables que les bombes à fragmentation. Dans l’idéal, Israël devrait affronter des sanctions pour cette - encore une ! - violation du droit international, même si tant d’autres ont passé sans être punies. A l’autre extrême, Olmert pourrait au moins être soumis à des pressions pour présenter des excuses publiques. Il n’y a aucun débat, certainement, pour savoir si Olmert fournira ou non les cartes détaillées du largage des bombes à fragmentation. Cela fait déjà des mois qu’il aurait dû répondre à cette demande des Nations Unies.

La balle est à présent dans le camp de Washington, autant dire dans le camp de Tel Aviv. L’allié d’Israël va-t-il faire pression sur Olmert et apporter son soutien à la fois au droit international, pour garantir une plus grande stabilité des relations internationales, et au sens commun de la morale, par égard pour tous ceux qui risquent encore leur vie au Sud Liban ? Il apparaît que la réponse donnée à cette question des bombes à fragmentation constitue un test sur l’étendue de l’alliance israélo-américaine. Pendant ce temps, et tant que Washington manoeuvrera pour sortir de cette embarrassante situation, au Sud Liban, des dizaines de milliers de petites bombes continuent à attendre indifféremment démineurs et citoyens ordinaires. »

Légende photo : « Une vieille femme libanaise est assise au milieu des décombres dans la ville frontalière méridionale de Bint Jbeil. Cette infortunée ville a été l’objet de la plus brutale attaque aux bombes à fragmentation par les Israéliens à l’été 2006. Des rapports internationaux révèlent à présent que les Israéliens ont usé de bombes à fragmentation de fabrication américaine, à grande échelle, causant un grand nombre de morts et de vastes destructions dans tout le Liban.

8 février 2007 - Al Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2007/831...
Traduction : Michel Zurbach [Info-Palestine.net]