Une critique argumentée de la ligne éditoriale de la BBC dans ses dernières publications d’infos sur le conflit Palestine/Israël. Une critique qu’on peut exprimer avec plus de sévèrité encore à l’égard de la plus grande partie de la presse française, sans parler de nos institutions.
La mort de deux soldats israéliens tués par des militants palestiniens et la capture d’un troisième dans un poste de l’armée en lisière de la Bande de Gaza préparent le terrain pour des « représailles » et une « revanche » israélienne, selon les dépêches des correspondants de la BBC en Israël et à Gaza, hier.
L’attaque des Palestiniens qui se sont infiltrés par un tunnel sous la barrière électronique qui entoure Gaza a marqué « une escalade capitale sur la frontière » (Alan Johnston) qui menace de remettre en cause « une semaine qui avait été positive sur deux points » (John Lyon) : à savoir, les discussions récentes entre le Premier ministre israélien Ehud Olmert et le Président palestinien Mahmoud Abbas en Jordanie, et celles entre le Fatah et le Hamas.
Ainsi, d’après l’analyse de la BBC, cette attaque ôte toutes leurs chances immédiates aux négociations de « paix » et favorise une nouvelle relance du conflit entre l’armée israélienne et les Palestiniens de Gaza. On nous suggère de penser que toute souffrance que l’armée pourrait infliger dans les jours et les semaines qui viennent serait à imputer à cette « escalade » des Palestiniens.
Oublions donc les semaines de bombardements de Gaza par Israël, les tirs de centaines de missiles sur une Bande de Gaza surpeuplée qui ont détruit les vies et les biens palestiniens, la terreur qui se répandait parmi la population palestinienne et accroissait le traumatisme psychologique subi par une génération d’enfants.
Oublions donc les morts de plus de trente civils et ces dizaines de blessures atroces des semaines passées de la main des militaires israéliens, avec trois enfants tués dans l’attaque aérienne ratée de la semaine dernière, et une jeune femme enceinte avec son frère docteur, tous les deux tués le lendemain par un missile qui a explosé dans la pièce où ils étaient en train de dîner.
Oublions donc le blocus de la « frontière » de Gaza par l’armée israélienne depuis des mois, empêchant les Palestiniens de la Bande de Gaza de passer leurs marchandises aux points de passage avec Israël et de recevoir les approvisionnements essentiels en nourriture et médicaments. Assiégés par les soldats israéliens, les gens de Gaza font face à une catastrophe humanitaire voulue par la politique du gouvernement israélien et mise en ?uvre par l’armée israélienne.
Oublions donc les mesures d’intimidation d’Israël sur la communauté internationale pour qu’elle agisse de pair afin de priver le gouvernement Hamas de ses financements et toutes les man ?uvres diplomatiques pour empêcher la direction palestinienne élue de fonctionner. La situation est si désespérée que les responsables du Hamas sont contraints de passer clandestinement des millions de dollars en espèces, planqués dans des valises, pour payer les salaires.
Et enfin, oublions donc la violation du territoire palestinien par les commandos israéliens qui s’infiltrent dans Gaza, la veille même de l’attaque palestinienne, pour enlever deux Palestiniens qu’Israël prétend être des terroristes. Ils les ont faits « disparaître », probablement détenus dans un centre administratif, où ils n’auront accès ni à un avocat, ni aux tribunaux et bien sûr, pas plus à la justice.
Rien de tout ceci ne peut créer les conditions d’une attaque palestinienne sur un poste de l’armée, pas plus - dans la façon de voir le monde de la BBC -, que les quatre décennies passées d’occupation. Rien apparemment, ne pourrait justifier une attaque palestinienne, ou ne permettre de juger de la légitimité des « représailles » militaires israéliennes imminentes.
En bref, selon la BBC, nous pouvons oublier la politique sans fin de l’unilatéralisme israélien - qui est un refus net de négocier avec les Palestiniens, que ce soit avec la vieille garde du Fatah ou la nouvelle du Hamas - et son recours à la stratégie de la punition collective contre la population de Gaza pour la soumettre à une occupation permanente.
Pourquoi les morts par dizaines des Palestiniens ne pourraient-elles justifier une revanche palestinienne ?
Dans la morale retorse et les priorités de l’info de la BBC, la mort de deux soldats israéliens par des militants palestiniens - l’ « escalade » - justifie une « revanche violente » contre Gaza, avec le nombre inévitable de victimes civiles comme de militants. Mais les morts récentes de dizaines de civils palestiniens, ne peuvent, elles, justifier la revanche palestinienne d’hier contre l’armée.
En d’autres termes, sur l’échelle de l’indignation morale, la BBC classe la mort de soldats imposant une occupation illégale bien au-dessus de celles de civils palestiniens qui endurent ladite occupation.
Il y a une autre asymétrie à noter dans les appréciations de la BBC sur les « escalades ». La participation de la branche militaire du Hamas à l’attaque est la preuve, suggèrent les journalistes, du rôle de la direction palestinienne dans « l’escalade des tensions ». Mais le meurtre par l’armée israélienne de 7 membres d’une famille palestinienne sur la plage de Gaza le 9 juin, et de beaucoup d’autres civils depuis, n’est apparemment pas une « escalade », même s’il a poussé le Hamas à rompre un cessez-le-feu qu’il respectait depuis 16 mois, face aux assauts continuels de l’armée israélienne.
Ainsi va la vision normale pour juger du sens des événements - le « cycle sans fin de la violence » - avec la BBC comme conseiller. (Et la BBC n’est pas la pire, meilleure peut-être que la plupart des autres presses occidentales. Au moins, son journaliste, Alan Johnston, est à Gaza.)
Non seulement ses journalistes font preuve d’un partis pris accolé à un racisme institutionnel - comme organisation, la BBC choisit de privilégier les inquiétudes israéliennes sur celles des Palestiniens - mais ils combinent cette distorsion avec la reprise, dénuée de toute critique, de la présentation déformée par Israël des évènements.
Une présentation du conflit avec les seuls yeux d’Israël
Ces journalistes, comme beaucoup de leurs collègues, tombent dans le piège de présenter le conflit avec les seuls yeux du gouvernement israélien ; le même gouvernement dont le Premier ministre, Ehud Olmert, la semaine dernière, étalait son chauvinisme ethnique en plaçant la souffrance des habitants juifs de Sderot - confrontés aux tirs, non mortels la plupart du temps, des roquettes Qassam palestiniennes - loin au-dessus de tous ces morts de civils de Gaza par les bombardements constants de l’artillerie et de l’aviation. « Je regrette de tout mon c ?ur pour les habitants de Gaza » dit Olmert, « mais la vie et le bien-être des habitants de Sderot sont plus importants que ceux des habitants de Gaza ». Autrement dit, une menace potentielle contre un seul Juif est plus importante que la mort de dizaines de Palestiniens innocents.
Ainsi, nous apprendrons, sans le moindre commentaire de la BBC, qu’Olmert a dénoncé le meurtre des deux soldats comme un acte de « terrorisme », alors que ce mot ne saurait qualifier une attaque par un peuple occupé contre l’armée qui l’occupe. Comment est-il possible que quelques hommes dotés d’armes légères puissent terroriser l’une des armées les plus puissantes du monde ? Avons-nous prêté l’oreille avec bienveillance aux déclarations des USA disant que leurs soldats étaient « terrorisés » par les insurgés iraquiens ?
Se défendre en disant que la BBC ne fait finalement que rapporter la position israélienne ne résiste pas à l’examen. Serait-il concevable d’écouter la BBC répéter, en toute neutralité, une déclaration du Hamas disant que l’armée israélienne terrorise les Palestiniens avec ses bombardements inconscients sur les civils à Gaza ? même si l’emploi du mot dans ce cas répondrait bien mieux à la définition du dictionnaire. Les obus propagent plus certainement la terreur parmi la population civile palestinienne.
Nous entendons encore, en absence de tout commentaire, qu’Olmert tient le Hamas et le Président palestinien, Mahmoud Abbas, responsables de l’attaque. La BBC, toute dévouée, répète les Israéliens qui déclarent qu’Abbas peut combattre le « terrorisme », alors même que la paie des forces de sécurité palestinienne est conservée dans des banques étrangères peu disposées, à la demande israélienne et américaine, de les remettre, et que le Hamas et Abbas sont enfermés dans une bataille d’influence sur un gouvernement palestinien affaibli.
N’est-ce pas renoncer à tout bon sens que de prétendre que les deux, Hamas et Abbas, seraient à blâmer de la même façon pour l’attaque, alors que les deux sont en rivalité pour le pouvoir ? ou que l’un ou l’autre serait responsable alors qu’Israël a refusé de négocier avec l’un et l’autre, et de les considérer comme des représentants légitimes du peuple palestinien ?
Et encore, la BBC publierait-elle avec toute la solennité qui s’impose les déclarations de Palestiniens tenant Olmert et Peretz personnellement responsables de la mort des civils de Gaza de la dernière quinzaine, alors que dans un monde éclairé, les deux seraient traduits normalement devant les tribunaux pour crimes de guerre ?
Au lieu de cela, en dépit du caractère peu plausible de la version israélienne, la BBC sème allègrement la confusion en faveur de l’armée israélienne. Comme d’autres journalistes radio et télé, elle rapporte naïvement les arguments grotesques qui cherchent à dédouaner l’armée israélienne de sa responsabilité dans les bombardements de la plage de Gaza - qui ont liquidé, rappelons-le, une famille de sept personnes. La BBC présente comme tout aussi crédible, la version tardive de l’armée où des militants palestiniens auraient dit avoir placé une mine, une seule - à un endroit de pique-nique prisé du bord de mer -, avec le vain espoir d’empêcher un débarquement de la marine israélienne sur le littoral de plusieurs miles de la Bande de Gaza. (Ce faisant, la BBC raye les 7 morts et les dizaines de blessés de l’attaque israélienne de sa liste des victimes civiles dans Gaza).
Et les deux journalistes de la BBC évoquent, avec gravité, les inquiétudes d’Israël, car c’est la première fois que des militants palestiniens franchissent la frontière de la Bande de Gaza depuis qu’Israël s’en est retiré il y a presque un an. Et le fait que des Palestiniens se soient échappés, ne serait-ce que brièvement, de leur cage, semble rendre leur attaque plus choquante, non seulement pour Israël mais aussi pour nos deux journalistes.
Cette attaque en Israël, nous disent-ils, est la plus grave jusqu’ici, ce qui implique qu’elle est donc illégitime et participe de l’« escalade ». Même si on écarte le fait que l’attaque fut opérée contre des soldats israéliens qui assiégeaient, emprisonnaient et bombardaient les Palestiniens de Gaza, ne faudrait-il pas que la BBC marque une pause et examine le deux poids deux mesures qu’elle pratique ?
L’incursion de l’armée israélienne dans Gaza, un jour plus tôt, pour capturer deux Palestiniens présumés militants ne relevait-elle pas de la même « escalade » ? Naturellement pas. La BBC sait bien, comme nous tous, que l’armée n’a jamais réellement quitté Gaza, que l’occupation ne s’est jamais vraiment terminée. Mais l’entendez-vous dans la bouche de ses journalistes ?
Jonathan Cook est un écrivain et journaliste basé à Nazareth, Israël. Il est l’auteur du prochain Sang et Religion : démasquer l’Etat juif et démocratique, publié par Pluto Press, et disponible aux USA à la presse de l’université du Michigan. Son site : http://www.jkcook.net.
26 juin 2006 - http://www.counterpunch.org/cook062...
sous-titrage par la publication ; traduction : JPP