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L’Iran joue avec le feu
jeudi 25 février 2010 - Graham Usher
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Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, lors d’une visite dans une des installations nucléaires iraniennes.

Le président Mahmoud Ahmadinejad a profité du 31è anniversaire de la révolution iranienne, le 11 février, pour apporter la confirmation que son gouvernement avait « réussi » à enrichir de l’uranium de 3 à 20%.

L’annonce a sonné le glas du plan des Nations unies qui visait à désamorcer la crise autour du programme nucléaire de l’Iran par l’envoi de la plupart de son uranium faiblement enrichi à l’étranger pour enrichissement. Elle met également Téhéran en infraction avec les cinq résolutions du Conseil de sécurité qui l’enjoignent de suspendre l’enrichissement de l’uranium.

Le président a poursuivi en disant que l’Iran a « la capacité d’enrichir l’uranium à plus de 20 ou 80 % », ou très près du minimum nécessaire pour une bombe. «  S’il vous plaît, prêtez-y attention » ajoutait-il en faisant un grand geste du bras qui englobait les Etats-Unis, l’Europe, Israël et les Etats arabes du Golfe. « Le peuple d’Iran est suffisamment courageux pour, s’il veut construire une bombe, l’annoncer clairement et la construire sans avoir peur de vous. »

L’Iran, a-t-il clamé avec force à la foule massée sur le square Azadi (Indépendance) de Téhéran, est un « Etat nucléaire ». Des paroles et des faits qui montrent le plus clairement qui soit que le régime au pouvoir en Iran a décidé de se sortir des troubles intérieurs provoqués par l’élection présidentielle contestée d’Ahmadinejad en juin dernier, en affrontant les Etats-Unis, l’Europe, Israël et certains pays arabes sur son programme nucléaire, lequel reçoit un soutien majoritaire par les Iraniens.

L’Iran joue avec le feu. L’Iran « court après la production de l’arme nucléaire, » avait dit le Premier ministre israélien, Binyamin Netanyahu, aux diplomates européens à Jérusalem le 9 février. Et d’ajouter, « Cela veut dire qu’il faut des sanctions pour le neutraliser et que ces sanctions doivent être appliquées maintenant ». Israël a déjà menacé de faire pour le programme nucléaire iranien ce qu’il a fait pour le réacteur iraquien d’Osirak, en 1981, et pour le prétendu site nucléaire en Syrie, en 2007.

Le Président des Etats-Unis, Barack Obama, a également déclaré que l’Iran ne pouvait pas avoir l’arme nucléaire. Mais « la prochaine étape, ce sera les sanctions », avait-t-il indiqué lors d’un point de presse à la Maison-Blanche, le 10 février. Ces paroles mettaient plus ou moins fin à la politique d’ « engagement » du président américain avec l’Iran. Depuis octobre, les Etats-Unis - avec la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, la Russie et la Chine - proposaient un compromis sur le programme nucléaire. L’Iran exporterait la plupart de son uranium faiblement enrichi à l’étranger où il serait transformé en une forme qui pourrait être utilisée à des fins civiles mais par pour fabriquer une bombe.

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"L’Iran est est un Etat nucléaire"

L’Iran avait accepté, puis esquivé, et enfin rejeté le marché. La semaine dernière, il a déclaré qu’il enrichirait l’uranium lui-même. Et le Président américain, généralement calme au point d’être glacial, a tout juste réussi à réprimer sa colère. « Nous nous sommes mis en quatre pour dire à la République islamique d’Iran que nous étions disposés à avoir une conversation constructive sur la façon dont elle pourrait se conformer aux normes et règles internationales, » dit-il. Et, «  Elle a fait son choix. »

Le 10 février, le Trésor US avait imposé des sanctions sur le personnel et les sociétés appartenant au Corps des Gardiens de la révolution islamique iranienne (CGRI) qui chapeaute le programme nucléaire et constitue le principal instrument de la répression d’Etat depuis l’élection présidentielle.

Obama veut s’en servir de modèle pour une quatrième série de sanctions du Conseil de sécurité qui ciblera les intérêts des sociétés bancaires, maritimes et d’assurances du CGRI. Elles pourront atteindre le régime sans infliger trop de dégâts à l’économie ou au peuple d’Iran.

Et l’objectif - insistent les officiels du gouvernement US - est de « ramener [l’Iran] aux négociations », pas de changer le régime. Mais la différence est devenue bien floue. La secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, lors de sa tournée dans les Etats arabes du Golfe, a qualifié l’Iran, le 14 février, de « dictature militaire », le code dans le langage US pour glisser, comme avec l’Iraq, vers l’illégitimité.

Des membres du Conseil de sécurité, le Royaume-Uni et la France, (et des non membres du CS, sauf l’Allemagne le plus grand partenaire commercial européen de l’Iran), soutiennent les sanctions. Ainsi que la Russie. « Des actions comme se lancer dans l’enrichissement de l’uranium faiblement enrichi jusqu’à 20% soulèvent des doutes pour les autres pays et ces doutes sont comme fondés, » a dit Nikolai Patrushev, secrétaire du Conseil de sécurité de Russie. « Les méthodes politico-diplomatiques sont importantes pour une résolution, mais il y a une limite à tout. »

Le seul à tenir bon au Conseil de sécurité est la Chine : avec des échanges commerciaux à hauteur de 36,5 milliards de dollars et un Iran qui lui fournit 11% de ses besoins en gaz et en pétrole, c’est elle qui a le plus à perdre avec des sanctions. Mais elle pourrait aussi évoluer. L’objectif principal de la tournée régionale de Clinton est de persuader l’Arabie saoudite de pallier toutes les pertes que pourraient subir la Chine du fait des sanctions si elles étaient imposées, un engagement que certains analystes en énergie doutent que les Saoudiens puissent tenir.

Clinton a également prévu de rencontrer le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan. Ces derniers mois, la Turquie a fait entendre une voix isolée au Conseil de sécurité en mettant en avant l’ « hypocrisie » des Nations-Unies à lever des sanctions contre le programme nucléaire d’un pays lié par le Traité de non prolifération, alors qu’elles ne veulent pas voir l’arsenal nucléaire d’un autre pays (Israël) qui s’en tient, grâce à la protection US, à l’écart. Mais les récentes actions de l’Iran ont exaspérés ses amis, plus encore que ses ennemis.

Une quatrième série de sanctions du Conseil de sécurité est quasiment certaine. Mais les prochaines sanctions ne sont pas plus susceptibles d’inverser la politique nucléaire iranienne que les précédentes. Pas plus qu’elles ne sauraient être l’action «  neutralisante » mettant à mal le secteur énergétique d’Iran que souhaite Israël. La Chine - et, dans une moindre mesure, la Russie - a clairement indiqué qu’elle n’approuverait pas des sanctions sans rapport avec l’industrie nucléaire iranienne ou avec la prolifération.

Pourtant, en choisissant le CGRI, les sanctions pourraient agiter le spectre d’un changement de régime et donner plus de poids à ceux qui, au sein de la direction iranienne, soutiennent que le plus sûr système de défense est de rechercher, sinon la bombe, au moins la capacité d’en monter une. Ce qui multiplierait le risque d’une attaque israélienne. Comme avec l’Irak déjà occupé, le point de rupture des sanctions pourrait bien être la guerre.


* Graham Usher contribue aux publications de Middle East Report. Il est correspondant au Pakistan pour Al-Ahram Weekly et écrit sur le Pakistan régulièrement pour plusieurs publications états-uniennes et européennes. Il est l’auteur de Le Pakistan en pleine tempête, Middle East Report Online, 27 juin 2008, et de Dépêches de Palestine : la montée et la chute du processus de paix d’Oslo (1999).

Son adresse courriel : gram@alqudsnet.com

Du même auteur :

- Imposer le Droit et non la guerre
- Remanier l’Iraq et recommencer en Iran ?
- Les Etats-Unis étendent la guerre au Pakistan
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- Un répit accordé à contrecoeur -

Al-Ahram Weekly Publication hebdo du 18 au 24 féfrier 2010 - n° 986 - traduction : JPP