Fermer la page
www.info-palestine.net
Les Musulmans ne doivent pas payer le prix de la crise identitaire européenne
mardi 29 décembre 2009 - Ramzy Baroud
JPEG - 146 ko
Photo : AFP

Malheureusement, la France n’est pas seule. Elle n’est que la manifestation la plus évidente de la montée des sentiments anti-musulmans à travers l’Europe. Extraire les raisons à l’origine de ce phénomène inquiétant n’est pas une tâche facile, car, plus que l’étude « des lacunes » de l’Islam, elle requiert sans aucun doute un examen approfondi des problèmes politiques, économiques et sociaux des états européens.

L’islam est une grande religion à bien des égards : elle existe depuis plus de 1400 ans. Sa communauté n’est jamais confinée à la couleur de la peau, à la culture, à l’idéologie politique ou aux frontières géographiques. Ses vues sur l’histoire, sur l’égalité, les droits des femmes et la paix sont considérées comme progressistes, même selon les normes d’aujourd’hui.

Les détracteurs de l’Islam ne voient pas tout cela. Si l’Islam est disséqué sur le plan politique ou « de façon académique », l’analyse est faite dans le but de détruire sa réputation, de discréditer ou d’humilier ses adeptes.

Le parti du peuple suisse peut affirmer que son objectif est de garder la Suisse laïque, dépourvue de symboles d’oppression (comme dans un minaret de mosquée...), mais cela ne résonne que comme des propos incohérents ne signifiant rien, si ce n’est une tendance de plus en plus forte au racisme, à l’intolérance et à l’ethnocentrisme. Ces tendances sont des ruptures flagrantes par rapport aux philosophies libérales associées aux pays européens et qui garantissent les droits individuels et collectifs, dont la liberté de pensée et la liberté d’expression.

En France, le phénomène dure depuis plus longtemps et est plus dangereux. Considérant que la France est le foyer de cinq millions de Musulmans français, ces tendances d’extrême-droite menacent le pays d’un avenir de discorde.

Le Washington Post a rapporté le 19 décembre que la mosquée Bilal, dans la tranquille ville française de Castres [une ville de garnison, abritant la fine fleur des troupes coloniales françaises - N.d.T] a été profanée par des inconnus. « Deux oreilles de cochon et une affiche du drapeau français agrafée à la porte ; un groin de porc pendait à la poignée. Des inscriptions : "Pouvoir blanc" et "Sieg Heil", ont été peintes sur un côté ... et "La France aux Français" sur l’autre ».

Ici, il est nécessaire de rappeler les propos alarmants du premier Musulman à être devenu ministre en Grande-Bretagne, Shahid Malik. Lui-même victime d’agressions haineuses, Malik a déploré il y a un an et demi que beaucoup de Musulmans se sentent visés comme l’avaient été « les Juifs d’Europe », et que de nombreux Musulmans britanniques se sentent « étrangers dans leur propre pays ».

Alors que beaucoup de Musulmans partagent le même sentiment de nationalisme et de patriotisme dans leur pays d’origine en Europe, les formations racistes - qui sont hélas une force dominante dans la formation de l’opinion publique dans plusieurs pays européens - défendent une définition très réduite de ce qui fait que l’on est français, britannique, allemand ou suisse.

Il y a effectivement une crise d’identité qui est réelle et très inquiétante. Et elle ne submerge pas que la seule Europe, mais elle affecte également et, dans certains cas dévaste, de nombreuses cultures à travers le monde. Bien qu’il s’agisse d’un sous-produit néfaste et non-contrôlé de la mondialisation, dans le cas de l’Europe la question est très nationale et très particulière. L’Union Européenne, née comme un organisme purement économique s’est transformée en une organisation politique et pan-nationale qui tente, accidentellement ou à dessein, de définir une Europe unie et un prototype européen. Cela a suscité des peurs d’une perte des identités nationales ou de ce qu’il en reste. On pouvait s’y attendre, ce sont ceux qui sont sous-représentés politiquement, socialement marginalisés et économiquement défavorisés qui paient souvent le prix de ces sortes de renaissance nationale.

Cibler les musulmans est un dénominateur commun qui unit désormais une grande partie des élites politiques et des médias en Europe. Les raisons sont nombreuses et évidentes. Certains pays européens sont en guerre (ce qu’ils ont choisi) dans divers pays musulmans ; les hommes politiques sont en échec et sont désespérés et ils ont besoin de constants dérivatifs face à leurs propres échecs et problèmes ; associer l’islam avec le terrorisme est devenu une diatribe plus qu’acceptable, un sujet de discussion qui a occupé plus de temps d’antenne de radio et de télévision que les autres sujets ; et s’en prendre aux Musulmans autour de soi semble avoir peu de répercussions politiques - contrairement au ciblage d’autres groupes ayant un poids politique ou économique.

Mais y a-t-il pire que cela ? Un sondage réalisé par la société Gallup en 2007-2008 a posé la question suivante : est-ce que la religion occupe une place importante dans votre vie ? La grande majorité des habitants d’Europe occidentale a répondu par un « non » retentissant. Seulement 9% des citoyens turcs - un pays à majorité musulmane - partage cette opinion. La plupart des musulmans européens s’identifient fortement à leur religion, qui a préservé leur sens de la communauté et aidé à maintenir un certain degré de cohésion culturelle et un semblant d’identité collective à un moment où beaucoup d’Européens sont en train de les perde. Les musulmans ne doivent pas être rendus responsables de cette perte, et ils ne devraient pas être critiqués, tournés en ridicule ou agressés pour avoir osé préserver leurs croyances.

En revenant à la France, ce qui est plus alarmant avec les mesures anti-musulmanes, c’est qu’elless sont en grande partie à linitiative du gouvernement lui-même, plutôt que d’un groupe d’idéologues fanatiques et aigris. Eric Besson, le ministre pour l’’immigration a déclaré le 16 décembre que le fait de porter le voile musulman sera un motif de refus de la citoyenneté et de permis de résidence à long terme. Besson ne faisait que refléter les politiques inquiétantes du président conservateur Nicolas Sarkozy qui a lancé une campagne intitulée « identité nationale » pour garantir une identité française, celle qui justement est occupée à s’attaquer aux immigrés et notamment aux Musulmans.

Sarkozy, Besson et tous les politiciens de droite et d’extrême-droite en Europe doivent comprendre les répercussions possibles s’ils persistent dans leur politique irresponsable et débilitante.

La radicalisation est le rejeton inévitable de l’aliénation d’un groupe, qui sera malheureusement exploité pour alimenter davantage le sentiment anti-immigrés à travers le continent. C’est un cercle vicieux, et la faute en incombe tout simplement aux hommes politiques sournois et à leurs évidents objectifs. Quant à ceux qui tiennent à mettre sur le dos de l’Islam tous les maux de l’Europe, ils feraient bien de trouver un autre passe-temps. L’auto-indulgence est un jeu trop dangereux qui doit cesser.

La notion de statut religieux-ethnocentrique exclusif pour un seul peuple au détriment d’un autre a été rejeté par le monde. Les Palestiniens le refusent et nous réaffirmons que nous sommes des êtres humains dignes de bénéficier des mêmes droits fondamentaux que ceux qui sont accordés au reste de l’humanité, que nous sommes dignes de nos maisons et de nos fermes, de notre patrimoine, de nos églises et nos mosquées ainsi que de notre histoire, et que nous ne devrions pas perdre de temps à négocier avec nos oppresseurs des droits si élémentaires. La solution à deux États a été et reste un instrument permettant de contourner les droits humains fondamentaux des Palestiniens dans le but de s’accommoder du désir d’Israël d’être juif. Les sondages montrent que les Palestiniens refusent d’être les ennemis de nos frères et soeurs juifs où que ce soit, tout comme nous refusons qu’ils nous oppriment.

* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est écrivain et publie pour PalestineChronicle. Ses écrits sont publiés par de nombreux journaux, quotidiens et anthologies à travers le monde. Son avant-dernier dernier livre : La Seconde Intifada : une chronique du combat du peuple (Pluto Press, Londres) et le dernier tout récemment publié : Mon Père était un combattant de la liberté : l’histoire non dite de Gaza (Pluto Press, London).

Du même auteur :

- L’hypocrisie d’Al-Demoqratia - 15 décembre 2009
- Comment Israël a gagné une nouvelle fois la bataille des colonies... - 13 novembre 2009
- Abbas et le rapport Goldstone : notre honte est totale - 11 novembre 2009
- La guerre, la négation et l’identité musulmane sous un jour nouveau - 23 octobre 2009
- Obama au pied du mur : démocratie ou chaos en Amérique Latine - 17 octobre 2009
- Le théâtre sur le nucléaire iranien est censé détourner notre attention - 14 octobre 2009

23 décembre 2009 - Transmis par l’auteur
Traduction de l’anglais : Claude Zurbach