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Ça ne sert à rien d’accuser l’Iran pour l’insurrection en Irak
vendredi 9 février 2007 - Patrick Cockburn - The Independent

Il est peu surprenant que le gouvernement iranien croie que les Etats-Unis sont derrière l’enlèvement, dimanche dernier à Bagdad, de l’un de ses diplomates. Les Iraniens disent que ce dernier a été capturé par 30 hommes en uniforme d’un bataillon de commando de l’armée irakienne qui travaille souvent avec les services de l’armée américaine en Irak.

Les Etats-Unis ont déjà montré leur mépris de toute immunité diplomatique protégeant des Iraniens en Irak, en arrêtant le mois dernier cinq fonctionnaires d’un bureau iranien établi depuis longtemps dans la ville kurde d’Arbil. La Maison-Blanche avait un peu plus tôt autorisé les forces américaines à tuer ou à capturer les Iraniens considérés comme des menaces.

Il est frappant de voir à quelle vitesse Washington cherche l’escalade dans sa confrontation avec l’Iran. Sa rhétorique a retrouvé le même ton véhément entendu si souvent lorsque les Etats-Unis accusaient Saddam Hussein en 2002 et en 2003 de cacher des armes de destruction massive qui menaçaient le monde.

Aucun observateur sérieux de l’Irak depuis l’invasion étasunienne ne croit un seul instant que l’Iran a soutenu l’insurrection sunnite ou joué un rôle essentiel dans l’ascension des milices chiites. Il était évident que la chute de Saddam allait bénéficier à l’Iran. Après tout, il était l’ennemi juré de Téhéran et les Iraniens furent ravis de le voir partir.

Une deuxième conséquence inévitable de la fin du régime à prédominance sunnite de Saddam fut que les Chiites irakiens, 60% de la population, prendraient le pouvoir à Bagdad. Prévoyant et souhaitant éviter justement une telle issue, le Président George Bush senior refusa d’envoyer l’armée américaine à Bagdad après sa victoire au Koweït en 1991.

Que peut bien espérer obtenir M. Bush en affrontant l’Iran et même en partant éventuellement en guerre contre l’Iran ? A l’intérieur de l’Irak, c’est une politique de grande folie, parce que cela sera vu comme étant anti-chiite aussi bien qu’anti-iranien. Les Chiites irakiens soupçonnent les Etats-Unis de vouloir les dépouiller du pouvoir. Depuis l’année dernière, pour la première fois, une majorité de Chiites soutient les attaques armées contre les forces étasuniennes.

Washington peut tirer quelques bénéfices en cherchant l’escalade dans son conflit avec l’Iran. L’administration Bush s’est spécialisée dans la création de démons, responsables de tous les maux irakiens. Il y a d’abord eu Saddam Hussein, puis Abou Moussab al-Zarqawi. Tous deux ont été tués l’année dernière, mais la guerre continue d’escalader.

L’Iran est à présent promu comme le nouveau démon. Il est supposé être derrière l’approvisionnement en bombes placées le long des routes qui ont tué tant de soldats américains et britanniques - bien que la technologie utilisée dans ces dispositifs simples, mais mortels, pourraient généralement être trouvés dans une cabane de jardin.

L’Irak a manqué de tout pendant longtemps, sauf d’armes. Chaque famille irakienne possédait des armes, même sous Saddam Hussein. Au début des années 90, il a introduit un programme de rachat avec lequel il paierait pour chaque arme lourde remise. Une tribu au sud-est de l’Irak est arrivée avec trois chars qu’ils ont proposés de vendre au gouvernement si le prix était juste. Considérant l’offre officielle trop basse, ils ont retourné les chars à l’arsenal de leur tribu.

Ce sera très difficile pour les Etats-Unis de poursuivre une politique anti-iranienne en Irak et au Moyen-Orient tout en soutenant un gouvernement chiite pro-iranien à Bagdad. Etrangement, le seul parti puissant qui est aussi férocement anti-iranien que M. Bush est le parti Baas. Depuis longtemps, il a justifié son opposition à la prise de contrôle du gouvernement par la majorité chiite en prétendant que ce sont des pions iraniens.

Au Moyen-Orient, dans son ensemble, la nouvelle politique anti-iranienne des Etats-Unis présente plus d’avantages d’un point de vue américain. Il y a des sentiments anti-iraniens et anti-chiites à profusion à la ronde. Les dirigeants arabes sunnites en Arabie Saoudite, en Egypte et en Jordanie ont été embarrassés par le succès du Hezbollah chiite l’été dernier dans la guerre au Liban, comparé à leur propre incompétence chronique. Il ne faut pas s’étonner qu’ils soient contents de se joindre aux Etats-Unis en attisant les sentiments anti-chiites et anti-iraniens.

M. Bush agit plutôt comme les politiciens Tories cyniques, à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, qui jouèrent "la Carte Orange" sur l’Ulster. Prétendant sauvegarder l’empire, ils excitèrent la bigoterie anti-catholique et anti-irlandaise pour leur propre avantage politique. M. Bush pourrait récolter des bénéfices similaires en jouant la carte anti-chiite et anti-iranienne.

Un expert de l’Irak m’a demandé de façon perplexe : "Même si Bush lance effectivement une guerre contre l’Iran, où pense-t-il que cela va le mener ? Il sera toujours coincé en Irak et les Iraniens ne se rendront pas. Il aura juste élargi le champ de la guerre".

La réponse à cette question est probablement que la joute anti-iranienne de l’administration Bush a plus à voir avec la politique américaine que la politique irakienne. Un démon neuf est présenté aux électeurs américains. L’Iran est décrit comme la main cachée derrière l’échec des Etats-Unis à la fois en Irak et au Liban. Les médias américains, crédules à propos des ADM, se montrent également crédules devant cette menace iranienne exagérée.

L’administration Bush s’est toujours montrée plus intéressée à garder le pouvoir à Washington qu’à Bagdad. Quels que soient ses échecs sur le champ de bataille, les Républicains ont été capables de garder la présidence et les deux Chambres en 2004. La confrontation avec l’Iran, détournant l’attention du fiasco en Irak, pourrait être leur meilleure chance de garder la Maison-Blanche en 2008.

Patrick Cockburn - The Independent, 7 février 2006 : It is no use blaming Iran for the insurgency in Iraq
Traduit de l’anglais par Jean-François Goulon, Questions Critiques