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Hommage à la ville interdite
lundi 23 novembre 2009 - Karl Schembri - BabelMed

GAZA CITY, Gaza - Pour l’immense majorité des Palestiniens, la ville sainte de Jérusalem reste inaccessible. Pour les Gazaouis, c’est la ville interdite. Comme ils sont « emprisonnés » dans la Bande de Gaza, en état de siège, il est déjà extrêmement compliqué pour eux de sortir de là, mais quitter Gaza pour se rendre à Jérusalem n’a jamais été aussi difficile. Cependant, alors même que la Cisjordanie et Gaza semblent s’en éloigner de plus en plus, la Vieille Ville reste présente dans les c ?urs et les esprits des Palestiniens de toutes catégories sociales. Et bien qu’assiégés, les artistes gazaouis ont décidé de rendre hommage à Jérusalem.

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Shareef Sarhan

A Gaza City, un groupe de douze artistes expose actuellement les hommages adressés par chacun d’entre eux à la Vieille Ville. A travers leur propre vision des choses, ils représentent des images de nostalgie, de résistance, de désespoir, de désir, de calme, et de conflit. Dans tous les cas, ce sont des images fondées sur le souvenir qu’ils ont de la ville, si proche et pourtant si lointaine. Ce qui manque le plus à Shareef Sarhan, qui est allé à Jérusalem pour la dernière fois il y a seize ans, ce sont les petits détails de la vie quotidienne. Comme prendre le thé avec des amis sur le trottoir, marcher dans le labyrinthe des rues pavées, ou acheter un souvenir. « On ne peut pas sortir d’ici, il est rigoureusement impossible d’aller à Jérusalem », déclare Sarhan. « L’idée que nous avons eue, en faisant cette exposition, c’est de dire à Jérusalem : "Hé ho, on est là". C’est notre manière à nous de lui dire qu’elle est toujours présente dans nos c ?urs, que nous pensons à elle tout le temps. »

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Bassel Al Maqoussi

«  Nous n’avons jamais oublié Jérusalem, et nous ne l’oublierons jamais », déclare Bassel Al Maqoussi , qui en parle comme de « la ville inaccessible ». « Jérusalem est en nous, elle est dans nos c ?urs, elle est partout présente dans notre culture, notre religion, notre héritage, même quand elle est si loin de nous. Quelque soit la situation, elle reste en nous. ». « En tant qu’artistes, nous saluons la ville qu’on nous a enlevée », ajoute-t-il. Al Maqoussi a visité Jérusalem pour la dernière fois en 2007, avant la guerre civile qui a opposé le Fatah et le Hamas, et le blocus qui l’a suivie. Mais même à cette occasion, il n’a pu voir la Vieille Ville que de l’extérieur. « J’étais avec mes amis aux portes des Jérusalem, à la Porte de Damas, et la police israélienne nous a empêchés d’entrer, précisément parce que nous sommes de Gaza », dit-il. « Je n’ai même pas eu le droit de prendre la Vieille Ville en photo. Nous n’avons pu voir Jérusalem que de derrière ses murailles. »

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Maha Daya

Maha Daya est une autre artiste de Gaza qui expose ses travaux. Ses paysages colorés aux dômes et aux portes cintrées donnent un aperçu de sa Jérusalem rêvée. « Par le passé, nous pouvions visiter Jérusalem, mais aujourd’hui, c’est complètement interdit. La dernière fois que j’y suis allée, c’était en 1996 », dit elle. « Mes peintures sont basées sur les souvenirs que j’ai de Jérusalem : le pont de Damas, le Dôme du Rocher... chaque fois que j’y allais et que je parcourais ses vieilles rues, je sentais quelque chose de mystérieux m’envahir. »

Daya est parfaitement consciente de la transformation que connait actuellement Jérusalem sous l’occupation israélienne. « J’ai entendu dire qu’un grand nombre de changements sont en cours à Jérusalem, et d’après ce qu’on m’a dit, si j’y retourne, je trouverai à coup sûr que beaucoup de choses ont changé. Pas seulement le paysage et les bâtiments, mais aussi les gens - il y a beaucoup moins de Palestiniens qui y vivent désormais. ». Contrôlée par Israël depuis l’annexion de Jérusalem durant la Guerre des Six Jours, en 1967, la Vieille Ville reste au c ?ur des tensions entre les deux côtés. Pour les Musulmans, c’est le foyer de la Mosquée Al-Aqsa - considérée comme le troisième lieu saint dans l’Islam - et d’Al-Haram Al-Sharif - le Noble Sanctuaire. Pour les Juifs, c’est le foyer du Mont du Temple et du Mur Ouest.

Fin septembre 2000, elle a été la scène de la seconde Intifada, connue aussi sous le nom d’Intifada Al Aqsa, lorsqu’Ariel Sharon s’est rendu sur le Haram Al-Sharif, déclenchant des soulèvements sanglants qui se sont poursuivis pendant des années. D’après les estimations, cette Intifada aurait fait 5 500 morts du côté palestinien et 1 000 du côté israélien. Ces dernières semaines, des altercations sont survenues dans la Vieille Ville, mettant à jour les tensions bien présentes, mais jusqu’alors enfouies, tandis que les Palestiniens assistent à ce qu’ils appellent la « Judéisation » de leur capitale. L’exposition ?Tribute to Jerusalem’ de Gaza City coïncide avec les festivités qui auront lieu tout au long de l’année à Jérusalem, choisie par la Ligue Arabe pour être Capitale 2009 de la Culture Arabe. Cette exposition est organisée par « Windows From Gaza », un groupe d’artistes contemporains mis en place pour soutenir l’art moderne dans la Bande de Gaza, pendant le blocus.

« Windows from Gaza est pour nous un espace d’expression, une fenêtre qui nous permet de représenter ce que nous voyons dans cette étroite Bande, en utilisant le langage universel de l’art », explique Sarham. « Le siège et l’enfermement constituent pour les habitants de Gaza une souffrance quotidienne, et conduisent à une paralysie totale de la vie dans toutes ses dimensions. » L’art, lui aussi, subit les effets du siège, notamment la pénurie de matières premières. Les photos ne peuvent être imprimées qu’en basse qualité, à cause du manque d’équipement, et la peinture est extrêmement rare.

« Nous dépendons du matériel qui arrive de l’Égypte en transitant par les tunnels », déclare Sarhan. « Parfois nous devons demander à des gens venant d’Israël, de Jérusalem ou de Ramallah de nous en apporter. Certains de mes amis travaillent avec l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), mais tout le monde n’a pas cette chance. » Gaza n’a pas consacré d’espaces à l’exposition, et de ce fait, présenter les ?uvres est pour tous ces artistes un challenge encore plus grand. L’organisation de Sarhan s’est contentée d’ouvrir un atelier et un espace d’exposition dans le centre de Gaza City, où se tient actuellement le « Tribute to Jerusalem ». Par-delà l’hommage à Jérusalem, l’exposition est un hommage aux artistes gazaouis eux-mêmes ; elle nous rappelle que même sous les ruines de la dernière guerre, les Gazaouis ont soif de vivre, et que malgré les destructions, ils osent encore rêver.

Voir : http://www.journeytogaza.blogspot.com

20 novembre 2009 - BabelMed - Traduction de l’italien Marie Bossaert