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Gaza : ?il pour ?il
jeudi 8 février 2007 - Laïla Al-Haddad - Al Jazeera.net

Le 26 janvier 2006, Mahmoud Abbas, le président palestinien et chef du Fatah, a déclaré lors d’une conférence de presse au forum économique mondial à Davos que les pourparlers avec le Hamas, le parti dominant en ce qui concerne la formation d’un gouvernement d’unité nationale, devaient aboutir sous trois semaines.

Il a rappelé qu’il convoquerait des élections présidentielles et parlementaires anticipées si les entretiens n’aboutissaient pas.

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Membres de la Force Exécutive du Hamas

Le Hamas refuse toute perspective d’élection. Il a suspendu le jour même les discussions à propos du gouvernement d’union après que plusieurs personnes aient été tuées lors d’affrontements inter-factionnels.

Depuis mi-décembre, plus de 40 Palestiniens ont été tués et de nombreux autres ont été blessés dans ce qui a été présenté comme une lutte de pouvoir entre les partisans du Hamas et ceux du Fatah.

Les affrontements ont aussi réflété les inimitiés entre clans et groupes de sécurité.

Laïla Al-Haddad a pu discuter avec quatre personnes impliquées dans les combats, leur demandant pour quelle raison ils y avaient participé et comment ils se représentaient l’avenir.


« Ma tête est pleine de slogans et de propagande. C’est la fin d’une journée très longue. Mais ce qui m’a effrayée le plus ce n’était pas les armes et les paroles très radicales, ou même la perspective très probable d’une explosion soudaine, mais plutôt d’avoir atteint un point où je peux comprendre comment et pourquoi une guerre civile inter-palestinienne est possible. Et pourquoi il est presque impossible de représenter une nation à partir de quelques individus lorsque ces personnes sont profondément impliquées et d’une loyauté sans faille.

Cette situation est un monstre qui se nourrit de lui-même, et l’on survit ou meurt des deux côtés sur la base de récits également crédibles. D’après les participants, personne et tout le monde est à blâmer. »


Alors que je traversais les bureaux de la Force Exécutive du Hamas, je me suis fait aborder par Islam Shahwan, son porte-parole exubérant et aux manières douces. Il me donne avec enthousiasme des détails sur une opération récente - la mise hors d’état de nuire d’un curieux cercle de pourvoyeurs de drogues opérant à partir d’un cimetière dans la ville de Khan Younis dans la partie méridionale de la bande de Gaza - avant de me présenter à Isam Aqaylan.

Aqaylan, âgé de 22 ans, est un jeune homme trapu avec un visage poupin. Le jour il est étudiant en géographie à l’Université Islamique de Gaza. La nuit, il est fantassin dans la Force Exécutive.

Il était en faction près de l’hôpital Shifa dans Gaza lorsque les affrontements ont éclaté entre les hommes du Fatah et ceux de la Force Exécutive quelques jours après qu’Abbas ait appelé à de nouvelles élections.

Comment s’est réellement déclenché le combat ? Comment cela at-il démarré ?

« Nous étions stationnés à proximité de l’hôpital afin de protéger les équipes qui y travaillent et de prévenir les actes criminels, comme les médecins peuvent en témoigner.

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Membres de la Force Exécutive du Hamas

Il y avait un groupe de partisans du Fatah --- des membres de la mukhabarat [leur service de renseignement] qui se déplaçait à bord d’une ambulance, essayant de repérer les mouvements des membres de la Force Exécutive. »

« Nous les avons fait stopper une première fois, puis les avons laissé repartir. Comme ils ne s’éloignaient pas, nous les avons arrêtés à nouveau, mais afin d’éviter les ennuis nous avons voulu appeler le responsable de leur unité dans la zone. Nous nous sommes alors coordonnés avec le mukhabarat lui-même pour qu’on vienne les chercher.

« Soudain, sans que nous sachions de quel côté cela venait, nous avons été pris sous des tirs.

Il n’y avait pas de raison à cela --- et les tirs montraient clairement l’intention de nous blesser ou de nous tuer. Plusieurs des nôtres ont été blessés et l’un de nous, Ismaïl Abu Khair, a été tué par une grenade propulsée [RPG, Rocket-Propelled Grenade].

« Des membres du mukhabarat ont pris position sur les toits entourant l’hôpital et on pris [Ismaïl Abu Khair] pour cible. Son corps a été mis en pièces. Après cela nous sommes devenus très prudents. »

Shahwan nous interrompt pour me remettre un communiqué de presse officiel que son bureau a publié concernant ce qui s’était passé.

Mais pourquoi avez-vous été personnellement impliqué dans ces affrontements ?

« Je ne faisais que mon travail qui est de procurer la sécurité aux gens de Gaza en les protégeant, en tant que membre de la Force Exécutive. Je n’ai jamais pris qui que ce soit pour cible. »

« Généralement ce qui se produit est que nous sommes postés quelque part pour protéger les gens, et alors nous sommes pris sous des coups de feu venant de nulle part, et l’on entend dire ensuite que nous avons les premiers visés les gens du Fatah. Tous ces racontars servent à déformer la réalité. »

« Et ensuite, c’est seulement après que nous ayons été pris pour cible que nous ripostons », dit Aqaylan, reprenant le fil de son récit sur ce qui s’est passé à l’hôpital Shifa.

« Nous ne tirons jamais sans raison. Plusieurs fois nous avons été pris pour cible et nous n’avons pas riposté car il y avait des gens aux alentours. »

« Il y avait une volonté délibérée de déformer la réalité et de s’attaquer à la crédibilité de ce gouvernement. »

« Des armements lourds étaient utilisés par l’autre côté - armements que nous n’avons jamais vus auparavant du côté palestinien. Et ces armes étaient utilisées ici pour attaquer la Force Exécutive, au lieu de l’être pour protéger le peuple. Il faut se demander comment ces armes ont été financées. »

Que dites-vous des rapports selon lesquels des obus de mortiers ont été tirés sur les quartiers généraux du Fatah dans Gaza, et plus particulièrement de l’affirmation que des domiciles de gens du Fatah sont visés et parfois encerclés ?

« Nous condamnons l’utilisation de mortiers et tout ce qui mène au chaos --- c’est clairement une équipe indépendante agissant pour des raisons précises qui fait cela. »

« Nous n’avons aucun ennemi. Nous avons été mis en place pour aider et soutenir la force de police, pour fournir la sécurité et la sûreté à la société, et pour nous coordonner et nous compléter avec la garde présidentielle. Mais tout ceci a été très mal présenté, d’autant plus que certains organisent ce chaos. »

Ce dernier commentaire fait référence à la méthode de « l’anarchie organisée » qui est dite avoir été employée par Yasser Arafat et reprise par Mohammed Dahlan, un responsable de la sécurité au Fatah.

Aqaylan s’excuse alors car il va prier, tandis qu’Abu al-Bara, âgé de 25 ans et membre également de la Force Exécutive prend sa place et reprend le récit là où son collègue l’a laissé.

« Un jour, nous étions à un feu de croisement au moment où passait un cortège funéraire pour un membre de la Force 17 du président Abbas. Ils se sont mis à nous injurier et à nous provoquer en crachant et en nous maudissant, mais nous nous sommes retenus et nous sommes repartis. »

« Ils ont commencé alors à nous tirer dessus - et nous avons filmé la scène. C’est comme cela que les choses se sont passées. »

« On nous a tiré dessus intentionnellement à l’intérieur de l’hôpital. »

« Certaines personnes font courir le bruit que nous avons tiré en premier sur le cortège funéraire du Fatah, alors que réellement c’est une de nos maisons qui a été visée la première. Malgré le fait qu’il existe un groupe de gens dont l’intention est de nous faire disparaître, comme mouvement Hamas ou comme Force Exécutive, nous avons survécu. »

Est-ce que en appliquant des représailles, n’engagez-vous pas tout simplement un autre cycle de violence ?

« On nous avait donné l’ordre de nous retirer des zones où des combats avaient lieu » ... « Mais les milices du Fatah sont au-dessus des lois - ils ne prêtent aucune attention ni aux ordres ni à la sécurité des civils. »

Afin de me donner une idée de la façon dont les évènements s’enchaînent jusqu’à l’affrontement, Abur al-Bara’ me fait part d’une anecdote.

« D’habitude ce qui se produit ressemble à cela [...] Quelqu’un envoyé par le Fatah circule près de nous en voiture. Cette personne est prête à tirer sur la Force Exécutive en provoquant une fusillade entre voitures. Sa voiture se dirigerait ensuite vers des bâtiments de la sécurité, comme le siège de la police par exemple. »

« La police se mettait alors à tirer sur la force exécutive, pensant que nous étions les responsables. Puis la Force Exécutive répliquait - il n’y a pas beaucoup de temps pour réfléchir dans de telles situations, juste ce qu’il faut pour se défendre. »

« Et plus personne ne sait qui a commencé. »

« Nous avons fait une enquête à ce sujet et constaté que ces individus ont été envoyés par certaines personnes du Fatah pour nous engager dans des combats. »

« Par le passé les gens ont eu confiance dans la Force Exécutive. Ils nous ont soutenus et ont cru à ce que nous faisions, mais maintenant notre image a été démolie - et intentionnellement. »

« Nous avons toujours fait très attention quand nous devions tirer - nous ne tirons jamais directement sur quelqu’un. »

« Un autre incident de ce genre s’est produit quand nous sommes tombés sur quelques hommes armés dont on ne voyait pas l’appartenance. Ils ont commencé par vouloir nous tirer directement dessus, puis [après avoir été matrisés] ils nous ensuite demandé de leur trouver un convoi officiel pour les ramener à la sûreté. »

« Ceux que nous avons capturés nous ont dit qu’on leur avait promis des emplois et des promotions s’ils s’en prenaient à des membres du Hamas ; et tous ces actes sont réalisés avec la complicité de responsables de haut niveau du Fatah. Dans tous les cas, ils ne devraient pas leur faire de telles promesses. »

« Dans ce contexte tout est fait pour masquer la vérité.

« Leur but ultime est de provoquer assez de désordre pour pouvoir renverser le gouvernement de quelque façon que ce soit ; ils ont même essayé d’assassiner des membres du gouvernement. »

« C’est notre devoir de riposter. »

« Il y a une chose qui est sûre - il y a un groupe politique qui a un intérêt personnel à tout ceci. »

Ahmed Madhoon (aka Abu Nabil), 22, membre des Fatah « escadrons de la mort » du Fatah

Décrire Ahmed Madhoon comme paranoïaque est une sous-estimation. L’individu décrit comme insomniaque ne reste pas une minute sans regarder au-dessus de son épaule ou par les fenêtres en cherchant de possibles assassins appartenant à la variété locale - et maudissant le Hamas à chaque respiration.

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Ahmed Madhoon

Un jeune membre des prétendus escadrons de la mort de Mohammad Dahalan, Madhoon, qui se fait appeler Abu Nabil, commence en m’avertissant qu’il est recherché par le Hamas. Il me dit également qu’il a été par le passé visé par des coups de feu, devant son épouse, par des bandits armés et masqués « lors d’une tentative d’assassinat ratée ». Depuis lors, il a appris comment utiliser une arme semi-automatique.

Après cette introduction, il donne sa version de certains des événements décrits par Aqaylan et Abu al-Bara’.

« Récemment la force exécutive a investi l’hôpital de Shifa pour s’en servir comme base pour eux-mêmes. Ils y trouvent la sécurité, comme ils le font dans les mosquées, parce que c’est une zone civile. Ils justifient cette poltronnerie en disant qu’ils protègent des personnes. Mais c’est juste une couverture.

« Ils ont tué au moins 15 personnes rien qu’aujourd’hui et les griefs n’ont fait qu’augmenter.

« Généralement, ils tirent sur n’importe qui des forces de sécurité. Ils ont même tiré sur à un officier des services de renseignement qui était malade.

« Personne ne peut tirer à l’intérieur d’un hôpital. Ils étaient poursuivis ainsi ils se sont cachés à l’intérieur, et pas au-dehors. »

Aussi, pourquoi avez-vous participé aux hostilités ? Pourquoi ne restez pas simplement à l’écart pour éviter des affrontements ?

« J’y ai pris part en raison de mon travail et de mon allégeance au Fatah. Ils considèrent que qui n’est pas avec eux est contre eux et est un traître. »

Il dit ceci avec mépris, regardant régulièrement par les fenêtres de la salle de séjour pour voir entre les stores.

« On n’est jamais trop prudent. Ils pourraient être maintenant en train de me guetter. »

« De toute façon, mon travail est de protéger les services de sécurité. Ainsi nous devons nous demander : comment les choses dégénèrent-elles si vite si tous les deux nous sommes juste en train de faire notre travail ? « 

« Bien, dans la culture de Gaza nous avons ce qui s’appelle « oeil pour ?il ». Inimitiés et revanches. C’est devenu une question de qui est le plus fort, qui peut survivre à l’autre - une démonstration de force si vous voulez. Et chacun veut un benéfice en retour. »

« Cela va de la revanche au droit de préemption. Nous commençons à tirer les premiers ainsi c’est nous qui ne serons pas visés les premiers. »

« Dans 70 pour cent des cas, le Hamas dit à ses cadres que s’ils tuent quelqu’un du Fatah, alors ce sont des jihadists. Ils les séduisent avec de l’argent. 400 personnes ont été tuées jusqu’ici dans les affrontements internes et le Fatah doit répliquer et user de sa vraie forcer. Les groupes fonctionnant indépendamment avec différentes allégeances ne comptent pas. »

« Des groupes fonctionnant indépendamment » fait référence aux disputes entre clans.

« Nous recevons des ordres pour notre auto-défense. Nous tirons pour nous défendre nous-mêmes. »

Il nie les affirmations selon lesquelles une mystérieuse troisième partie alimenterait les tensions.

« Je critique le Hamas d’une façon générale, et non pas seulement la Force Exécutive. Ce sont des terroristes fous. Le Hamas utilise la carotte et le bâton. Mais maintenant ils n’utilisent que le bâton. »

Qui exactement se bat du côté du Fatah ?

« Certains viennent des Brigades des Martyrs d’al-Aqsa, certains viennent des services de sécurité, mais ce ne sont pas les cas les plus fréquents, ils sont unis comme un seul homme. »

Que répondez-vous aux allégations selon quoi les Etats-Unis vous approvisionnent en armes ?

« Nous obtenons nos armes strictement de l’OLP. »

« Disons les choses clairement : c’est purement une offensive du Hamas. Pour le Fatah c’est simplement de la revanche et de la défense. »

Ahmed interrompt notre conversation pour prendre un appel « très important ».

« Vous avez de la chance, » di-il. « J’ai parlé à l’instant au membre le plus important des escadrons de la mort - un qui a joué un rôle très significatif dans les affrontements qui ont eu lieu la semaine dernière. Et vous êtes sur le point de le rencontrer. »

Sameeh Al-Madhoon, des forces préventives de sécurité ; commandant régional du nord de la bande de Gaza, appartenant aux Brigades des Martyres d’Al-Aqsa

Je suis conduite au domicile de Sameeh Al-Madhoon dans une Toyota blanche nouvellement importée (le genre de voiture que vous voyez souvent en morceaux après un assassinat israélien), au nord de Gaza . Nous nous nous arrêtons à mi-chemin pour prendre un garde du corps supplémentaire.

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Ahmed Madhoon

Ahmed parle d’Al-Madhoon, son aîné, comme d’un « chef d’orchestre » des affrontements de décembre, une sorte de metteur en scène.

L’homme que je rencontre au coeur du camp de réfugiés de Jabaliya, prétendument un des plus recherchés par le Hamas, a une allure opposée et de façon saisissante, à son image publique. Avec des yeux sombres fatigués et une barbe bien taillée, Al-Madhoon nous salue, vêtu d’un survêtement, et au début je l’ai confondu avec un membre de son entourage.

Sa salle de séjour est un étalage d’armements légers et plus lourds - on y trouve tout depuis le lanceur de grenade propulsée jusqu’à la kalachnikov de base, et la fierté de sa collection : un M-16. Il parle de toutes ses armes avec la fierté d’un père, insistant sur le fait qu’elles ont été achetées avec sa propre épargne, et non pas avec de « l’argent américain corrompu ».

« Regardez, ce n’est pas nous qui avons commencé avec le Hamas, » commence-t-il de façon abrupte. « Cela remonte aux élections de janvier passé. »

« Nous avons accepté la situation et puis, en tant qu’élément de la force présidentielle numéro 17, nous avons attendu nos salaires pour que la vie puisse continuer de façon normale. Nous aurions pu prendre le contrôle des ministères par la force mais nous ne l’avons pas fait. Et lentement, le Hamas a commencé à s’enfoncer dans ses propres erreurs - et a eu recours à des actes comme assassiner et enlever des responsables du Fatah. »

« Les hommes du Hamas, membres des brigades Izz-e-Din al-Qassam, ont tiré sur moi sans raison. Tout a commencé après le désengagement israélien.

[....]

Allons-nous vers la guerre civile ?

« Je fais porter toute la responsabilité de l’escalade sur le Hamas. Mais quant à la guerre civile, nous ferons attention à ce que cela n’aille pas jusque là. »

« Nous réclamons avant tout l’unité, mais je dirai aussi ceci : notre patience s’épuise, et si le Hamas nous pousse à nouveau dans les combats de rue, nous répondrons - et cette fois-ci, ce ne sera pas défensif et nous ne reviendrons pas en arrière. Nous ne pouvons pas rester en permanence sur la défensive. »

« Chacun, y compris moi, a une limite. Et une fois que cette limite est dépassée, je ne peux rien garantir. »

« En ce moment, c’est dans les mains des dirigeants politiques. ».

« Hamas fait des provocations. Le Fatah est vraiment innocent de tout cela. Le Hamas est celui qui essaye d’inculquer la haine vis-à-vis du Fatah. Le Hamas explique que les divergences ne sont pas entre deux vérités, mais entre une vérité et une non-vérité - et c’est comme cela qu’ils nous traitent. Et c’est l’essence du problème - ils ne nous considèrent pas comme légitimes. »

Photos : Laïla Al-Haddad

27 janvier 2007 - Al Jazeera.net - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/NR/exe...
Traduction : Claude Zurbach [Info-Palestine.net]