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Graffiti sur le Mur gris
dimanche 29 mars 2009 - Christian Salewski - Spiegel Online
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Yousef, jeune palestinien - Photo : Salewski

Avant que la grande politique n’entre en jeu, c’est d’abord le gris qui dérange Yousef Najimeddien. Huit mètres de haut, souvent plus encore, il serpente sur l’ocre des collines, une terre aride à laquelle s’accrochent les oliviers sur fond de ciel bleu. Le gris s’étend jusqu’à l’horizon et bien plus loin encore. Un corps étranger presque sans fin, en béton, et surmonté ici, près du camp de réfugiés Qualandia en Cisjordanie, d’une couronne en rouleaux de fil barbelé.

Yousef a fini sa cigarette et jette le mégot, il saisit sa bombe aérosol et se tourne vers le mur de béton. Il peint à traits brusques, chaque lettre séparément. On voit à sa manière d’écrire que le jeune homme de 25 ans n’a pas appris l’écriture latine dès son jeune âge. Il presse le capuchon du médius de la main droite. Trait par trait, sans répit. L’odeur de la peinture emplit l’air. C’est un travail en accord. Il s’agit d’être rapide, pas de peindre des fioritures, car Youssef travaille sur commande.

Des commandes de gens dans le monde entier. Par exemple, celle de Justin, de Sydney. Il y a deux ou trois semaines, il a eu une idée - il voulait faire annoncer ses fiançailles avec Zoé. Mais pas n’importe comment, il fallait quelque chose qui se remarque. Alors Justin clique sur l’Internet et tombe sur la page intitulée « send a message ».

Il y lit qu’à Ramallah en Palestine, il y a des jeunes gens qui taguent des textes sur le Mur de séparation entre Israël et la Cisjordanie. 30 euros pour une annonce de 80 signes maximum. Une sorte de SMS interculturel. Aussi Justin tape dans le champ de commande ?Zoé & Justin se marient le 27 mars 2010, Sydney, Australie“ et il envoie le message.

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Photo : Salewski

1300 messages sur six kilomètres

Quelques semaines plus tard, Yousef s’arrête brusquement, se tourne vers son ami Faris Arouri et lui demande : « Le I vient avant le L ? ». Faris, qui parle l’anglais couramment, épelle ! « Aus-tra-lie ». Puis le jeune homme de 27 ans reprend son appareil photo et se remet à mitrailler. Yousef tague, Faris photographie, c’est la division du travail. Justin trouvera bientôt trois phots de son annonce dans sa boîte à courriels, preuve que son SMS mural est bien arrivé. Ainsi il pourra montrer chez lui en Australie que ses fiançailles sont maintenant proclamées en Palestine. Pour Justin ce n’est sans doute qu’un gag - mais pour Youssef et Faris, les tagueurs palestiniens, c’est une chose très sérieuse.

Quand on se trouve avec eux tout contre le Mur et que l’on passe la main sur la surface lisse, on comprend soudain pourquoi, si on lui demande pourquoi il fait cela, Youssef répond : « C’est le gris ». Une réponse avec un clin d’ ?il avant que la grande politique n’entre en jeu.

Car Yousef et Faris entendent leur projet comme une forme de résistance contre l’occupation israélienne et contre cette installation de barrage qu’Israël construit depuis 2003 autour de la Cisjordanie - en partie droit à travers des territoires revendiqués par les Palestiniens et généralement loin de la « Greene Line », la frontière officieuse entre Israël et la Palestine.

Au cours de l’année et demie écoulée, Youssef et Faris, avec quelques autres, ont tagué 1.300 messages sur un Mur qualifié de barrière anti-terreur par les Israéliens et de mur de l’apartheid par les Palestiniens. 1.300 annonces, cela fait quelque six kilomètres. Lorsqu’elle sera terminée, la barrière devrait avoir 759 kilomètres de long. Même si les segments de béton ne font pas partout un mètre et demi de large, il restera toujours assez de surface à taguer.

« Nous voulons toucher des gens dans le monde entier »

« Il s’agit pour nous d’exprimer notre préoccupation politique d’une manière non politique » dit Faris en se garant d’un taxi collectif jaune passant en klaxonnant sur la chaussée, qui longe ici le Mur. « Nous voulons atteindre des gens dans le monde entier, les gens qui sans cela ne s’intéressent par au conflit entre Palestiniens et Israéliens ».

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Photo : Salewski

Cela semble très professionnel, comme le raconte Faris dans un anglais sans accent. Faris vient de terminer ses études d’économie à l’Université de Birzeit à Ramallah. Youssef est encore inscrit en biologie. Tous deux appartiennent à l’élite cultivée de Palestine. C’est sans doute pour cela qu’ils savent ce qu’on dicte aux journalistes occidentaux et ce qu’on préfère ne pas dire clairement. Et c’est sans doute pour cela que sur leur site web, à la question fréquemment posée « Est-ce que les Palestiniens achètent des armes avec mon argent ? » , ils répondent aussi spontanément et clairement : non. « L’argent va à un centre pour jeunes à Birzeit » dit Faris.

Derrière un long méandre se trouve le poste de contrôle de Qualandia, à environ un kilomètre d’ici. Un panache de fumée noire s’élève dans le ciel. C’est un signe qui ne trompe pas : on y brûle des pneus de voiture, de jeune Palestiniens masqués y jettent des pierres aux soldats frontaliers et en retour on les bombarde de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc. C’est vendredi - - et en Palestine, le vendredi est jour de colère.

Les Israéliens, ils ne les connaissent que comme occupants

En colère, Faris et Youssef le sont aussi, et naguère eux aussi ont lancé des pierres sur les Israéliens en uniforme, mais ils ne veulent plus le faire. Ils savent que cela n’apporte rien. Peut-être sont-ils simplement trop âgés à présent, pour courir littéralement dans le mur. Mais leur fureur se devine. Par exemple, quand Yousef raconte qu’il n’est jamais allé de l’autre côté - jamais à Jérusalem. Ni à Tel Aviv, où la vie est si animée.

Ils ne connaissent les Israéliens que comme des occupants. Comme ceux qui se tiennent avec lunettes noires et fusils d’assaut aux postes de contrôle infranchissables. Souvent quand ils vont taguer, des soldats israéliens viennent leur envoyer du gaz lacrymogène, dit Faris. D’ailleurs une fois ils ont été arrêtés. Après un jour en cellule ils ont été relâchés.

Yousef fouille dans la pochette mauve accrochée à sa ceinture et en tire un nouvel aérosol. Le bleu est vide. Il poursuit avec le noir. Ses doigts sont déjà pleins de peinture. Il éclate de rire. Sur la fiche imprimée il lit le message : « Dans ma vie antérieure j’étais le Mur de Berlin. La bière était meilleure là-bas ». Il ne sait pas de qui vient le message, mais il dit ironiquement : « Celui-là ne connaît sans doute pas notre bière palestinienne de Taybeh ».

Puis il redresse la bombe et se remet à lutter contre le gris. Lettre par lettre. Mètre par mètre.

25 mars 2009 - Spiegel Online - Vous pouvez consulter cet article ici :
http://www.spiegel.de/unispiegel/wu...
Traduction de l’allemand : Marie Meert