Fermer la page
www.info-palestine.net
Qui a voulu assassiner l’ambassadeur palestinien Abass Zaki et pourquoi ?
vendredi 27 mars 2009 - Franklin Lamb - Counterpunch
JPEG - 137.3 ko
L’un des corps extrait de la voiture par des réfugiés palestiniens
(Reuters/Ali Hashisho)




Quatre assassinats au camp de réfugiés de Mieh Mieh

Camp de réfugiés palestiniens de Mieh Mieh, Sidon, le 24 mars 2009.

Hier après-midi, Kamal Medhat, 58 ans, qu’on appelait affectueusement dans les camps palestiniens du Liban Kamal Naji, haut dirigeant du Fatah palestinien, a été tué à la sortie du camp de Mieh Mieh par une bombe de 25/30 kg. La bombe était cachée dans un petit hangar en bordure de route entre deux check-points, l’un tenu par l’armée libanaise et l’autre par la sécurité du camp de Kifah el Musallah. Selon des sources des Renseignements du Fatah, un homme posté à un grand bâtiment près de l’entrée du camp observait la voiture de Medhat approcher et a déclanché l’explosion alors que celle-ci passait, il était presque 14 h.

Apparemment, l’attentat visait l’ambassadeur palestinien au Liban, Abass Zaki. Akram Daher, responsable de l’organisation Jeunesse de l’OLP a également été tué, ainsi que les gardes du corps de Medhat, Khaled Daher et Mohammed Shehadeh. Trois Palestiniens dans une seconde voiture ont été gravement blessés et sont actuellement soignés dans un hôpital.

Selon des sources du Fatah, la véritable cible était Abass Zaki, représentant diplomatique de l’OLP au Liban. Zaki avait quitté le camp de Mieh Mieh, d’environ 5 000 réfugiés, quelque 7 minutes plus tôt dans une voiture noire aux vitres teintées, identique à celle de son adjoint, Kamal Medhat, Medhat s’était attardé dans le camp pour présenter ses condoléances aux funérailles de son ami, président du comité populaire du camp de Mieh Mieh, Raef Naufal, tué deux jours auparavant alors qu’il tentait de vider une querelle entre deux familles, les Faraj et les Kaouch.

Le très respecté Medhat, qui a rejoint le Fatah depuis son village près de Gaza alors qu’il avait 16 ans, a été un fidèle et un confident de Yasser Arafat et d’Abu Jihad. Il a gravi les échelons dans les rangs de l’OLP et obtenu un doctorat en relations internationales et sciences militaires en URSS. Récemment, Medhat a joué un rôle clé en faisant baisser la violence et les tensions entre différents groupes à Ein el Helwe, et en encourageant le dialogue entre la Syrie, le Liban et la communauté palestinienne. Entre autres fonctions au sein de l’OLP, il a assuré celle de chef des Renseignements au Liban. Le personnel de l’ambassade de l’OLP a indiqué que Medhat avait récemment exprimé devant ses collègues sa crainte d’être la cible d’un assassinat et qu’il avait informé ses supérieurs à Ramallah de ses inquiétudes.

L’ambassade n’a pas eu connaissance de la réponse de Ramallah, si réponse il y a eu, mais selon des sources du Fatah proches de Zaki, le Mokhabarat Jeish Lebnene (les Renseignements militaires libanais) avait prévenu Medhat et Zaki de ne pas se déplacer autour des camps et de limiter leurs mouvements à l’extérieur de leurs bureaux sécurisés.

Zaki, au comportement modéré, réservé, un peu solennel et distant au premier contact, est de plus en plus apprécié dans les communautés palestinienne et libanaise. Il est disponible pour son peuple et a été présent à quasiment tous les évènements palestiniens auxquels j’ai assisté ces 30 derniers mois : Zaki est venu notamment remettre des ordinateurs portables à des jeunes Palestiniens pour le 26ème anniversaire du massacre de Sabra et Shatila, le 16 septembre dernier, dans le camp de Shatila ; il a participé aussi à divers rassemblements pour soutenir Gaza. Il a rarement manqué des fêtes ou des commémorations palestiniennes au Palais de l’UNESCO où ailleurs, et parfois il s’est joint au dirigeant du Hamas, Osama Hamdan, pour clamer : Union palestinienne ! Union palestinienne ! Union palestinienne !

Celui qui a essayé de l’assassiner savait qu’il y avait toutes les chances que Zaki vienne, dans la tradition arabe, à Mieh Mieh hier pour les funérailles de son ami et collègue, Raef Naufal.

Tout le monde s’accordait hier matin, dans la communauté palestinienne du Liban, pour dire que la raison de cette tentative d’assassinat était de torpiller l’union qui grandit entre les Palestiniens au Liban et de saper la stabilité récente du Liban. Zaki et ses collègues ont beaucoup fait pour l’union Fatah/Hamas au Liban.

Zaki, du Fatah, a accusé Israël du meurtre et l’a averti qu’il y aurait de graves répercussions au Liban et dans les camps palestiniens. « Ceux qui sont derrière ces assassinats travaillent d’une manière ou d’une autre pour Israël. » a-t-il déclaré à la presse.

Osama Hamdan, le représentant populaire du Hamas au Liban, a condamné l’assassinat disant qu’il visait à créer des divisions au sein des camps palestiniens. Pour le Hezbollah, l’agression porte « la marque des sionistes et vise à semer la discorde ».

Personne n’a revendiqué l’attentat et personne ne le fera probablement. Parmi les suspects les plus souvent cités ce matin on trouve Israël, la Syrie, l’Egypte et les Etats-Unis.

On parle aussi d’une « troisième faction palestinienne » dirigée par Mohammad Dahlan à Ramallah, qui travaille pour le compte d’Israël et des Etats-Unis et veut empêcher qu’Israël soit confronté à une union palestinienne.

JPEG - 22 ko
La voiture a été carrément soufflée.

Certains mentionnent une implication égyptienne, arguant que Mubarak ne veut pas que les discussions du Caire réussissent dans la crainte que le Hamas ne prenne le dessus et ne devienne la nouvelle direction palestinienne.

Des sources militaires libanaises notent que la bombe de 30 kg utilisée (un corps a été projeté à 200 mètres des deux voitures et celle de Medhat a été littéralement soufflée sur le haut de la colline entre des oliviers) est du même type que celles utilisées dans l’attaque de Tripoli contre l’armée en 2007. Le Fatah el Islam est le premier suspect dans cette attaque.

L’évènement durant ces deux jours : la réunion des ministres de l’Intérieur arabes reçue à Beyrouth et qui s’est terminée hier à l’hôtel Phoenicia ; la réunion s’est concentrée sur « la lutte contre le terrorisme interne », et on spécule qu’elle pourrait bien avoir été la destinataire d’un message envoyé par Al Qaïda ou un autre groupe.

Kassem, qui est un officiel du Fatah très bien documenté sur le camp de Shatila et un ami de longue date, fait état d’une profonde méfiance assez partagée à l’égard de la Syrie, qui pourrait d’une manière ou d’une autre être derrière l’attentat.

Kassem, il faut le préciser, n’est pas un fana du régime syrien d’Assad. Au début de la guerre des camps sous l’instigation syrienne, au milieu des années 1980, et quand la milice Amal avait coupé l’électricité, Kassem avait récupéré un générateur électrique dans le camp de Shatila pour l’amener à l’hôpital Akka sur la route de l’ambassade du Koweit, il avait été arrêté par une patrouille de l’armée syrienne et accusé de soutenir Yasser Arafat, auquel la Syrie tentait de retirer le contrôle de l’OLP. Torturé à plusieurs reprises et emprisonné pendant quatre ans, Kassem voit l’implication de la Syrie dans l’attentat d’hier à Mieh Mieh :

« Peut-être se sont-ils servis du Fatah el Islam à Meih Meih, du Jung el Sham ou d’autres. Mais ils n’ont pas besoin de ces idiots. La Syrie a gardé la même capacité en matière de renseignements qu’avant le retrait de son armée en 2005. Une chose est sûre, c’est qu’ils n’ont jamais cessé d’essayer de diviser et de contrôler l’OLP et pour leur profit, pas pour le nôtre. »

A ce moment, la fille de Kassem, une adolescente futée sur le plan politique, Zeina, intervient avec clémence :

« Je ne suis pas convaincue que ce soit les Syriens, Bapa (papa). Les Israéliens ont encore beaucoup de leurs agents dans les camps. Nous savons tous qu’il en est ainsi. Te rappeles-tu les espions israéliens qu’on a capturés récemment ? Je pense que l’un était là depuis très longtemps. Il y a même des espions israéliens au sein du Hezbollah comme leur fidèle fournisseur de voitures à Nabetiyeh qu’on a arrêté il y a deux semaines. Je pense que ce ne sont pas les Syriens, mais les Israéliens. »

Comme à peu près tout ce qui se passe au Liban ces jours-ci, l’attentat d’hier est analysé localement à travers le prisme de qui y gagne, avec ce crime, dans les toutes prochaines élections du 7 juin. L’ « équipe de la majorité », le mouvement du 14 Mars, pro états-unien/saoudien, ou l’opposition, celui du 8 Mars, pro syrien/iranien, conduit par le Hezbollah ?

Pendant ce temps, les autorités libanaises promettent dans l’immédiat « une enquête approfondie » pour trouver les responsables des assassinats à Mieh Mieh. Le bon peuple du Liban, puisque tel est son destin, va devoir attendre patiemment le « rapport de l’enquête », tout comme il attend toujours les rapports des enquêtes libanaises sur les 46 derniers assassinats politiques au Liban de cette dernière décennie, dont plus de la moitié étaient des gardes du corps des victimes ciblées.


Franklin Lamb fait un travail de documentation au Liban. Il est diplômé de la Boston University et de la London School of Economics. Il a été assistant à l’International Law et conseiller-assistant à la commission parlementaire de la justice du Congrès américain. Il a publié plusieurs ouvrages sur le Liban et peut être contacté à l’adresse : fplamb@sabrashatila.org.

Du même auteur :

- Qui expulsera Israël du Liban ? Le Hezbollah ou les Nations unies ? (1)
- Qui expulsera Israël du Liban ? Le Hezbollah ou les Nations unies ? (2)
- Le Hezbollah et les Palestiniens (1)
- Le Hezbollah et les Palestiniens (2)
- Journée agitée à Beyrouth
- « Aimer le Liban » empêche-t-il de dire « Désolé ! » ?
- 25e anniversaire du massacre de Sabra et Shatila

24 mars 2009 - Counterpunch - traduction : JPP