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Chaque famille a une histoire, voici quelques-unes d’entre elles (2°)
samedi 14 février 2009 - Eva Bartlett - The Electronic Intifada

Lisez la première partie ici

Chez Samir Abed Rabu, la visite commence de la même façon que chez les autres : tout est cassé et sans dessus dessous, il y a les déchets des soldats israéliens (nourriture, jeux de cartes, excréments) et des graffitis : « Rejoignez l’armée israélienne aujourd’hui ! » et d’autres slogans des forces d’occupation et d’invasion.

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Ce qu’il reste de la maison Samir Abed Rabu

La maison a plus de trous que de murs, causés par les multiples tirs automatique d’obus tirés par les chars. Voir autant de maisons détruites, intentionnellement et en tant que moyen détourné, banalise l’idée des dégats. Mais étrangement certaines choses ressortent de manière étrange ou notable parmi l’étendue de la destruction. Entrailles des plafonds et poutres de soutènement pendent comme à un fil. Un fauteuil est éventré.

Et toujours les trous des tireurs isolés. Je regarde au travers du trou qui s’ouvre sur la rue Salah al-Din, au croisement des rues Dawwar et Zimmo, et je me rends compte que c’est exactemnte à partir de l’un de ces trous que l’urgentiste médical Hassan a été visé, heureusement pas tué (contrairement aux 13 autres secouristes médicaux). Heureusement, nous non plus n’avons pas été abattus. Ces trous des tireurs massacrent les murs de toutes les maisons de Jabaliya, al-Tatra, al-Zeitou - partout dans la bande de Gaza.

La chambre du bébé n’a pas été épargnée par les attaques. Un mur plein de joyeux dessins animés et d’affiches de mignons bébés contraste avec la laideur des plaies béantes des bombardements, un rappel que rien n’est sacré pour une armée qui tire sur les enfants à bout portant.

La charogne de l’âne explique l’odeur, une odeur légèrement différente de celle habituellement laissée par les soldats [israéliens].

Quittant les ruines de la maison de Samir Abed Rabu, je vois une nouvelle famille de sans-abri en train de faire du thé sur un feu, derrière les décombres de leur ancien domicile.

Saed Azzat Abed Rabu se tient sous le trou laissé par un missile dans le plafond de sa chambre ; il explique que le premier jour de l’offensive terrestre, lui et sa famille se trouvaient dans la maison quand un missile a frappé. Ils ont évacué dans la panique vers une école et ont appris l’occupation de leur maison seulement au retour après le départ des soldats israéliens.

Elle est comme les autres : ravagée, envahie par les déchets des soldats et les bouteilles de vin — étiquette écrite en Hébreu (de toute façon le vin n’est pas disponible ici, aussi la question de qui a bu du vin ne se pose même pas) — le réservoir d’eau sur le toit a explosé, et la terrasse du toit permet d’encore mieux voir les destructions qui affectent le voisinage et les plans de citronniers plantés jadis près de la maison de Saed Abed Rabu.

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Yousef Shrater et ses enfants

J’ai quitté Abed Rabu ce jour-là, me faufilant entre taxis, motos, camions et charrettes remplies d’affaires et de gens qui n’ont plus de domicile, qui viennent seulement pour récupérer ce qu’ils peuvent de leur ancienne vie. J’ai vu plus que ce que je sentais pouvoir assimiler ou transmettre aux autres, mais je savais que je reviendrais pour d’autres récits parce qu’il y en avaient d’autres.

Plus que ce je suis en mesure d’entendre ou de retransmettre.

Le viol d’une maison

Bizarrement, l’escalier de la maison bombardée et brûlée de Yousef Shrater est encore intact, de même qu’ont survécu les 14 personnes qui composent les trois familles qui vivaient là. Shrater, un père de quatre enfants, marche sur les blocs de ciment, les croisements de tiges de soutènement brisées, sur les marches d’escalier encombrées de débris et de déchets abandonnés par les soldats israéliens, et sur d’autres décombres de la maison bombardée puis occupée.

Dans la pièce face à la rue au deuxième étage, la fenêtre est percée de trous béants visibles aussi sur le mur touchés par les obus des tanks qui ont pris pour cible sa maison. « Ils étaient là-bas, » indique Shrater, montrant à quelques centaines de mètres Jabal Kashef, le sommet dominant le secteur au nord d’Ezbet Abed Rabu.

Dans la pièce adjacente, Shrater indique plus loin à l’est par où plus de tanks étaient venus et étaient restés postés. « Mon épouse, mes enfants et moi-même étions dans cette chambre quand ils ont commencé à tirer. Nous avons couru à la pièce de derrière pour être plus en sécurité, espérant que cela donnerait une certaine protection. »

La pièce arrière est une autre tas de gravats et de débris d’explosions. Les tanks avaient entouré la zone entière d’Abed Rabu et à peine la famille a-t-elle voulu s’abriter dans la pièce arrière qu’un nouvel obus a frappé la maison, tiré par un tank depuis le côté sud. « Il a frappé à peine à un mètre de la fenêtre, » précise Shrater, se penchant par la fenêtre et montrant le trou laissé par l’obus tiré par le tank juste un mètre au-dessus. « S’il avait touché cette pièce, nous serions morts. »

Shrater explique comment les soldats israéliens ont forcé l’entrée de sa maison et ont ordonné à toute la famille de sortir, séparant des hommes et les femmes et les enfermant à clef dans une maison voisine avec d’autres habitants du quartier. Son père et sa mère qui vivent dans une toute petite maison juste à côté devaient bientôt les rejoindre. Les soldats israéliens ont alors occupé la maison pour la durée de l’offensive terrestre, comme ils l’ont fait dans toute la région d’Abed Rabu, et comme ils l’ont fait dans toute la bande de Gaza. Et comme les habitants des maisons dans tous les secteurs occupés, ils ont trouvé à chaque fois lorsqu’ils sont revenus chez eux un désastre de déchets, de vandalisme, de destruction, des déchets humains et beaucoup d’objets de valeur volés dont des téléphones portables, des bijoux en or, des dollars américains et des dinars jordaniens (JD), et dans certains cas même des meubles et des téléviseurs utilisés puis emportés dans les camps de soldats israéliens à l’extérieur des secteurs occupés. Shrater raconte que les soldats lui ont volé pour 1000 dolllars américains de colliers en or et d’autres colliers pour une valeur de 2000 dinars jordaniens (approximativement 830 dollars US).

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Le père de Youssef, qui souffre d’asthme

En arrière dans la pièce faisant le coin à l’est de la maison, Shrater s’approche d’un trou dans le plancher d’un mètre cinquante sur un mètre cinquante, percé pour ramener le sable qui se trouve dans les fondations. « Ils ont fait des sacs de sable pour employer les fenêtres comme positions de tireurs isolés [snipers]. » Les sacs sont toujours là, bourrés de vêtements et de sable. « Ils ont utilisé les vêtements de mes enfants pour leurs sacs, » déplore Shrater. « Les vêtements qu’ils n’ont pas mis dans des sacs de sable ils les ont jetés dans les toilettes, » ajoute-t-il.

Toute la maison a servi de position de tireurs isolés. Les trous percés dans les murs à cet effet se voient dans chacune des deux salles donnant à l’ouest sur les carrefours de Dawwar Zimmo, où des corps de gens abattus ont plus tard été trouvés et sans qu’ils soient accessibles pour les membres de leurs familles ou les équipes médicales de secours (dont les médecins du Croissant Rouge qui ont été pris pour cible, l’un d’entre eux étant touché à la cuisse le 7 janvier, alors qu’il essayait d’atteindre un corps étendu).

Du toit nous voyons plus clairement les abords où des tanks étaient positionnés, les innombrables maisons et les bâtiments démolis ou endommagés, et quelques éclats shrapnel d’obus tirés par les blindés. Le père de Shrater, âgé de 70 ans, est sur le toit et il commence à raconter le moment où il a été expulsé de sa maison et enfermé avec son épouse et d’autres personnes durant quatre jours. « Ils sont venus ici dans notre maison, » indiquant la petite maison [cabane] où il vit avec son épouse, et où se trouvent ses moutons et ses chèvres. « Les soldats israéliens sont venus à notre porte, hurlant que nous devions sortir, et ils ont tiré autour de nos pieds. Mon épouse était terrifiée. Ils ont pris tout notre argent puis nous ont menottés. Avant qu’ils nous aient bandés les yeux, ils ont laissé sortir nos chèvres et moutons de leur enclos puis les ont abattus. Ils en ont tué huit devant nous. »

Le père de Shrater, qui souffre d’asthme, et son épouse Miriam ont eu alors leurs yeux bandés et ont été poussés vers une autre maison où durant les quatre jours qui ont suivi les soldats israéliens lui ont refusé son inhalateur et à son épouse ses médicaments pour le diabète. La nourriture et l’eau étaient hors de question, et le père de Yousef Shrater raconte que leurs demandes entraînaient comme réponse de la part des soldats : « non, aucune nourriture. Donnez-nous le Hamas, et vous aurez de la nourriture. »

Le vieux monsieur nous amène en bas à l’arrière de la maison de Yousef Shrater, vers sa petite maison où une Miriam encore terrifiée se repose, observant toujours au loin avec inquiétude. « Nous avons vu des choses terribles, des choses terribles. J’ai vu des cadavres sur la rue, » dit-elle, penchant son corps en avant et en arrière dans son angoisse. Hadj Shrater confirme : « En 63 ans, je n’ai jamais rien vu de pareil. « L’insuline et les seringues qui avaient ét réfusées gisent sur le sol près de leur porte, avec divers comprimés. Vingt mètres plus loin, ont voit les restes du hangar pour l’alimentation des animaux rasé pendant l’invasion, mélange de roches et de décombres.

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Mariam Shrater, encore terrifiée par ce qu’elle a enduré

La maison placée entre celle de Yousef Shrater et celle de ses parents a été également endommagée. Les morceaux de toiture sont tombés en énormes débris sur les planchers des chambres à coucher et de la cuisine, sauf à quelques endroits où le toit s’accroche encore de façon instable avec des bâches en plastique d’imperméabilisation et les blocs de ciment employés pour peser sur les tuiles. La cuisine est noire avec la suie de ce qui doit avoir été un obus au phosphore blanc, et des obus vides se trouvent dans ce qui avait été un feu. Deux portes en métal de l’usine se trouvant dans la rue de la maison de Shrater et bombardée par un F-16, sont sur le sol près de la cuisine, ayant été de façon évidente soufflées à travers la rue et par-dessus le toit de la maison de Shrater.

Mahmoud Shrater, le frère de Yousef et également un des habitants de la principale maison, est chez lui, dégageant des décombres et faisant le tri. « Nous avons besoin de tentes pour vivre ici maintenant, » dit-il, se tenant debout dans les restes de ce qui avait été leur demeure.

* Eva Bartlett est une avocate canadienne indépendante, militante des droits humains et qui a passé huit mois en 2007 dans des communautés de Cisjordanie et quatre mois au Caire et au point de passage de Rafah. Elle est actuellement basée dans la bande de Gaza après être arrivée avec le troisième bateau de Free Gaza Movement en Novembre. Elle a travaillé avec le Mouvement de Solidarité Internationale [ISM] dans la bande de Gaza, accompagnant les ambulances tout en recueillant des témoignages et se documentant au sujet des frappes aériennes israéliennes en cours et de l’invasion terrestre de la bande de Gaza.

30 janvier 2009 - The Electronic Intifada -
L’article original peut être consulté ici :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Photos : Eva Bartlett
Traduction de l’anglais par : Brigitte Cope