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« Le crime des crimes »
dimanche 1er février 2009 - Amira Howeidy - Al Ahram Weekly
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PALESTINE 1948, GAZA 2009 : il est “impératif”, dit Riad, de voir les atrocités israéliennes actuelles dans le contexte historique de l’idéologie sioniste et de l’occupation de la Palestine en 1948.

Au cours des 60 années de son histoire, jamais auparavant Israël n’avait fait l’objet de condamnations aussi intenses et vigoureuses pour ce qu’il a fait depuis le début de son existence : génocide, guerre, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Tandis que la plupart des critiques pointent du doigt ses « crimes de guerre », certains, comme l’Egyptien Fouad Riad, ancien juge au Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), ont le courage d’abandonner le langage diplomatique et de nommer les choses par leur nom.

« Ce qu’Israël a fait à Gaza est un génocide » déclarait Riad à Al-Ahram Weekly. Il a « délibérément tué des enfants palestiniens » dans le but d’exterminer la population, dit-il.

Riad a servi sept ans au TPIY à La Haye. En février 2001, Riad et d’autres ont jugé que le massacre perpétré en 1995 à Srebrenica en ex-Yougoslavie était un « génocide ». Rien dans le langage du droit international n’équivaut à l’ampleur du génocide, considéré comme « le crime des crimes ». C’est la conséquence la plus extrême de la discrimination raciale et de la haine ethnique.

La Convention sur le Génocide de 1948 définit le génocide comme un certain nombre d’actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux : tuer des membres de ce groupe ; causer de sérieux dommages corporels ou mentaux à des membres du groupe ; infliger délibérément au groupe des conditions de vie calculées pour provoquer sa destruction physique totale ou partielle ; imposer des mesures de prévention des naissances dans le groupe et transférer de force des enfants du groupe dans un autre groupe.

Selon Riad, « Il ne fait aucun doute qu’Israël a commis ces crimes depuis 1948 ». En 1948, après que la milice sioniste Irgun eut perpétré un massacre dans le village palestinien de Deir Yassin, l’ex-leader de l’Irgun Menachim Begin (le futur Premier Ministre d’Israël) était cité pour avoir dit que l’objectif du massacre était réalisé puisqu’il avait exterminé la population du village et ethniquement nettoyé la zone des Arabes, déclare Riad.

Riad cite l’historien « natif » israélien Ilan Pappé qui a publié un commentaire accablant dans le webzine Electronic Intifada, le 2 janvier, intitulé « La fureur vertueuse d’Israël et ses victimes à Gaza ». Non seulement Pappé décrit la guerre d’Israël à Gaza comme « génocidaire », il dit qu’Israël est « plus occupé que tout autre état dans le monde à détruire et à déposséder une population indigène ».

« Le sionisme est une idéologie qui appuie la purification ethnique, l’occupation et maintenant des massacres massifs » écrit Pappé, titulaire de la chaire d’histoire à l’Université d’Exeter. Le génocide à Gaza, dit-il, est tout à fait en lien avec l’idéologie du « sionisme hégémonique » fondateur d’Israël qui a continué de le pratiquer tout au long des 60 dernières années.

Selon Riad, il est « impératif » de considérer la guerre à Gaza dans « tout le contexte qui relie le passé au présent ». Tandis que Pappé trace le lien pour justifier l’appel au boycott, au désengagement et aux sanctions contre Israël, l’ancien juge du TPIY veut voir les pouvoirs de la justice criminelle internationale peser sur les cinq continents, et pas seulement sur certains d’entre eux.

A ce jour, des tribunaux ad hoc pour les crimes de guerre ont été instaurés pour les Nazis, l’ex-Yougoslavie, le Rwanda, les Khmers Rouges, le Sierra Leone et le Timor-Est. En outre, la Cour Pénale Internationale a ouvert des investigations dans quatre situations : dans le nord de l’Ouganda, en République Démocratique du Congo, en Centrafrique et au Darfour. Le Parlement libanais est sur le point de ratifier un tribunal international spécial mandaté par les NU sur l’assassinat de l’ancien Premier Ministre Rafik Al-Hariri.

C’est au cours des quatre dernières semaines que le monde a été le plus près de réclamer un recours judiciaire pour les Palestiniens, quand Israël pilonnait, avec des bombes d’une tonne, du phosphore blanc et des armes biologiques, la plus grande prison du monde - Gaza - dont le million et demi d’habitants avaient déjà subi un cruel blocus économique de 18 mois. Le bilan palestinien : plus de 1.230 tués dont 400 enfants et plus de 5.350 blessés (mutilés, rendus difformes et souffrant de blessures causées par des armes expérimentales inconnues qui ont laissé les médecins impuissants à les traiter) dont 1.900 enfants.

Des hôpitaux, des écoles de l’ONU, la plus grande université palestinienne et des dizaines de mosquées ont été bombardés. La Croix Rouge aussi bien que l’UNWRA (l’Office de secours des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine) ont dit avoir eu plusieurs de leurs collaborateurs tués et blessés.

Les travailleurs humanitaires des NU disent que des centaines de millions de dollars d’aide seront nécessaires pour le peuple de Gaza. La guerre a laissé plus de 100.000 personnes déplacées et sans logement. Le gouvernement du Hamas dit que 5.000 bâtiments ont été complètement détruits et 20.000 autres endommagés ou partiellement détruits lors des combats. Israël concède que 10 de ses soldats ont été tués.

Le 12 janvier, le Conseil des Droits de l’homme des NU publiait une résolution non contraignante qui accuse Israël de violations massives des droits de l’homme à l’encontre du peuple palestinien. Il décidait également d’envoyer une mission internationale indépendante pour investiguer sur toutes les violations des droits humains internationaux et du droit humanitaire international dans les territoires palestiniens occupés. Les résultats de la mission seront présentés à la prochaine session du Conseil en mars, braquant ainsi un « projecteur » sur les violations.

Le lundi, Amnesty International accusait Israël de commettre des crimes de guerre en bombardant de façon répétée au phosphore blanc des zones densément peuplées. Quand le phosphore blanc touche la chair humaine, elle brûle au travers des muscles jusqu’à l’os. L’organisation Human Rights Watch avait déjà accusé Israël d’utiliser l’arme incendiaire, mais sans la qualification de crime de guerre. La Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme, Navi Pillay, a dit que certaines actions israéliennes à Gaza pourraient justifier des poursuites pour crimes de guerre.

Le Sommet économique arabe au Koweit a publié mardi une déclaration exigeant une enquête sur les « crimes de guerre » israéliens. Tandis que cela semble justifié, il apparaît également que cela révèle, de la part des états arabes, un élément d’hypocrisie. A ce jour, 120 états ont signé le Statut de Rome sur la Cour pénale internationale (CPI). Seuls trois pays arabes - la Jordanie, Djibouti et les Comores - l’ont ratifié.

Naturellement, Israël n’est pas une Haute Partie Contractante de la CPI. Comme il n’y a pas d’état palestinien, il ne peut donc être membre. La cour ne peut exercer sa compétence que dans les cas où l’accusé est ressortissant d’un état-partie, ou sur renvoi du Conseil de Sécurité des NU (CSNU). Toute tentative de pression sur le CSNU réclamant une enquête sur les crimes de guerre d’Israël se heurtera à un veto des USA.

« Les cours de justice sont faites pour protéger les victimes » dit Riad. « Nous sommes des victimes et nous refusons toujours d’être membres de la CPI ». Si les états arabes avaient ratifié le Statut de Rome, ajoute-t-il, ils auraient pu « avoir leur mot à dire » et présenter des cas devant la cour. « La justice internationale est importante et nous sommes en-dehors. C’est une grande perte ».

Selon Riad, le Liban était sur le point de ratifier le Statut de Rome avant qu’Israël ne lance sa guerre contre le pays en juillet 2006. S’il l’avait fait, « il aurait pu amener des criminels de guerre israéliens devant la CPI ».

Pendant ce temps, des dizaines d’activistes pour les droits humains et de juristes arabes sont dans l’actualité quand ils déclarent qu’ils « traîneront » des criminels de guerre israéliens devant la CPI. Leurs déclarations se basent sur l’article 15 du Statut de Rome que permet au Bureau du Procureur d’entamer une investigation proprio motu, de sa propre initiative, lorsqu’il est requis pas des groupes de la société civile. Riad dit que le procureur examine si ces cas relèvent de la compétence de la cour. « Hors de ce cercle, le procureur ne peut faire procéder à une investigation ».

La voie alternative pour faire passer des criminels de guerre israéliens en justice incombe à des pays dotés de lois de « compétence universelle » relatives au génocide, aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre. Ce principe permet aux états de déposer des plaintes criminelles contre des personnes dont les crimes présumés ont été commis hors des frontières de l’état qui poursuit, indépendamment de la nationalité, du pays de résidence ou de toute autre relation avec le pays qui poursuit. Selon Riad, la Belgique a été le premier état européen à avoir transcrit ce principe dans sa législation et d’autres pays ont suivi.

« Bien des cibles de ces tribunaux sont israéliennes » dit-il. « Le pourcentage de dirigeants israéliens qui sont poursuivis conformément à la compétence universelle est bien plus élevé que pour toute autre nationalité ». Aucun, cependant, n’a été arrêté, et la compétence universelle ne contraindra pas Israël, dans le cas présent, à extrader ses dirigeants.

Ce qui laisse ouverte une troisième voie : les tribunaux populaires. « A première vue ils peuvent ne pas sembler convaincants, mais en pratique ils peuvent être très efficaces » dit Riad. Un tribunal populaire peut exposer des crimes de guerre à la face du monde, ternir le nom d’un dirigeant dans l’histoire, et il peut être « très gratifiant pour les victimes ». Le modèle - un corps international constitué de personnalités enquêtant sur des crimes de guerre - a été impulsé en 1966 par le philosophe anglais Bertrand Russell, qui a constitué un tel tribunal d’opinion pour enquêter sur le génocide présumé des USA au Vietnam.

En 2006 au Caire, l’Union des Juristes Arabes a réuni un tribunal populaire pour enquêter sur les crimes commis par l’ancien président George W Bush, l’ancien Premier Ministre britannique Tony Blair et l’ancien Premier Ministre israélien Ariel Sharon. Il était présidé par l’ancien Premier Ministre malais Mahathir Mohamed.

De tels procès, selon Riad, peuvent « servir d’introduction aux futurs tribunaux pour les crimes de guerre israéliens devant des cours internationales », comme les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le génocide ne sont pas « sujets à des statuts de limitation ». « Nous ne pouvons complètement exclure, sur le long terme, l’intervention de la communauté internationale pour porter les crimes [israéliens] dans les territoires occupés devant une cour internationale » ajoute Riad.

En Israël, certains expriment déjà leur inquiétude à propos de ce même scénario. Gideon Levy du quotidien israélien Haaretz écrivait le 12 janvier : « Malgré tous les obstacles que le monde nous a mis depuis une éternité, malgré l’indulgence témoignée à Israël, le monde pourrait parler autrement cette fois-ci. Si nous poursuivons ainsi, peut-être qu’un jour un nouveau tribunal spécial sera établi à La Haye ».

Si jamais ce jour arrive, ce ne sera pas un jour trop tôt.

De la même auteure :

- Nouvelle réalité et vieux dilemme - 9 février 2008
- Définir qui est l’ennemi - 26 avril 2007

25 janvier 2009 - Al Ahram weekly - Vous pouvez consulter cet article ici :
http://weekly.ahram.org.eg/2009/931...
Traduction de l’anglais : Marie Meert