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Le langage de la mort
vendredi 16 janvier 2009 - Chris Hedges
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Hôpital Kamal Edwan à Beit Lahiya - Deux femmes pleurent la mort d’un proche parent - Photo : AP/Fadi Adwan

L’idée derrière l’incursion dans Gaza n’est pas de détruire le Hamas, ni d’arrêter les tirs de roquettes sur Israël, ni d’arriver à réaliser la paix. La décision israélienne de faire pleuvoir la mort et la destruction sur Gaza, d’utiliser les armes létales des champs de bataille modernes sur une population civile en grande partie sans défense, est la phase finale d’une campagne qui remonte à plusieurs décennies visant à nettoyer ethniquement les Palestiniens.

L’assaut sur Gaza vise à créer des ghettos sordides, anarchiques et pauvres où la vie pour les Palestiniens deviendra difficilement soutenable.

Il s’agit de construire des enclaves palestiniennes encerclées où Israël pourra toujours empêcher tout mouvement et l’entrée de nourriture, médicaments et marchandises afin d’éterniser la misère. L’attaque israélienne sur Gaza vise à créer un enfer sur terre.

Cette attaque est la poussée finale israélienne pour anéantir toute possibilité d’un état palestinien et pour écraser ou expulser le peuple palestinien. Les images des enfants palestiniens morts, alignés sur le sol de l’hôpital principal de Gaza comme s’ils dormaient sont une métaphore du futur. Israël va désormais parler aux Palestiniens dans le langage de la mort. Et les Palestiniens n’auront pas d’autre choix que de leur répondre avec ce même langage de mort.

Le massacre - arrêtons de prétendre que ceci est une guerre - donne le plein pouvoir à une collection d’Islamistes radicaux à l’intérieur et à l’extérieur de Gaza. Cela démolit sinistrement les fondations branlantes des régimes arabes laïques corrompus sur les frontières d’Israël, de l’Egypte à la Jordanie, de la Syrie au Liban. Cela va créer un nouveau Moyen Orient, dirigé par des Islamistes radicaux enragés.

Le Hamas ne peut perdre ce conflit. Les mouvements militants se nourrissent de martyrs et Israël est en train de livrer les mutilés et les morts par camions entiers. Les combattants du Hamas, armés de guère plus que des armes légères, de quelques roquettes et petits mortiers, se battent contre une des machines militaires les plus sophistiquées de la planète.

Et la résistance déterminée de ces combattants condamnés expose à travers tout le monde arabe, la lâcheté des dictateurs comme Hosni Moubarak d’Egypte qui refuse d’ouvrir la frontière commune de l’Egypte avec Gaza et ce malgré le massacre. Israël quand elle a bombardé le Liban il y a deux ans, visait à détruire le Hezbollah.

Lorsqu’elle s’est retirée, elle avait augmenté le pouvoir de base du Hezbollah et lui avait procuré un statut héroïque dans tout le monde arabe. Israël est en train de faire exactement la même chose avec le Hamas.

Le refus des dirigeants politiques en commençant par Barack Obama jusqu’à pratiquement chaque membre du Congrès américain de prendre la parole dans les principaux media pour défendre les règles de la loi et les droits humains fondamentaux met en évidence notre lâcheté et notre hypocrisie. Ceux qui condamnent ouvertement les crimes israéliens, dont les Israéliens comme Uri Avnery, Tom Segev, Ilan Pappe, Gideon Levy et Amira Hass ainsi que les intrépides américains Noam Chomsky, Dennis Kucinich, Norman Finkelstein et Richard Falk sont ignorés ou traités comme des lépreux.

On leur refuse une plateforme dans la presse. On les empêche pratiquement de parler. Falk, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les Droits Humains dans les territoires palestiniens occupés et ancien professeur de droit international à l’université de Princeton, a été interdit d’entrer en Israël en décembre, détenu pendant 20 heures puis déporté. Peu importe que pratiquement toutes ses voix soient juives.

J’ai appelé Avnery chez lui en Israël. Il est la conscience d’Israël. Avnery est né en Allemagne. Il est arrivé encore enfant en Palestine avec ses parents. Il a quitté l’école à l’âge de 14 ans et a rejoint une année plus tard le groupe paramilitaire clandestin connu sous le nom d’Irgoun. Quatre années plus tard, dégoûté par son utilisation de la violence, il a quitté l’organisation clandestine qui effectuait des attaques armées contre les autorités d’occupation britanniques et les Arabes. « Ne me parlez pas de terrorisme, j’étais un terroriste » dit-il quand il est confronté avec ses appels persistants pour la paix avec les Palestiniens.

Avnery a combattu dans l’unité de commando « Samson’s Foxes » (les renards de Samson) pendant la guerre de 1948. Il a écrit l’hymne de l’unité d’élite. Il est devenu après la guerre une force pour la politique de gauche en Israël et l’un des journalistes les plus importants, dirigeant le magasine alternatif « HaOlam HaZeh ». Il était membre de la Knesset israélienne. Pendant le siège de 1982 sur Beyrouth, il a rencontré dans un geste de défi ouvert vis-à-vis de la loi israélienne, le dirigeant de l’OLP, Yasser Arafat.

Ces derniers jours, il a rejoint les manifestants arabes en Israël et il dénonce ce qu’il appelle « l’inclinaison israélienne à utiliser la force contre les Palestiniens et la folie morale de l’attaque sur Gaza. ». Avnery, qui a aujourd’hui 85 ans, avait été gravement blessé lors d’une tentative d’assassinat par un opposant israélien en 1975 et en 2006, l’activiste d’extrême droite Baruch Marzel avait demandé à l’armée israélienne d’exécuter un assassinat ciblé sur Avnery.

« L’état d’Israël, comme tout autre état, ne peut pas tolérer que ses citoyens soient pilonnés, bombardés ou subissent des tirs de roquettes. Mais on ne s’est jamais penché sur la possibilité de résoudre le problème par des moyens politiques ou d’analyser d’où vient ce problème, ce qui l’a provoqué. Les Israéliens en général sont incapables de se mettre à la place des autres. Nous sommes trop autocentrés. Nous ne pouvons pas nous mettre à la place des Palestiniens ou des Arabes pour nous demander comment nous réagirions dans la même situation. Mais quelques rares fois, cela arrive. Il y a des années, quand on a demandé à Ehud Barak quel aurait-été son comportement s’il avait été palestinien, il a répondu : ’Je rejoindrai une organisation terroriste’. Si vous ne comprenez pas le Hamas, si vous ne comprenez pas pourquoi le Hamas fait ce qu’il fait, si vous ne comprenez pas les Palestiniens, alors vous avez recours à la force brute » explique Avnery.

Le débat public autour de l’attaque sur Gaza s’engage sur la prétention absurde que c’est Israël et non les Palestiniens dont la sécurité et la dignité sont menacées. Cette défense aveugle de la brutalité israélienne sur les Palestiniens trahit la mémoire de ceux qui ont été tués dans d’autres génocides, de l’Holocauste, au Cambodge, du Rwanda à la Bosnie. La leçon de l’Holocauste n’est pas que les juifs sont spéciaux ; ce n’est pas que les juifs sont uniques ; ce n’est pas que les juifs sont des victimes éternelles. La leçon de l’Holocauste est que quand vous avez la possibilité d’arrêter un génocide, et que vous ne le faites pas (quelque soit les personnes qui l’exécutent ou contre lesquelles ce génocide est dirigé) vous êtes coupables.

Et nous sommes très coupables. Les avions de combat F-16, les hélicoptères Apache, les bombes ?intelligentes’GBU-39 de 250 pounds font tous parti de l’aide militaire de 2.4$ billions que les USA apportent à Israël. Les Palestiniens sont en train d’être massacrés à l’aide d’armes de fabrique américaine. Ils sont en train d’être massacrés par une armée israélienne que nous finançons abondamment. Mais peut-être que notre insensible indifférence à la souffrance humaine n’est pas si étonnante. Après tout nous tuons des femmes et des enfants à une échelle encore plus importante en Irak et en Afghanistan. Les mains sanglantes d’Israël rejaillissent sur les nôtres.

D’autres enfants palestiniens vont encore mourir. Il y aura encore d’autres cas comme celui de l’école des Nations Unies utilisée comme sanctuaire par des familles terrifiées et soufflée par les mortiers israéliens (provoquant plus de 40 morts dont plus de la moitié des femmes et des enfants). Il y aura encore plus d’enfants orphelins amaigris. Il y aura encore plus de cris et de blessés comateux dans les couloirs débordés de l’hôpital de Gaza.

Et il y aura encore plus de rapports absurdes, comme celui sur la page de garde du New York Sunday Times titrant : « A Gaza, une guerre pleine de pièges et de supercheries ». Dans cet article, des officiels des services secrets israéliens nous font faire un petit tour de la guerre digne des fabrications de la Maison Blanche à la veille de la guerre en Irak. Nous découvrons les sales tactiques perfides des combattants du Hamas. Les journalistes étrangers interdits d’entrée à Gaza et incapables de vérifier l’authenticité des versions israéliennes de la guerre, ont abandonné leur métier de reporters pour devenir des sténographes.

Le cynisme qui consiste à transmettre une propagande comme étant la vérité, du moment qu’elle provient d’une source acceptée, est le poison du journalisme américain. Si c’est cela qu’est devenu le journalisme, si l’indignation morale, le courage de défier les puissants, l’engagement de dire la vérité et de donner une voix à ceux qui sans cela n’en auraient pas, si tout cela n’a plus d’importance, alors nos écoles de journalisme devraient se concentrer uniquement sur la sténographie. Cela semble être la compétence la plus convoitée par la plupart des éditeurs importants et des producteurs d’informations.

Il y a toujours eu depuis le commencement de l’état en 1948, des dirigeants israéliens puissants qui ont appelé à l’élimination physique totale des Palestiniens. Le nettoyage ethnique de quelques 800.000 Palestiniens par des milices juives en 1948 n’était pour eux, que le début. Mais il y avait aussi quelques dirigeants israéliens, y compris le premier ministre assassiné Yitzhak Rabin, qui argumentaient en disant qu’Israël ne pouvait pas abandonner et partir dans un autre lieu géographique du monde. Israël, pensait Rabin, sera obligée si elle veut survivre, de faire la paix avec les Palestiniens et ses voisins arabes. La vision de deux états de Rabin semble néanmoins d’être morte avec lui. L’acceptation d’un nettoyage ethnique global par les gouvernants et l’armée israélienne semble aujourd’hui incontestée.

« Il semble » a écrit récemment l’historien israélien Ilan Pappe « que les crimes les plus horribles tels que le génocide à Gaza, sont traités comme des événements directs, sans connexion à ce qui est arrivé dans le passé et non associés avec quelque idéologie ou système...tout comme l’idéologie de l’apartheid a expliqué les politiques oppressives du gouvernement sud-africain, cette idéologie (dans sa variété la plus consensuelle et simpliste) a permis à tous les gouvernements israéliens passés et présents de déshumaniser les Palestiniens où qu’ils soient et de tout faire pour les détruire. Les moyens ont varié d’une période à une autre, d’un lieu à un autre, tout comme les récits couvrant ces atrocités. Mais il existe un modèle clair [de génocide]... »

Gaza s’enfonce dans le chaos. Le Hamas qui, malgré la propagande israélienne n’a jamais réussi à structurer une résistance prolongée comme celle du Hezbollah lors de l’incursion israélienne au sud Liban, va dans le futur être dominé par des bandes de seigneurs de guerre, des clans et des mafias antagonistes. Gaza va ressembler à la Somalie. Et de ce vide du pouvoir, s’élèvera une nouvelle génération de jihadistes en colère dont beaucoup pourraient repousser le Hamas et choisir des organisations plus radicales. Al-Qaïda qui a tout fait pour prendre pied à Gaza, pourrait y avoir maintenant trouvé une ouverture.

« Le Hamas gagnera la guerre quoiqu’il arrive » dit Avnery. « Ils seront considérés par des centaines de millions d’Arabes comme des héros qui ont rétabli la dignité et fierté des nations arabes. Si à la fin de la guerre, ils sont toujours à Gaza, cela sera pour eux une immense victoire, et d’avoir réussi à tenir devant cette immense armée israélienne et son pouvoir de feu représentera une prouesse incroyable. Ils y gagneront encore plus que le Hizbollah ne l’a fait pendant la dernière guerre ».

Israël opère sous l’illusion qu’elle peut écraser le Hamas et installer un gouvernement palestinien collaborateur à Gaza et en Cisjordanie. Ce gouvernement fantoche sera dirigé, pense Israël, par le président discrédité de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, qui s’aplatit aujourd ?hui en Cisjordanie après avoir été expulsé de Gaza. Abbas, comme la plupart des dirigeants corrompus du Fatah, est une figure détestée. Il est considéré comme étant le Maréchal Pétain du peuple palestinien ou peut-être comme un Hamid Karzai ou un Nouri al-Maliki. Il est autant détesté qu’il est impuissant.

La destruction du Hamas par Israël et la réoccupation de Gaza n’apportera ni paix ni sécurité à Israël. Cela ne fera qu’oblitérer la seule organisation interne ayant une stature et une autorité suffisante dans Gaza pour maintenir l’ordre. L’assaut israélien, en détruisant le Hamas en tant que force dirigeante, a ouvert la boite de pandore du malheur. La vie pour la plupart des Palestiniens va devenir un cauchemar et dans les années à venir, également pour la plupart des Israéliens.

12 janvier 2009 - Truthdig - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.truthdig.com/report/item...
Traduction de l’anglais : Ana Cléja