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Gaza : et je lirai demain dans vos journaux...
samedi 3 janvier 2009 - Mustafa Barghouti
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Mustafa Barghouti

Et de quoi dépend la différence entre la paix et la guerre ? De la comptabilité des morts ? Et les enfants rongés par la malnutrition, on les met sur quel compte ?

Meurt-il de guerre ou de paix celui qui meurt parce que l’électricité manque dans le bloc opératoire ? On dit paix quand il n’y a pas de missile - mais comment dit-on quand tout le reste manque ?

Et je lirai dans vos journaux, demain, que tout cela n’est qu’une attaque préventive, que ce n’est qu’un droit légitime, inviolable d’autodéfense.

La quatrième puissance militaire du monde, ses muscles nucléaires contre des missiles de tôle, du papier mâché et du désespoir. Et naturellement on va me préciser qu’il ne s’agit pas d’une attaque contre des civils - et d’ailleurs comment pourrait-elle l’être si trois hommes qui causent de la Palestine ici, au coin de la rue, sont pour les lois israéliennes un noyau de résistance et donc un groupe illégal, une force combattante ? - si dans les documents officiels nous sommes marqués comme une entité ennemie et, sans plus le moindre frein éthique, le cancer d’Israël ? Si le but est d’éradiquer le Hamas - tout cela renforce le Hamas.

Vous arrivez à bord des avions de chasse pour exporter la rhétorique de la démocratie, à bord des avions de chasse vous revenez ensuite étrangler l’exercice de la démocratie - mais quelle autre option reste-t-il ? Ne la laissez pas vous exploser dessus soudain.

Ce n’est pas le fondamentalisme qu’on bombarde en ce moment mais tout ce qui s’y oppose. Tout ce qui ne restitue pas gratuitement à cette férocité indiscriminée une haine égale et contraire, mais une parole nue de dialogue, la lucidité de raisonner, le courage de déserter - ce n’est pas une attaque contre le terrorisme cela, mais contre l’autre Palestine, tierce et différente, tandis qu’elle esquive des missiles coincée entre la complicité du Fatah et la myopie du Hamas. Il était en train de m’assassiner par autodéfense, j’ai du l’assassiner par autodéfense - un jour les survivants le raconteront ainsi.

Et demain je lirai dans vos journaux que tout processus de paix est impossible, les Israéliens, hélas, n’ont personne avec qui parler. Et en effet - comment pourraient-ils l’avoir, retranchés derrière un Mur de béton de huit mètres ? Et surtout - pourquoi devraient-il l’avoir, si la Road Map n’est que l’énième arme de distraction de masse pour l’opinion publique internationale ? Quatre pages où l’on nous demande, par exemple, d’arrêter les attaques terroristes et où l’on dit qu’en échange Israël ne va entreprendre aucune action pouvant miner la confiance entre les deux parties comme - textuellement - les attaques contre les civils.

Assassiner des civils ne mine pas la confiance, mais le droit, c’est un crime de guerre, ce n’est pas une question de courtoisie. Et si Annapolis est un processus de paix, tandis qu’en attendant, ici, la seule carte qui progresse sont les terres confisquées, les oliviers arrachés les maisons démolies, les colonies élargies - pourquoi alors la proposition saoudienne n’est-elle pas un processus de paix ? La fin de l’occupation en échange de la reconnaissance de la part de tous les Etats arabes. Pouvons-nous avoir au moins un signe de réaction ? Quelqu’un là, par hasard, écoute-t-il de l’autre côté du Mur ?

Mais je suis là à vous raconter du vent. Parce que demain je ne lirai qu’une ligne dans vos journaux et seulement demain, ensuite je ne lirai, encore, que l’indifférence. Et ce n’est que cela que je sens, tandis que les F16 survolent ma solitude vers des centaines de dommages collatéraux dont je connais chaque nom, chaque vie - seulement un vertige d’abandon et d’égarement infinis. Européens, Américains et Arabes aussi - parce qu’est devenue la souveraineté égyptienne, au passage de Rafah, la morale égyptienne, au sceau de Rafah ? - nous sommes simplement seuls.

Vous défilez ici, une délégation après l’autre - et en parlant, aurait dit Garcia Lorca, les mots restent dans l’air, comme des bouchons dans l’eau. Vous offrez des aides humanitaires mais nous ne sommes pas des mendiants, nous voulons dignité, liberté, des frontières ouvertes, nous ne demandons pas de faveurs, nous revendiquons des droits. Et, au contraire, vous arrivez, indignés et désireux de participer et vous demandez ce que vous pouvez faire pour nous. Une école ?, une clinique peut-être ? des bourses ? Et nous essayons à chaque fois de vous convaincre - non, pas la généreuse solidarité, enseignait Bobbio, seulement la sévère justice - des sanctions, des sanctions contre Israël.

Mais vous répondez - neutres à chaque fois et donc partageant le déséquilibre, partisans des vainqueurs - non, cela serait antisémite. Mais qui est plus antisémite, ceux qui ont vicié Israël un pas après l’autre pendant soixante ans, jusqu’à le défigurer au point d’en faire le pays le plus dangereux au monde pour les Juifs ou ceux qui l’avertissent qu’un Mur marque un ghetto des deux côtés ?

Est-il peut-être antisémite de relire Hannah Arendt aujourd’hui où c’est nous, les Palestiniens son écume de la terre, est-il antisémite de revenir illuminer ses pages sur le pouvoir et la violence, sur la dernière race soumise au colonialisme britannique, qui auraient été, in fine, les Anglais eux-mêmes ? Non, ce n’est pas de l’antisémitisme, mais l’exact contraire, de soutenir les nombreux Israéliens essayant d’échapper à une nakbah appelée sionisme. Parce qu’il ne s’agit pas d’une attaque contre le terrorisme mais contre l’autre Israël, tiers et différent, tandis qu’il esquive la pensée unique coincé entre la complicité de la gauche et la myopie de la droite.

Je sais ce que je lirai, demain, dans vos journaux. Mais pas d’autodéfense, pas d’exigence de sécurité. Tout cela ne s’appelle qu’apartheid - et génocide. Parce que peu importe que les politiques israéliennes, techniquement, collent ou non au millimètre avec les définitions délicatement ciselées par le droit international, son formalisme aristocratique, sa prétendue objectivité ne sont que l’énième collatéralité, ici, qui seconde et multiplie la force des vainqueurs. L’essence de ces avions est votre neutralité, est votre silence, le son de ces explosions. Quelqu’un se sentit Berlinois, devant un autre Mur. Combien de morts encore, pour vous sentir des citoyens de Gaza ?

Ramallah, 27 décembre 2008 - Reçu par courrier électronique