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A la recherche de l’insaisissable partenaire israélien pour la paix
jeudi 30 octobre 2008 - Samah Jabr

A part quelques initiatives individuelles et si rares, phénomènes fugaces tels les nouveaux historiens et les refuzniks, le « camp israélien pour la paix » est encore loin de représenter un mouvement politique significatif, tant par le nombre par rapport à l’ensemble de la population israélienne que par sa capacité à faire évoluer sa vision et sa plateforme. Effectivement, l’affirmation israélienne selon laquelle « il n’y a aucun partenaire pour la paix » parmi les différents mouvements palestiniens, illustre plus précisément les factions israéliennes.

Certains juifs israéliens soutiennent que vivre en Palestine occupée est une obligation religieuse, qu’ils sont un peuple élu et se conforment à tout ce qui distingue les comportements publics et nationaux des « citoyens » israéliens : l’Etoile de David sur le drapeau, la Menorah [le chandelier - ndt] comme symbole de l’Etat, l’importance du Shabbat, etc. Ils croient que les juifs européens d’aujourd’hui sont les descendants directs des Hébreux de l’antiquité qui ont des droits exclusifs sur la Palestine où ils étaient les seuls à vivre. En conséquence, les juifs européens ont le droit, 2 000 ans plus tard, à revendiquer la patrie de leurs prétendus ancêtres.(1)

La plupart des Israéliens cependant sont des laïcs, voire des athées (tel David Ben-Gurion, le premier des Premiers ministres du pays), et croient que la gloire biblique de la Terre promise n’est rien d’autre qu’un mythe.

Néanmoins, peu importe qu’un juif descende des Hébreux ou des Khazars, qu’il décide de se convertir à une autre religion ou de devenir laïc, il est en mesure légalement de prétendre être juif sur la base d’une affiliation nationale. Dans l’Etat juif, il est impossible de faire la distinction entre le laïc et le religieux : outre le fait que c’est par leur judaïté qu’ils acquièrent leurs droits, les deux sont partenaires dans l’occupation. Beaucoup ont des citoyennetés doubles et vivent dans le pays quand ils y ont intérêt économiquement ou socialement.

Quand un Israélien, blanc, aux yeux bleus, occidental, laïc, faisant fi de la religion, prend la défense de l’Etat juif exclusif au prétexte de le défendre contre l’antisémitisme et un nouvel Holocauste, je n’entends qu’un ultraréactionnaire. N’est-ce pas là l’obsession névrosée de l’antisémitisme et d’un « futur Holocauste », en fait le camouflage d’une dépendance à l’injustice coloniale que les Israéliens appellent droits de citoyenneté : répartition profondément injuste - sans parler de vol - de la terre, de l’eau, des revenus, des biens, et du reste ? Que ces privilèges coloniaux soient volés aux habitants de la Palestine pour être octroyés à des immigrants étrangers, simplement parce qu’ils sont d’une certaine race, qu’ils partagent certains gènes ou croient dans une certaine idéologie, comment peut-on appeler cela, sinon du racisme ? Comment faut-il qualifier l’inquiétude exprimée explicitement par les Israéliens à propos de la croissance naturelle palestinienne sinon d’idées ethnocidaires ?

Les Israéliens laïcs qui opposent un refus et résistent à une solution pour un Etat unique, préférant un Etat juif exclusif pour eux-mêmes au motif qu’ils ont peur et se méfient de leurs voisins non juifs, n’avancent que de médiocres prétextes destinés à masquer une subtile idéologie raciste - basée sur une suprématie théocratique et ethnique - qui rappelle le colonialisme du 19ème siècle.

Les juifs aujourd’hui jouissent de tous les droits dans le monde, comme il se doit, bien sûr. Avec la résolution, engagée au Siècle des lumières, des problèmes existentiels et cognitifs de la vie juive - dont une existence collective juive, une identité et une autodétermination communautaires - il n’y a simplement aucune utilité à l’existence maintenue d’une entité [pays - ndt] juive distincte dans le monde, en particulier quand elle raye une autre nation, un autre peuple.

Historiquement, les mouvements socialistes, libéraux et travaillistes internationaux se sont toujours concentrés sur une opposition à l’impérialisme, à la colonisation et au capitalisme, ils ont lutté pour l’égalité et plaidé pour les droits des gens pauvres et des marginalisés. Aujourd’hui, le terme « libéral de gauche » évoque une position sociale éclairée, insistant particulièrement sur la liberté individuelle et les droits humains.

Cela ne qualifie pas la gauche israélienne, cependant. En fait, Israël n’existerait pas si la gauche n’avait pas coopéré avec la bourgeoisie et l’impérialisme occidental. C’est la gauche israélienne laïque - pas le Haridim religieux [juifs ultra orthodoxes - ndt] - qui s’est rendue responsable de l’expulsion massive des Palestiniens et des massacres perpétrés par les milices juives depuis 1948. Quand la gauche israélienne a instauré le système de kibboutz dans les années 50 et 60, les gauchistes à travers le monde l’ont salué comme un modèle de collaboration et d’égalité. Mais les Palestiniens savaient déjà que ces kibboutzim étaient des foyers accueillants pour les dirigeants israéliens responsables de la guerre et des tortures, qui infligeaient les pires formes d’inégalités aux habitants de Palestine.

La gauche israélienne veut, elle aussi, sa part de gâteau et la manger. Tout en bénéficiant, matériellement et autrement, de l’injustice du système de l’occupation, elle veut la paix avec les Palestiniens. Concrètement, cela se traduit par des rencontres, des danses et des accolades avec les Palestiniens - tout en évitant d’écouter la voix de la résistance palestinienne, tant elle est réticente à traiter les questions de fond et, surtout, la fin de l’occupation. Alors que la Palestine se rétrécit sous nos pieds, le discours officiel de l’occupation satisfait très bien les gens de gauche en Israël, qui lui ajoutent des expressions comme « revendications rivales » ou « situation complexe », « cycle de violence » ou les « deux côtés » consacrés. La gauche est plus intéressée par le processus, une diversion qui sert à apaiser la conscience israélienne et à calmer l’opinion mondiale, mais qui ne réussit pas à mettre un terme à l’angoisse palestinienne.

Peut-être en raison de son « pragmatisme » manifeste, le camp de la paix israélien est mal perçu par l’opinion israélienne et palestinienne. Il ne s’oppose à l’occupation que lorsque le coût en devient trop élevé : par exemple, les gens de gauche ont observé tranquillement le bombardement du Liban par Israël en 2006 et ne sont descendus protester dans la rue que lorsqu’ils n’ont plus reçu les missiles du Hezbollah. Ils soutiennent le retrait d’Israël des territoires occupés pour ne pas mettre en danger le caractère « juif et démocratique » d’Israël par l’incorporation « d’un million de Palestiniens hostiles qui représentent un poids démographique et politique pour Israël. »

En Israël, cela ne coûte guère d’être de gauche ; au contraire, en plus des privilèges du colonialisme, on peut apprécier librement les excursions pacifistes et profiter du business de la coexistence. La gauche cherche à rencontrer les Palestiniens pour manger le hoummos, discuter des impressions et raconter des histoires - en bref, pour se livrer à un processus sans fin sans la moindre intention de parvenir à une quelconque résolution, tandis que son gouvernement gagne du temps en créant toujours plus de faits accomplis sur le terrain, consolidant ainsi sa mainmise sur le territoire.

C’est autre chose pour les Palestiniens qui n’ont pas le luxe de pouvoir quitter la réalité et les horreurs quotidiennes de l’occupation pour le monde de la rumination existentielle qui admet que, oui, nous nous « sentions » mal traités. Quelle que soit la façon ardente avec laquelle les Israéliens de gauche intègrent le « sentiment » palestinien de la dépossession, ils continuent de consolider la mythologie sioniste qui a été, et est, utilisée pour justifier notre dépossession. En tout ce qu’ils font, les occupants israéliens - même ceux de gauche - participent à l’oppression des Palestiniens.

Dès leur naissance, Israéliens et Palestiniens, indépendamment de leurs mérites individuels, expérimentent une vie différente. Les valeurs israéliennes sont souveraines naturellement, et confèrent des avantages à l’occupant. Le plus difficile est pour nous, le plus facile, ils le vivent à tous les niveaux : leur niveau de vie élevé est fondé sur notre faible niveau de vie, car nous pouvons être exploités à volonté et ne sommes pas protégés par les lois de l’occupation. Les Israéliens ont des emplois administratifs, et nous sommes leurs domestiques et leurs ouvriers. Quel que soit ce qui leur est réservé, cela nous est retiré. Même un occupant peu enthousiaste se laisse aller à une complicité pour bénéficier économiquement du système.

Même dans l’arène des faiseurs de paix, la gauche est le maître. Les donateurs américains et européens lui confient les fonds et c’est elle qui choisit les partenaires palestiniens avec lesquels elle engage le « dialogue », ce qui aboutit à une apparence d’amitié servile. C’est le « partenaire » israélien qui répartit le budget, c’est lui qui fixe l’agenda et qui conclut ce qu’il veut. On peut seulement se demander si de telles réunions servent à autre chose que d’édulcorer l’occupation.

Mais l’occupation n’est pas un processus historique naturel, inévitable, que l’on peut rendre plus humain, plus agréable ou plus tolérable. Elle est fondée sur une idéologie dangereuse pour laquelle certaines nations, langues et cultures sont supérieures à d’autres - donnant ainsi une première autorisation à bafouer les droits des autres. Cet exceptionnalisme racial ne peut être neutralisé que par une idéologie anti-occupation stipulant que tous les individus ont des droits civiques et humains identiques, et que toutes les nations, cultures et religions, bien que différentes, sont égales. Ce n’est pas évidement juste pour les Israéliens et les Palestiniens. C’est une norme universelle, applicable à toutes les nations.

Un véritable partenaire israélien reconnaît qu’il a le devoir de s’opposer à l’occupation et au système qui, depuis la création de l’Etat juif, fait des habitants non juifs des apatrides et des sans droits. Un tel partenaire rejettera les représentations et les outils de l’occupation comme fondamentalement injustes et immoraux, en tant que vol de la terre, de la vie et de la liberté des individus, aussi bien que d’une nation. L’occupation est une tentative d’ethnocide ; en tant que telle, elle est un crime contre le patrimoine de l’humanité.

Je ne peux ressentir ni harmonie ni communion avec un occupant qui, quelles que soient sa générosité ou son empathie, ne parvient pas à prendre une position verbale et active sincère contre l’occupation. Ni préférer que ce soit une anomalie historique : il y a eu des Français qui ont soutenu la résistance du FLN en Algérie, et quelques Sud-africains blancs qui ont soutenu l’ANC. Mais où sont les partenaires israéliens dans la résistance à l’occupation - l’un des actes les plus humains et altruistes qu’on puisse imaginer ? Ils devraient non seulement aider à dissiper l’écran de fumée jusqu’à ce que tombent les murs de l’occupation, mais aussi ouvrir la voie à des relations pacifiques quand la Palestine sera libérée.

S’opposer à l’occupation, ce n’est pas avoir la haine de soi, ni de l’animosité, ni un préjugé ni être raciste, tout comme je ne suis pas quelqu’un en colère, d’amer ou de violent. Au contraire, c’est un devoir moral pour tous ceux qui sont épris de justice, d’équité et d’égalité, et qui respectent toutes les nations et tous les peuples. Ceux qui épousent ces valeurs ne peuvent arriver qu’à une seule conclusion : que le sionisme et l’action pour la paix ne se mêlent pas. Toute tentative pour combiner les deux est malhonnête et cherche à exploiter les Palestiniens et tromper le monde. Il n’y a aucun avantage, et encore moins de sens commun, à défendre les droits d’une organisation dont le premier acte au pouvoir est d’étouffer le droit d’une nation plus faible. Un sioniste est attaché à la vision d’une indépendance nationale juive et à un chauvinisme agressif, et les forces messianiques, peu judicieuses, sont incapables de renoncer à l’intérêt central de l’occupation de la Palestine.

Le sionisme fascine les penseurs progressistes et les implique dans l’amalgame de leur propre sens complexe d’identité et du destin d’un Etat colonial. Le plus gros des efforts des sionistes pour conjuguer judaïsme et sionisme ensemble avec l’impact accablant de l’Holocauste accapare l’importance religieuse et culturelle riche, variée, de l’identité juive dans un but limité, colonial ; il moule la qualité des intellects et des individus conscients moralement qui se servent de l’épée et se noient dans une mer de contradictions morales, où nous continuons de naviguer, à la recherche d’un partenaire israélien insaisissable.


(1) - Voir à ce sujet : Comment fut inventé le peuple juif de Shlomo Sand. (ndt)


Samah Jabr est médecin psychiatre palestinienne, elle vit dans Jérusalem occupée et y travaille au sein d’une clinique psychiatrique qu’elle a créée.

L’un des objets politiques de son combat est un État unique pour une perspective de paix et de liberté commune. Ses chroniques touchantes nous parlent d’une vie au quotidien en pleine occupation ; d’un regard lucide, elle nous fait partager ses réflexions en tissant des liens entre sa vie intime, son travail en milieu psychiatrique et les différents aspects politique d’une situation d’apartheid.

Du même auteur :

- « Terrorisme » au bulldozer ? Tout dépend de qui est dessus et qui est dessous
- Un vol sur El Al
- Histoires de sièges et de zatar
- Une patrie, pas un Etat insignifiant !
- La marche du retour part de Jérusalem

Reçu de l’auteur par les Amis de Jayyous le 26 octobre 2008. Traduction de l’anglais : JPP