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"Le Sel de la mer" : sur les traces d’une réfugiée palestinienne
mercredi 24 septembre 2008 - Thomas Sotinel - Le Monde
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Suheir Hammad dans le film franco-palestino-espagnol d’Annemarie Jacir, "Le Sel de la mer".

Sur ces quelques kilomètres carrés, il s’est tourné tant de mètres de pellicule qu’on croit avoir tout vu des Territoires palestiniens occupés par Israël. C’est la force première du Sel de la mer, premier film d’une cinéaste palestinienne qui a étudié aux Etats-Unis, que de dévoiler une autre Palestine, un autre Israël. Non que la réalité ait changé, c’est le regard qui est neuf.

Ce regard neuf est présent à l’écran. C’est celui de Suheir Hammad, l’interprète du rôle principal. Cette poète-slameuse new-yorkaise est aussi une réfugiée palestinienne, dont les parents ont grandi dans les camps de Jordanie. Soraya, son personnage, lui ressemble. On la découvre au moment où elle débarque à l’aéroport de Tel-Aviv, protégée par son passeport américain, accablée par son patronyme et sa généalogie. Pour passer la barrière, il lui faut répéter trois fois sa généalogie : elle est née à Brooklyn, ses parents sont nés au Liban, son grand-père à Jaffa, les trois étapes de l’exil : le pays, les camps de réfugiés, la diaspora.

D’Israël, des territoires, des camps de Jordanie ou du Liban, Soraya ne connaît que ce qu’on lui a raconté. Mais contrairement à ce qu’elle a expliqué à son comité d’accueil israélien, elle n’est pas venue "se rendre compte par elle-même". Toute seule, de son propre chef, elle a décidé d’exercer son droit au retour. La première partie du film met en scène l’arrivée de la jeune femme à Ramallah, une ville morcelée, autant par l’occupation que par les barrières sociales et politiques. Soraya s’est fixé un but absurde : récupérer l’argent que son grand-père a laissé sur un compte bancaire avant de fuir Jaffa. Mais la banque palestinienne à laquelle elle présente sa requête lui oppose des arguments irréfutables : même s’il avait sa carte de réfugié, son grand-père n’a pas été reconnu comme tel par les autorités israéliennes.

Plus tard, lorsqu’elle demande un passeport palestinien, un fonctionnaire lui répond qu’une telle démarche est interdite par les accords entre l’Autorité et Israël. Autour d’elle, les Palestiniens qu’elle rencontre la regardent avec perplexité, Soraya a un passeport américain en poche. "Que pouvez-vous rêver d’avoir de mieux ?", lui demande-t-on.

CAVALE EN ISRAËL

Par inexpérience, par excès de colère, Le Sel de la mer est parfois un peu démonstratif dans sa description du labyrinthe historique dans lequel sont enfermés les Palestiniens. Les notables de Ramallah sont épinglés, la misère des uns est opposée aux belles villas et aux restaurants de luxe des autres.

Annemarie Jacir échappe pourtant aux pièges de l’agit-prop grâce à son personnage. Soraya est belle, émouvante dans sa colère et sa frustration. Mais elle est aussi égocentrique, convaincue que tout ce qui se passe dans la région depuis des siècles est une affaire personnelle (elle est aussi américaine). Plus tard, dans le film, Esmad (Saleh Bakri), son compagnon de cavale, lui demandera : "Pourquoi les laisses-tu occuper ta tête" ?

Car entre-temps, l’enfant de Brooklyn et de Jaffa a rencontré ce garçon, serveur dans un restaurant, confiné dans les limites de Ramallah, éternellement contrarié dans ses tentatives d’émigration. Elle l’a convaincu de braquer la banque qui détient les avoirs de son grand-père, avec l’aide d’un troisième complice. Une fois leur modeste forfait accompli, le trio passe la frontière et débute une brève cavale en Israël qui les mène d’abord à Jaffa puis sur les ruines du village de la famille d’Esmad. A ce moment l’osmose entre réalisatrice, personnage et actrice produit ses pleins effets. Annemarie Jacir filme Israël avec un mélange d’émerveillement et de colère que Suheir Hammad confère à Soraya.

On suppose que c’est maintenant la colère qui l’a emporté chez la cinéaste. Avant même la fin du tournage, elle s’est vu interdire l’entrée en Israël et dans les territoires. A ce jour, Annemarie Jacir ne peut toujours pas mettre les pieds à Ramallah.

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2 septembre 2008 - Le Monde - Vous pouvez consulter cet article à :
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