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Illusions guerrières
mercredi 24 septembre 2008 - Robert Fisk
The Independent
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Nous avons tué plus de 500 civils afghans durant cette seule année.




Pauvres Algériens ! Leur gouvernement brutal leur sert encore la même soupe qu’en 1997. Celle année là, le pouvoir avait annoncé la « victoire finale » sur le terrible ennemi islamiste. A au moins trois reprises, j’ai rendu compte - non sans une certain ironie, bien sûr - que les autorités algériennes estimaient que leurs ennemis avaient finalement été vaincus car les « terroristes » étaient désormais si désespérés qu’ils décapitaient chaque homme, femme et enfant dans les villages qu’ils parvenaient à occuper dans les montagnes environnant Alger et d’Oran.

Et le voilà qui recommence. Après la résurgence des attentats à la voiture piégée organisés par leurs ennemis de la nouvelle organisation nommée « Al-Qaïda au Maghreb », le gouvernement décrépit du FLN a annoncé la « phase terminale » dans sa lutte contre les islamistes armés. Comme l’a écrit récemment avec beaucoup esprit le journaliste algérien Hocine Belaffoufi, « selon ces déclarations ... l’augmentation des attaques constitue une preuve indéniable de la défaite du terrorisme. Plus le terrorisme s’effondre, plus les attaques augmentent ... donc plus il deviendra fort, moins il y aura d’attaques. »

On nous a également infligé depuis des années ces mêmes non-sens sur la situation dans le sud-ouest Asiatique. Tout d’abord, en 2001, nous avions gagné la guerre en Afghanistan en renversant le régime talibans. Puis nous nous sommes remis en mouvement pour gagner la guerre en Irak. Aujourd’hui - avec au moins un attentat suicide à la bombe par jour et une nation divisée en enclaves confessionnelles antagonistes - nous avons gagné la guerre en Irak et revenons sur nos pas pour re-gagner la guerre en Afghanistan où les talibans - complètement battus par nos gars il y a sept ans - ont démontré l’ampleur de leur faillite morale et politique en reconquérant la moitié du pays.

L’époque semble fort lointaine où Donald « ces choses arrivent » Rumsfeld déclarait : « Un gouvernement a été mis en place (en Afghanistan), et les islamistes ne font plus la loi à Kaboul. Il y a bien sûr de temps en temps un jet de grenade à main, un tir de mortier - mais à New York et à San Francisco, des gens meurent aussi. Quant à moi, je suis plein d’espoir. » Etrangement, dans les années quatre-vingt, j’avais entendu un général soviétique tenir exactement les mêmes propos sur la base aérienne de Bagram en Afghanistan - oui, cette base aérienne de Bagram, où les hommes de la CIA ont torturé à mort quelques-uns des Afghans qui avaient auparavant échappé aux massacres Russes. Ce pimpant général nous assurait que seuls restaient dans les montagnes afghanes quelques « terroristes résiduels ». Les soldats Afghans, avec l’aide de l’ « intervention » limitée des forces soviétiques, restauraient la paix et la démocratie en Afghanistan.

Et maintenant ? Après les progrès « inimaginables » effectués en Irak - je cite l’humoriste qui occupe encore la Maison-Blanche - les Américains vont extraire 8 000 soldats de Mésopotamie et en déverser 4 700 sur les flammes infernales de l’Afghanistan. Trop peu, trop tard, trop lentement, commente sur un ton acide l’un de mes collègues français. Il faudrait au moins 10 000 soldats supplémentaires pour espérer venir à bout de ces diables de talibans qui sont maintenant équipés avec des armes plus sophistiquées, mieux formés et de plus en plus - amer constat - tolérés par la population civile locale. Pour comprendre l’Afghanistan, voir : Irakistan.

A la fin du 19e siècle, les talibans - oui, les Britanniques appelaient aussi à l’époque leur ennemis enturbannés de noir les « Talebs » - égorgeaient les soldats britanniques capturés. Aujourd’hui, cette fâcheuse tradition se répète - et nous en sommes surpris ! Deux soldats américains capturés lorsque les talibans ont fait irruption dans leur base située dans les montagnes le 13 Juillet dernier ont été exécutés par leurs ravisseurs.

Et aujourd’hui il s’avère que quatre des 10 soldats français tués en Afghanistan le 18 août se sont rendus aux talibans, et ont été presque immédiatement exécutés. Leur interprète a apparemment disparu peu de temps avant le début de la mission. Les deux hélicoptères français qui auraient pu contribuer à renverser la situation étaient trop occupés à protéger Hamid Karzai, ce président Afghan sans pouvoir, pour intervenir pour leurs propres soldats. Un militaire français a décrit les talibans avec une franchise brutale : « ce sont de bons soldats, mais des ennemis sans pitié. »

Le général soviétique de Bagram a maintenant un successeur en la personne du général David McKiernan, le commandant en chef pour les États-Unis en Afghanistan, qui a fièrement annoncé le mois dernier que les forces américaines avaient tué entre 30 et 35 talibans lors d’un raid sur Azizabad près de Herat. « A la lumière des nouveaux éléments de preuve relatifs (sic) aux victimes civiles dans cette ... opération de contre insurrection » l’infortuné général déclare aujourd’hui qu’il estime « prudent » - un autre gros sic ici - de reprendre son enquête. Les éléments de preuve « relatives », bien sûr, indiquent que les Américains ont probablement tué 90 personnes dans Azizabad, pour la plupart des femmes et des enfants.

Nous - nous, car il faut être franc et reconnaître notre rôle dans cette triste alliance de l’OTAN en Afghanistan - avons tué plus de 500 civils afghans durant cette seule année. Y compris lors de cette frappe de missiles de l’OTAN sur une cérémonie de mariage en juillet, où nous avons réduit en charpie 47 invités dans le village de Deh Bala.

Et malgré tout Obama et McCain croient vraiment qu’ils vont gagner en Afghanistan - avant, j’imagine, de précipiter à nouveau leurs soldats en Irak lorsque le gouvernement de Bagdad s’effondrera. Ce que les Britanniques ne pouvaient faire au 19ème siècle, ce que les Russes ne pouvaient faire à la fin du 20ème siècle, nous allons le réaliser au début du 21 siècle, en étendant notre horrible guerre au Pakistan doté de l’arme nucléaire, juste pour faire bonne mesure. Illusions, encore.

Joseph Conrad, qui avait compris l’impuissance des nations puissantes, aurait certainement su écrire quelque chose à ce sujet. Oui, nous avons perdu après avoir gagné en Afghanistan et maintenant, nous allons perdre en tentant de vaincre à nouveau. Ces choses arrivent.

Du même auteur :

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Publication originale le 20 septembre 2008, The Independen, traduction : Contre Info