Fermer la page
www.info-palestine.net
Des tunnels pour survivre
samedi 23 août 2008 - Saleh Al-Naami - Al Ahram Weekly
JPEG - 9.6 ko
A l’intérieur d’un tunnel

Ce n’est qu’en entendant la remarque sarcastique du chauffeur de taxi que je me suis rendu compte que sa chemise était à l’envers. Il l’enlève, la retourne et la remet à l’endroit. Cet habitant de Deir Al-Balah au centre de la Bande de Gaza, venait de recevoir un appel d’une pharmacie de Rafah l’informant que le médicament pour sa fille atteinte d’une maladie neurologique venait d’arriver. Il savait qu’il devait y aller tout de suite avant que le stock ne soit épuisé.

Il avait donc attrapé les premiers vêtements qui lui étaient tombés sous la main. Je ne peux pas vous décrire le bonheur de cet homme quand il est rentré finalement chez lui avec le médicament pour lequel il avait écumé tout Gaza. Il ne l’aurait sans doute pas trouvé à Rafah non plus, sans les tunnels par lesquels des marchandises aussi vitales, notamment des médicaments, peuvent être introduits en contrebande d’Égypte à Gaza.

Ghassan Hussein, 44 ans, instituteur au camp de réfugiés Al-Maghazi au centre de Gaza a confié à Al-Ahram Weekly que grâce aux tunnels il avait pu mettre fin au problème qu’il connaît en été. Pendant des mois, il n’avait pas pu dormir avant l’aube à cause d’une chaleur intolérable. A cause du blocus israélien, on ne trouvait pas un seul ventilateur à Gaza. Heureusement, il en avait trouvé un dans un magasin du côté de Rafah ; le ventilateur avait transité par l’un des tunnels.

Pendant longtemps, Israël a essayé de convaincre le monde que tous les tunnels entre Gaza et l’Égypte étaient utilisés pour passer des armes en contrebande.

Selon l’exploitant d’un tunnel, qui a parlé au Weekly à condition de garder l’anonymat, c’est absolument inexact. Plus de 90 pour cent des tunnels véhiculent des marchandises et des médicaments pour les civils, dit-il.

Son tunnel achemine des médicaments et de la nourriture et ses partenaires de l’autre côté vérifient le contenu de tous les paquets avant de les lui envoyer. Il travaille de façon très simple et directe. Il appelle les distributeurs de produits pharmaceutiques à Gaza, leur demande ce qu’il leur faut d’Égypte et transmet leur liste à ses partenaires de l’autre côté.

Parfois, les sociétés pharmaceutiques de Gaza contactent les fournisseurs égyptiens directement et ceux-ci envoient les médicaments nécessaires à ses partenaires de Rafah. Pour chaque « livraison » lui-même et ses partenaires prennent une commission convenue entre eux.

Il ajoute que le nombre de tunnels a beaucoup augmenté depuis qu’Israël a durci le blocus après la prise de pouvoir par le Hamas à Gaza. Il estime qu’il y a quelque 900 tunnels et qu’ils sont utilisés principalement pour le transport de médicaments, de lait pour les enfants, de denrées alimentaires, de pièces détachées pour les voitures, de carburant et de vêtements.

Il estime aussi que plus de 1.100 personnes travaillent dans le creusement des tunnels, pour une somme de 2400 dollars par mois. « Ces hommes risquent leur vie » dit-il, et il ajoute que l’effondrement d’un tunnel à moitié achevé a coûté la vie à sept d’entre eux. La plupart des tunnels sont la propriété de familles de Rafah qui en tirent leur seul revenu.

Il y a néanmoins des marchandises qui ne peuvent pas transiter par les tunnels. Les articles en verre par exemple. Selon un autre propriétaire de tunnel « le verre est devenu aussi précieux que l’or. Il est presque impossible à faire passer à cause du risque de casse pendant le transport ». Il s’ensuit que le prix des articles de cuisine en verre a atteint des prix pharamineux. Une demi-douzaine de verres ordinaires coûte maintenant 25 shekels contre 5 shekels avant le blocus.

Mohamed Abu Musaed, 27 ans, professeur d’art à Deir Al-Balah, dit au Weekly que lors de la visite que ses collègues lui ont rendue pour le féliciter de la naissance de son fils, il a dû leur offrir du jus de fruit dans six modèles de verres différents. En distribuant les rafraîchissements, il a porté un toast moqueur « au boycott ». Il rit et il ajoute qu’il craint de voir arriver plus de six personnes à la fois, car il n’aurait pas assez de verres pour tout le monde.

Abu Musaed est mieux loti qu’Abdul-Rahman Al-Awwad, un commerçant de 46 ans avec une famille de onze personnes à charge. Il ne lui reste pas un seul verre et il en est réduit à utiliser du plastique, même pour ses invités. Le manque de verres et d’autres articles en verre est l’une des pénuries principales causées par le blocus alors que la trêve dure depuis un mois. D’après l’accord passé avec Israël, celui-ci a commencé à autoriser l’entrée de marchandises à Gaza à l’exception des produits pouvant, selon les autorités israéliennes, servir à fabriquer des missiles et des explosifs.

Les quelques articles en verre qui restent en stock dans les magasins sont vendus à un prix sans rapport avec le prix d’origine et sont inabordables pour la population, vu sa situation économique. Il s’ensuit que la plupart des Gazaouis n’achètent plus de verre et se contentent de plastique.

Après plus d’un mois de trêve, il y a toujours de graves pénuries de carburant. Les quantités de carburant qu’Israël laisse entrer à Gaza restent tellement insuffisantes que le gouvernement a dû distribuer des coupons spéciaux aux taxis et aux minibus leur permettant d’acheter entre 30 et 40 litres d’essence tous les deux jours.

Un chauffeur de minibus qui fait la route entre la ville de Gaza et le centre de la Bande, dit que cette quantité suffit à peine pour un jour de travail et il est donc obligé d’acheter de l’essence introduite en fraude depuis l’Égypte, au prix du marché noir. A cause du renchérissement du carburant, les chauffeurs de taxi et de minibus ont augmenté le prix de leurs courses et chargent leurs véhicules au-delà du nombre de voyageurs légalement autorisé.

Quant aux automobilistes privés, ils ont droit à dix litres d’essence toutes les deux semaines, mais uniquement s’ils ont acquitté le montant de leur licence. Ce n’est pas le cas de la plupart des automobilistes et ils remplissent leurs réservoirs avec de l’huile de cuisine ce qui a encore exacerbé la crise à Gaza.

Le Ministère de l’intérieur de Gaza, sensible à ce problème avec l’approche du Ramadan, a interdit l’utilisation des ersatz pour les voitures. Malheureusement, c’est une directive qui a peu de chances d’être appliquée puisque les conducteurs sont acculés à l’enfreindre.

L’espoir de voir la trêve alléger les restrictions freinant l’arrivée de matériaux de construction a aussi été déçu. La quantité de ciment dont l’entrée est autorisée par Israël est bien inférieure aux besoins du bâtiment. Osama Daabsa, 49 ans, habitant Birkat Al-Wizz à l’ouest du camp de réfugiés d’Al-Maghazi au centre de la Bande, avait espéré terminer le dernier étage de la maison qu’il construit pour l’un de ses fils.

Il a dit au Weekly qu’il a dû abandonner le projet. La quantité de ciment dont Israël autorise l’entrée est non seulement insuffisante, mais sa mauvaise qualité le rend impropre à l’utilisation dans le bâtiment.

* Saleh Al-Naami est chercheur et journaliste. Ses nombreuses publications notoires sont publiées par le journal Alhayat de Londres et le Centre d’études sur le Moyen-Orient de Jordanie. Al-Naami a publié également un livre, La Presse et l’Armée en Israël, Dar Al-Shorouk, Egypte. Pour plus d’informations, consulter son site : http://www.naamy.net (en arabe).

Du même auteur :

- Les stratégies d’Israël pour saborder la paix
- Gaza : le Hamas impose le respect de la trêve
- Gaza : le calme avant la tempête ?
- Le goulag israélien

23 août 2008 - Al-Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article à : http://weekly.ahram.org.eg/2008/911...

Traduction:amg