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Gaza : Terre des maudits
mardi 15 juillet 2008 - Laïla El-Haddad
Mohammed AlMbaid
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« Tes fils à Gaza sont maudits, je suis content que mes enfants ne soient pas de Gaza ».




Il y a quelques semaines, un de mes collègues m’a envoyé une histoire que quelqu’un lui avait adressée par mel, me demandant si je pouvais la publier. C’est l’histoire racontée de première main d’un Palestinien, de son épouse et de leur famille ; hors son épouse qui est née à Gaza, tous sont nés et ont grandi en Cisjordanie. Elle raconte comment ils ont essayé de passer le Pont Allenby pour aller en Jordanie pour des vacances méritées et rendre visite à quelques parents à Amman.

Ils n’ont pas tardé à apprendre qu’être né à Gaza était une malédiction ; et, dans ce cas précis, d’avoir simplement un parent né à Gaza même si ce quelqu’un les avait rejoints en Cisjordanie.

L’an dernier, j’ai écrit un article(1) sur les quelque 50 000 Palestiniens qui vivent dans un flou juridique en Cisjordanie et à Gaza (et à l’étranger) du fait qu’un membre de leur famille ne dispose pas d’une hawia, cette carte d’identité israélienne délivrée pour pouvoir contrôler le registre de la population palestinienne. Dans mon propre cas, mon fils Yassine n’a pas encore obtenu son hawia alors que j’en ai fait la demande en 2004. Mais ce n’est rien comparé aux dizaines de milliers de Palestiniens qui attendent depuis le milieu des années 90.

De même, en maintenant son contrôle sur le registre de la population palestinienne (oui, même après le désengagement), Israël contrôle de fait les déplacements des Palestiniens, la vie des Palestiniens ; il craint ces déplacements et cette vie, et les familles qui voudraient en profiter librement.

Le Dr Mohammed AlMbaid est citoyen palestinien, il vit à Ramallah avec sa famille. Le Dr AlMbaid est expert en gestion gouvernementale et en administration publique, il est titulaire d’un doctorat en planification urbaine et régionale. Voici son histoire.

La malédiction de Gaza

Mohammed AlMbaid

« Je suis un père palestinien de trois jeunes enfants, Nahla, Yousef et Mariam. Mon épouse, Rania, est née dans la ville de Gaza et nous vivons à Ramallah, en Cisjordanie palestinienne occupée.

Le 12 juin 2008, deux de mes enfants, Nahla et Yousef, ont pleuré comme jamais auparavant, ils étaient punis pour un crime qu’ils n’avaient pas commis et contre lequel ils ne pouvaient rien : le lieu de naissance de leur mère est Gaza.

Nahla, qui a 9 ans, vient de terminer sa 4ème et Yousef, qui a fini sa première, étaient si enthousiastes : j’avais accepté de les récompenser d’avoir si bien réussi leur année scolaire. J’avais décidé de les emmener avec moi à Amman, capitale de la Jordanie, pour y passer quelques jours avec leur tante maternelle qui y vit avec son époux et ses deux jeunes enfants. Nahla et Yousef rêvaient de ce jour depuis un an. Ils avaient même prévu comment s’habiller, quels endroits ils voulaient visiter et les restaurants où ils voulaient manger, notamment un McDonalds et un KFC (Kentucky Fried Chicken).

Nous avons donc laissé Rania et Mariam, la plus jeune qui n’a pas encore 2 ans, à Ramallah. Les laisser ainsi n’était pas notre choix. Les autorités d’occupation israéliennes qui contrôlent toujours les entrées et les sorties vers et à l’intérieur des territoires palestiniens - comme presque tous les domaines de la vie palestinienne -, n’ont pas reconnu Rania, mon épouse, comme une résidente de Ramallah. Nos trois enfants, cependant, sont nés à Ramallah, la ville même où nous habitons depuis notre mariage, il y a 10 ans. Ainsi, dans un monde « normal » et même selon les règlements locaux et israéliens, nos enfants devaient obtenir automatiquement le droit de résidence à Ramallah.

Sur notre route, entre Ramallah et Jéricho - c’est là que nous traversons le Pont Allenby pour aller en Jordanie -, je reçois un appel d’un ami de Gaza. Quand je lui dis que j’emmène deux de mes enfants voir leur tante à Amman, il me fait ce commentaire : « Toi et tes enfants, vous avez de la chance, mes enfants ne pourraient pas quitter Gaza à cause du blocus, au moins vous, vous le pouvez. » Nous avons ri et j’ai fini la communication par ces mots : « Tes fils à Gaza sont maudits, je suis content que mes enfants ne soient pas de Gaza ».

Au moins, c’est ce que nous avons pensé jusqu’à ce nous arrivions au passage d’Allenby, côté israélien, entre la Jordanie et les territoires palestiniens occupés, jusqu’à ce que la soldate israélienne estampille mon passeport m’autorisant à passer, mais qu’elle refuse de laisser traverser Nahla et Yousef. Selon elle, « Pour nos ordinateurs, ils sont de Gaza ». Cela m’a choqué, pour le moins, car c’est la première fois que j’entendais cela. Comment est-ce possible ? Ce sont mes enfants, nés à Ramallah et ils y vivent depuis leur naissance. Comment peuvent-ils être enregistrés comme résidents de Gaza et pourquoi le sont-ils, cela me dépassait. J’ai essayé de discuter avec la femme de la police des frontières israélienne pour lui expliquer la situation, mais elle n’était pas très réceptive. En fait, elle n’avait aucune envie de parler avec moi et me faisait comprendre que c’était mon problème et que je devais m’en débrouiller. Comme elle me parlait avec rudesse et colère, mes deux enfants ont éclaté en sanglots craignant de ne pas être autorisés à aller à Amman. C’était leur pire cauchemar et c’est ce qui est arrivé. Nahla et Yousef ont dû rebrousser chemin et moi, je suis rentré avec eux, à 6h de l’après-midi, le pont était fermé.

Je ne savais quoi dire à mes enfants, sauf que c’était l’occupation dans son aspect le plus brutal. Alors que cette folie se déroulait, des questions me sont venues à l’esprit, que peuvent ressentir mes enfants et comment le vivent-ils, comment de tels incidents peuvent-ils affecter la perception des jeunes gens de leurs voisins israéliens ? Je me suis demandé si les autorités d’occupation israéliennes étaient bien conscientes des effets dévastateurs qu’une telle politique, discriminatoire et raciste - qu’elles appliquent en violation de toutes les conventions sur les droits humains internationaux et nationaux -, qu’une telle politique pouvait avoir sur les enfants palestiniens, sur leur psychologie, leurs perceptions d’Israël, Etat d’apartheid, de la cruauté de son armée et des actes inhumains perpétrés par ses soldats et son appareil gouvernemental tout entier.

Depuis que nos enfants sont nés, Rania et moi avons été très attentifs à leur enseigner le respect des autres et de leurs différences. Nous avons, souvent et avec persistance, expliqué la différence entre l’autorité d’occupation et le peuple juif. Nous leur avons expliqué que notre problème était simplement l’occupation, pas plus, pas moins. Pendant qu’elle observait et écoutait la discussion que j’avais avec la police des frontières, et en réalisant combien son père était impuissant, Nahla s’est serrée contre moi et m’a murmuré à l’oreille « Je hais ces gens, pourquoi ne veulent-ils pas nous laisser passer, nous n’avons rien fait de mal. » D’entendre ainsi Nahla m’a rendu furieux car je me sentais sans défense, comment pouvais-je l’expliquer ou le justifier ? Je ne pouvais pas l’expliquer. La situation était ridicule, et humaine.

Maintenant que je suis de retour à Ramallah, je me sens encore plus désarmé et démuni de ne pas pouvoir faire quoi que ce soit pour la résidence de mes enfants, ni pour celle de plus de 50 000 familles palestiniennes qui ont un ou deux parents originaires de Gaza et qui endurent les mêmes problèmes, voire pire. L’aspect le plus pénible de cette saga est que l’Autorité palestinienne ne peut rien y faire. La situation tout entière est entre les mains des autorités d’occupation israéliennes. Et rien n’indique qu’elles régleront ce problème, sauf si on fait pression sur elles pour qu’elles le fassent. Je sais que ni moi ni aucun autre Palestinien ne pouvons rien y changer. »


L’histoire de Nahla, Yousef, Mariam et Rania, et celles de plus d’un million et demi de Gaziotes vivant dans la plus grande prison du monde, la bande de Gaza, et des autres familles qui ont des parents originaires de Gaza comme la mienne, ces histoires devraient être portées à l’attention de tout être humain qui croit dans la justice, dans la liberté et dans les droits de l’homme.

Je fais appel à votre solidarité et à votre soutien pour arrêter cette folie, peut-être pourrons-nous extirper la malédiction de Gaza.
11 juillet 2008



1 -Vivre dans le flou juridique (en anglais)


Laila El-Haddad est une journaliste free-lance qui vit dans la ville de Gaza. Elle a appelé son blog Raising Yousuf en reprenant le prénom de son fils âgé de quatre ans.

Du même auteur :

- Génocide à Gaza
- Annapolis, vue de Gaza
- "Les portes closes de Gaza"
- "Voix de Gaza : où allons-nous ?"

11 juillet 2008 - blog Raising Yousuf and Noor - traduction : JPP