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Pas à pas vers l’implosion
dimanche 31 décembre 2006 - Khaled Amayreh

C’est sans aucun doute que 2006 sera considérée par les historiens comme une année parmi les plus tumultueuses dans les annales de l’histoire palestinienne.

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Manifestation armée dans la Bande de Gaza - Octobre 2006

Le 25 janvier, les élections législatives en Cisjordanie, dans la Bande de Gaza et à Jérusalem-est ont finalement pu avoir lieu après toute une série d’ajournements et retards décidés par le Fatah, principalement suite à la crainte de l’ancien leadership de ne pas être suffisamment préparé pour le scrutin.

Les élections ont été surveillées par des centaines d’observateurs étrangers, y compris l’ancien président américain Jimmy Carter, qui a témoigné du fait que ces élections étaient équitables, transparentes et démocratiques.

Les résultats des élections ont prouvé que les craintes du Fatah étaient justifiées. Le mouvement Hamas a remporté 75 sièges sur les 132 composant le Conseil Législatif Palestinien, le Fatah n’en gagnant que 47, le reste allant à quelques indépendants et à un certain nombre de petits partis d’extrême-gauche, libéraux et laïcs. Pour le Fatah, les résultats ont représenté une humiliante défaite pour un mouvement qui depuis sa création en 1965 s’est toujours considéré lui-même comme l’incarnation des espoirs des Palestiniens pour leur liberté et leur libération.

Par conséquent, le Fatah a eu beaucoup de mal à accepter les résultats, en dépit des proclamations publiques affirmant le contraire. Le Hamas a également semblé être dépassé, n’ayant presque jamais imaginé gagner autant de sièges. Ce gain important pour le Hamas a représenté un vrai défi pour ce qui est resté essentiellement un mouvement de résistance qui avait peu de contacts [avec d’autres organisations].

Après avoir gagné la confiance du peuple, le Hamas - et ceci particulièrement dans la Bande de Gaza où l’armée israélienne s’était retirée mais en gardant le contrôle des airs, des eaux et des frontières - n’a eu de cesse de faire de laborieux efforts pour obtenir du Fatah et d’autres partis palestiniens qu’ils se joignent à « un gouvernement national d’unité » dirigé par le Hamas. Le Fatah s’est engagé dans des pourparlers avec le Hamas, mais il était clair dès le début qu’il avait pris la décision de ne pas se contenter d’être un associé de second niveau dans un quelconque gouvernement.

Cette attitude consistant à boycotter le gouvernement est largement perçue comme le résultat de la pression exercée par les Etats-Unis ; le Hamas a donc été forcé de former son propre gouvernement, dirigé par Ismail Haniyeh. Le mouvement Hamas a fort justement estimé que la base principale de soutien au gouvernement derait être la Bande de Gaza, et non pas Ramallah comme c’était traditionnellement le cas, puisque les troupes israéliennes d’occupation pourraient y arrêter le premier ministre, le ministre des affaires étrangères et le ministre intérieur si ceux-ci se trouvaient en Cisjordanie.

Les calculs de Hamas ont été plus que confirmés. Dès que le gouvernement a été formé et a commencé à fonctionner, l’armée israélienne lui a déclaré la guerre, y compris en kidnappant les députés nouvellement élus du mouvement islamique, pillant les bureaux du Hamas puis saisissant comme otages des figures politiques centrales du nouveau gouvernement, dont Aziz Duwaik, le porte-parole considéré comme modéré du parlement palestinien, le ministre Nasseruddin Al-Shaer, ainsi que neuf autres ministres et 30 autres députés basés en Cisjordanie. L’essentiel de ces responsables demeurent pris comme otages en Israël, la plupart du temps sans accusation ni procès.

Israël a également cessé de transférer à l’Autorité Palestinienne les $55 millions estimés qu’il prélève chaque mois sur les importations palestiniennes destinées à la Cisjordanie et à la Bande de Gaza et qui transitent par les ports maritimes israéliens, privant de ce fait le gouvernement palestinien de presque 40% de ses revenus financiers.

En outre, Israël, utilisant son immense influence dans le monde occidental, a fait pression sur les Etats-Unis et l’Union Européenne pour imposer un blocus financier sévère et illimité contre l’Autorité palestinienne. Les Etats-Unis et l’Union Européenne ont non seulement restreint toutes les formes d’aide financière directe et indirecte au nouveau gouvernement mais ont également menacé de mettre sur liste noire toute banque, y compris les banques palestiniennes, impliquée dans des rapport financiers avec le gouvernement palestinien.

Ce blocus tout à fait hermétique, associé à une guerre psychologique contre le Hamas, a empêché le gouvernement d’assurer les salaires de ses 165 000 fonctionnaires et employés publics, dont font partie plus de 60 000 officiers et policiers des services de sécurité, ceux-ci étant généralement fidèles au Fatah. En faisant la guerre contre le gouvernement dirigé par le Hamas, Israël a appliqué efficacement une punition collective sur presque quatre millions de Palestiniens de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, mettant des dizaines de milliers de familles palestiniennes à deux doigts de la famine.

Faisant face à ce siège, le gouvernement conduit par le Hamas a eu recours à des mesures d’austérité, y compris des coupes budgétaires dans les dépences publiques, afin d’économiser autant d’argent que possible pour assurer les salaires des fonctionnaires. Il était cependant clair dès le début que même les mesures d’austérité les plus efficaces ne suffiraient pas pour résoudre le problème. Par la suite, des responsables du gouvernement ainsi que des ministres ont été envoyés à la recherche de capitaux dans les pays arabes et musulmans sympathisants où ils ont réussi à obtenir quelques fonds.

La ligue arabe a également assigné une somme mensuelle de 55 millions de dollars pour alléger la souffrance des Palestiniens, mais le paiement n’a pas été assuré de façon régulière.

Introduire des sommes d’argent liquide dans les Territoires Occupés a été difficile. Les banques locales et régionales craignant les sanctions américaines refusaient de transférer les fonds de soutien en provenance des pays arabes et islamiques en direction des territoires sous occupation ; des responsables gouvernementaux ont été forcés de recourir à des moyens rudimentaires et désespérés pour transférer de l’argent, principalement en portant des millions dollars dans des valises et les emmenant dans Gaza par l’intermédiaire du passage frontalier de Rafah. On estime que quelques 70 millions de dollars ont été introduits dans Gaza de cette manière.

N’ayant pas réussi à faire tomber le gouvernement du Hamas par des sanctions financières, Israël a par la suite eu recours à des attaques et des incursions meurtrières dans la bande de Gaza, assassinant ou mutilant des centaines de civils palestiniens.

En effet, les attaques israéliennes ont connu un niveau de violence dépassant celui atteint depuis beaucoup d’années, exterminant des familles palestiniennes entières, bombardant leurs maisons au milieu de la nuit ou en les tuant même lors d’un pique-nique sur la plage de Gaza comme cela est survenu à la famille de Ghalya.

Ces massacres épouvantables à l’encontre des civils palestiniens ont contribué à l’accentuation de la résistance palestinienne, y compris par l’envoi de fusées Qassam artisanales sur des colonies juives voisines. Tandis que ces « fusées » infligeaient peu de dégâts du côté israélien, elles ont causé beaucoup d’inquiétude et de panique parmi les colons juifs qui ont constamment pressé leur gouvernement « de détruire Gaza ».

Le 25 juin, les combattants de la résistance palestinienne ont effectué une incursion audacieuse contre les installations militaires israéliennes près de Rafah, tuant deux soldats israéliens et capturant l’un d’eux. L’opération a mis en colère le gouvernement israélien, qui l’a considérée comme « violant les règles du jeu », menaçant alors de lancer une guerre ouverte contre Gaza de façon à contraindre les Palestiniens à libérer le soldat capturé.

Les menaces ont été mises à exécution immédiatement, les avions de guerre israéliens bombardant des universités, des écoles, des rues et des bâtiments gouvernementaux à travers la Bande de Gaza, et bombardant aussi l’unique centrale électrique de Gaza. Comme d’habitude, les Etats-Unis ont soutenu Israël, critiquant les Palestiniens pour avoir provoqué l’état sioniste.

L’offensive a duré plusieurs semaines et a été seulement stoppée temporairement au moment où l’armée israélienne a lancé une autre guerre au nord contre le Hizbullah.

La campagne militaire contre Gaza a fait plus de 500 morts et des milliers de Palestiniens blessés et mutilés. Israël a perdu deux soldats. Le soldat israélien fait prisonnier n’a pas été libéré et les tirs de fusées Qassam n’ont pas été interrompus.

Par la suite, l’armée israélienne a décidé de faire une profonded incursion au nord de Gaza, tuant de nombreux Palestiniens, la plupart du temps des civils. À un moment donné l’armée israélienne a tiré des obus d’artillerie lourde sur des maisons d’habitation dans la ville de Beit Hanoun au nord de Gaza, massacrant 18 femmes et enfants dans leur sommeil. Israël a prétendu avoir fait une erreur, mais les Palestiniens et les groupes de Droits de l’Homme accusent les israéliens de mensonge, disant qu’Israël, comme tout un chacun, sait bien que bombarder des zones résidentielles finirait par un épouvantable massacre.

La Ligue Arabe s’est adressée au Conseil de Sécurité des Nations Unies pour déposer une plainte, mais les Etats-Unis, fidèle allié d’Israël, ont employé leur droit de veto pour empêcher l’adoption d’une résolution condamnant le crime israélien.

Après le massacre du 18 novembre à Beit Hanoun, des efforts régionaux et internationaux pour obtenir un cessez-le-feu ont porté leurs fruits lorsqu’Israël et les organisations de la résistance palestiniennes ont convenu de fait d’un cessez-le-feu. Israël a cependant refusé d’étendre le cessez-le-feu à la Cisjordanie, assassinant presque quotidiennement des civils et des militants palestiniens, toujours sous le prétexte de combattre le terrorisme.

Cette attitude éhontée a paru trop provocatrice aux organisations de la résistance palestinienne qui ont exigé que le cessez-le-feu soit complet. La pièce était jouée d’avance car le Jihad Islamique a tiré des fusées en direction de la colonie israélienne de Sderot près de la Bande de Gaza. Les tirs sont cependant intervenus deux jours après qu’Israël ait massacré trois Palestiniens : une écolière marchant près du mur de séparation près de Jéniné et deux militants du Jihad Islamiques au nord de la Cisjordanie.

L’indéniable agression israélienne a semblé avoir convaincu le Hamas et le Fatah de travailler dans le sens d’un gouvernement d’unité nationale, conformément au document d’entente nationale basé sur le document des prisonniers rédigé au début de l’été par les dirigeants politiques palestiniens dans les prisons israéliennes. Cependant, les différences de points de vue sur qui occuperait quel poste ont par la suite fait échouer les discussions, incitant le Fatah à accuser le Hamas d’en rester à des positions trop rigides.

En décembre, le Premier Ministre Palestinien Ismaïl Haniyeh s’est mis en route pour un tour diplomatique important dans les pays arabes et musulmans à travers le Moyen-Orient ; ce voyage qui l’a amené en Egypte, en Syrie, au Qatar, au Bahrain, en Iran et au Soudan avait pour but de trouver une aide financière et politique.

La tournée diplomatique a été un succès qui va au delà de tous les espoirs puisque le Premier Ministre Palestinien a réussi à obtenir des engagements du Qatar et de l’Iran représentant au totat des centaines de millions de dollars. Ceci comprend une promesse de l’émir du Qatar de prendre en charge les salaires d’environ 40 000 professeurs palestiniens durant six mois. Une promesse équivalente venant d’Iran devrait couvrir les salaires de dizaines de milliers de fonctionnaires palestiniens.

Le succès retentissant de cette tournée diplomatique n’a pas été bien reçu par les Etats-Unis, Israël et le Fatah. Tandis qu’Haniyeh était au Soudan, la violence a éclaté dans Gaza, et quand Haniyeh lui-même est arrivé au poste-frontière de Rafah , il a été interdit de passage par les israéliens et est resté pendant 8 heures du côté égyptien (selon les américains, Israël a agit ainsi sur instigation du Président palestinien Mahmoud Abbas).
Cette humiliation a été prétendument imposée afin d’empêcher la « contrebande » de quelques 35 millions de dollars transportés dans des valises accompagnant Ismaïl Haniyeh. Par la suite celui-ci a pu rentrer dans Gaza, mais sans les fonds.

L’histoire ne s’est pas arrêtée là. Pendant que Haniyeh rentrait à Gaza, des hommes armés et non identifiés (le Hamas disant qu’ils s’agit d’hommes du Fatah affiliés à Mohamed Dahlan, l’homme fort pro-Américain de Gaza) ont ouvert le feu sur le cortège de voitures de Haniyeh, tuant un de ses gardes du corps et blessant légèrement son fils ainsi que son conseiller, Ahmed Yousuf. La « tentative d’assassinat » a mis en colère Haniyeh qui a promis « de traiter comme il se doit » ceux qui ont tenté de le tuer.

Le vendredi 15 décembre, Haniyeh a réclamé l’unité nationale, disant à plus que 100 000 de ses partisans dans Gaza que les Palestiniens doivent s’unir face à Israël et ne pas se combattre les uns les autres.

Au même moment les policiers du Fatah, mal contrôlés et endoctrinés contre le Hamas, ont chargé un rassemblement pacifique du Hamas dans les rues de Ramallah, blessant plus de 30 de personnes dont trois jeunes garçons gravement.

Le jour suivant, le samedi 16 décembre, le Président Abbas a fait un discours devant des dirigeants du Fatah et depuis Ramallah au cours duquel il a demandé des élections présidentielles et législatives anticipées. Abbas a critiqué et voulu ridiculiser le Hamas, imputant au gouvernement la responsabilité du blocus, long de huit mois, le tenant en même temps responsable de l’affaiblissement de la cause palestinienne au niveau international.

L’appel, anticonstitutionnel au regard de la loi fondamentale palestinienne, a été rejeté par les dirigeants du Hamas qui accusent Abbas de suivre un ordre du jour établi par les Etats-Unis et opposé aux intérêts du peuple de Palestine. Les accusations et contre-accusations ont par la suite eu un écho dans les rues dans Gaza sous forme de coups de feu entre les milices du Fatah et celles du Hamas, faisant au moins 18 morts des deux côtés dont des civils.

Après beaucoup d’efforts, les médiateurs égyptiens pouvaient le 19 décembre mettre un terme au combat entre les deux groupes. Au moment où cet article est rédigé, le cessez-le-feu bien que fragile était respecté. Cependant la crainte est, à moins que le Fatah et le Hamas ne trouvent tôt ou tard un terrain d’entente sur le plan politique, que la violence et les affrontements meurtriers ne dégénérent en une guerre interne à plus grande échelle.

29 décembre 2006 - Al Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2006/826...
Traduction : Claude Zurbach