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La fin de Suha, Lina et Nahed
lundi 10 mars 2008 - Juan Miguel Muñoz - El Païs
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Photo Juan Miguel Muñoz

Quelques femmes entrent et sortent paniquées des refuges dans quelues villes palestiniennes. Ce sont des maisons qui ne retiennent pas l’attention et qu’on n’a jamais voulu connaître. Mais elles y passent des jours, des semaines ou des mois. Seule une poignée de féministes connaît l’identité de ces femmes qui craignent que leur destin ne soit déjà écrit : mourir aux mains d’un parent. Elles courent un danger certain. Elles peuvent finir comme leurs soeurs Nahed, Suha et Lina.

Leurs visages défigurés à coups de couteau, et égorgées, les cadavres de Nahed, Suha et Lina (qui avaient entre 16 et 22 ans) furent enterrés par quelques hommes au cimetière de Deir Elbalah le 21 juillet. Quelqu’un les a vus, et la police exhuma les corps pour les transporter à l’hôpital Shifa de la ville de Gaza.

A Kalkilia (Cisjordanie), le 25 octobre, les agents ont trouvé deux femmes mortes chez elles et une troisième dans une décharge. Personne n’a douté qu’elles avaient souffert des effets d’une tradition aussi archaïque que brutale : les crimes d’honneur. La famille est un pilier de base dans les pays arabes, et cette réputation dépend en grande partie de la respectabilité de ses femmes. Les relations sexuelles avant le mariage ou l’adultère sont souvent punis avec une extrême cruauté. Parfois un soupçon suffit. Il est clair que ce sont souvent elles qui cassent cette norme d’une société patriarcale qui ne fait rien pour stopper ces excès.

Un petit groupe de personnes s’efforce, à contre courant, à dénoncer de telles atrocités. Raji Sourani, président du Centre palestinien des droits de l’homme, et son assistante, Mona Shawa, font partie de ceux qui combattent ce fléau. Les autres s’enferment dans le silence, bien que tous s’accordent sur les causes. « La loi en vigueur punit le crime d’honneur d’un maximum de 2 ans de prison. Il y a parfois des dénonciations mais habituellement les hommes avouent. Ils sont orgueilleux. Le prix à payer est supportable », signale Sourani.

Les coutumes conservatrices se sont enracinées progressivement dans la société palestinienne depuis une trentaine d’années. « Quand on demande aux femmes si elles seraient prêtes à dénoncer les mauvais traitements, elles refusent parce que leur comportement est dicté par la peur. De plus, elles disent qu’il n’est pas convenable pour elles de se présenter devant la police ou devant les tribunaux », déplore Shawa. Aussi la progression de l’islamisation de la Cisjordanie et de Gaza est imparable, bien que tous pointent que les crimes d’honneur ne sont pas compatibles avec la pratique religieuse. « Regardez, j’appartiens à un parti marxiste, le Front populaire pour la libération de la Palestine, et je dis que ces assassinats n’ont rien à voir avec l’Islam. En plus, les auteurs de ces crimes sont rarement des personnes religieuses. C’est une question culturelle qui affecte toutes les couches de la société », explique le laïc Sourani.

« Les crimes, ajoute Shawa, sont en rapport avec une culture qui lie l’honneur et la femme. On a vu des cas où la mère a ordonné la mort de sa fille, et paye parfois quelqu’un de familier pour l’assassiner pour laver l’honneur... ».

Dans les rues de Gaza on peut voir des mannequins avec des mini-jupes, mais les femmes n’osent pas et ne veulent pas en porter dans les lieux publics. Elles les mettent uniquement pour les yeux de leurs époux, comme la lingerie suggestive exposée en vitrines. Une jeune-fille qui se rendait récemment à un mariage a dû se changer à la dernière minute parce que son frère lui a interdit de porter le vêtement qu’elle avait choisi : un tailleur avec pantalon.

AbdelKarim est le mufti (l’imam) de Gaza, l’autorité religieuse sur laquelle comptent les hommes et les femmes pour résoudre leurs conflits commerciaux ou recevoir un conseil d’ordre spirituel ou pratique.

Dans sa mosquée du centre de Gaza, il explique les cas pour lesquels la peine de mort devrait être exécutée. Parmi eux, l’adultère. « Pour le certifier, il faut que 4 hommes soient les témoins directs de l’acte sexuel, ce qui n’est jamais arrivé, ou la confession de l’accusée ». Et se dépêchant de préciser : « Mais aussi si c’est un homme qui commet l’adultère. Et bien sûr, ce doit être un juge qui dicte la sentence. La loi et les réductions de peine encouragent ces délits ».

Les statistiques ne sont pas fiables. En 2005, il y avait un décompte de 5 crimes d’honneur, en 2006 ils s’élevèrent à 12, et à cette époque de l’année nous en sommes déjà à 13 à Gaza et 11 en Cisjordanie. Parce que dans ce courant de révolte enfermé dans la loi du silence la plus hermétique, ceux qui essaient de profiter de la législation ne manquent pas. « Il y a des cas, ajoute Shawa, où les rapports médicaux affirment que les victimes étaient vierges. D’autres assassinats obéissent à des mobiles bien différents, mais les accusés avancent qu’il s’agit d’un crime d’honneur pour bénéficier de peines plus courtes. La société l’accepte. On arrivera à affaiblir cette coutume uniquement avec une éducation et avec des condamnations beaucoup plus sévères ».

Pendant ce temps, quelques dizaines de femmes n’ont d’autre choix que de vivre dans la clandestinité, conscientes qu’elles sont complètement abandonnées. Les crimes d’honneur risquent de mettre beaucoup de temps à disparaître. Zoraida Abed Husein travaille dans le Centre d’information légale et sociale pour les femmes, à Ramallah et connaît les refuges de Belen et de Naplouse.

Les féministes envisagent d’en ouvrir un de plus à Jericho. « Je le regrette, mais il n’est pas possible d’aller les voir. Ni même de parler avec les femmes concernées tellement elles craignent d’être découvertes. Parfois elles arrivent dans ces refuges avec leurs enfants, mais elles se cachent aussi chez des amies » commente t-elle, accablée par le désintérêt total des dirigeants politiques. « Nous avons posé la question à l’Autorité nationale palestinienne, affirme t-elle, mais ce n’est pas un sujet qui les préoccupe. Tout ce qui les intéresse est le conflit contre les Israéliens ».

A Gaza c’est pire. Elles ne disposent même pas d’un lieu pour se cacher. « La bande de Gaza est minuscule, tout le monde connaît les cachettes et n’importe qui peut aller les tuer », soutient Shawa.

Les rares féministes actives regrettent les dix dernières années, quand Yasser Arafat a mis en place l’Autorité palestinienne, en 1994, et que les institutions commencèrent progressivement à remplir leur fonction. « Il régnait un certain ordre, les policiers et les juges pouvaient travailler. Et nous pouvions parler tranquillement. Nous avions semé une graine. Mais depuis l’invasion israélienne dans les territoires occupés (en 2002) les institutions se sont effondrées, l’ambiance était à la violence et la graine a été étouffée. L’occupation contribue à renforcer les aspects les plus négatifs de la culture machiste. Il est aujourd’hui très difficile de hausser la voix », note la féministe de Ramallah.

Les effets de cette fuite en avant perdureront, parce que le mur de béton qui sépare la Cisjordanie d’Israël est aussi nuisible à la lutte pour l’égalité des sexes en Palestine. « Du temps d’Arafat, conclut l’activiste Abed Husein, le nombre de collégiennes et de collégiens était égal. A l’Université le nombre de femmes était même légèrement supérieur. Beaucoup de femmes me disent que maintenant elles envoient uniquement leurs garçons au collège. Elles ont peur que les petites traversent le mur ».

Du même auteur :

- La guérilla souterraine du Hamas
- La paix se heurte à la dégringolade économique en Palestine
- Les Egyptiens et les Palestiniens réinstallent la frontière
- Le Hamas a réussi à envenimer les relations entre l’Egypte et Israël

18 novembre 2007 - El Païs - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction de l’espagnol : C.B