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L’art des femmes palestiniennes enfin vu de l’intérieur
mercredi 2 janvier 2008 - Marie Medina - BabelMed
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Reem Fadda

L’organisation Al Hoash ouvre en effet sa série de publications avec un volume consacré à la création au féminin. "Artistes palestiniennes. La terre = le corps = la narration" (*) est d’ores et déjà un ouvrage de référence.

Les livres précédents, signés par des Israéliens et d’autres étrangers, n’étaient en effet pas aussi complets. Pour cet ouvrage, Reem Fadda, éditrice et conservatrice, a survolé un siècle de création et elle a sélectionné 42 artistes travaillant dans les Territoires occupés ou en exil.

Certaines, comme Mona Hatoum ou Emily Jacir, jouissent d’une reconnaissance internationale, tandis que d’autres font partie de la toute jeune génération. Chacune est présentée sur quatre pages, par une biographie succincte et des reproductions de ses tableaux, sculptures, photographies, vidéos ou installations. Le tout est accompagné d’un essai trilingue (arabe, anglais, espagnol) sur la création au féminin, qui recourt essentiellement à trois langages : la terre, le corps et la narration - pour en reprendre le titre.

Alors que leurs homologues masculins ont longtemps employé une icône féminine pour personnifier la mère patrie, les artistes palestiniennes ont, elles, toujours été plus directes. Elles ont représenté les paysages tant aimés, parfois perdus, à l’instar de Sophie Halaby (1906-1998) qui a peint dans ses aquarelles les collines rugueuses et les olivaies de Palestine. Pour exprimer leur attachement à ce pays, les femmes ont été les premières à incorporer de la terre et d’autres éléments naturels dans leurs oeuvres : des citrons, du pain, ou encore du cactus, qui symbolise la persévérance du peuple palestinien.

Ainsi, Rana Bishara (née en 1971) a cousu entre eux des bouts de cactus séchés pour "Qui achète la feuille de route pour la paix en Palestine". Son installation de 2005 évoque à la fois la recherche d’une patience qui s’étiole et le raccommodage d’un territoire fragmenté.

Faten Nastas (née en 1975) a pour sa part fabriqué des cartes postales à base de papier d’olive, y incluant des boutons de fleur, des feuilles d’arbre et des morceaux de laissez-passer israéliens. L’assemblage forme un mur végétal intitulé "Comme les fleurs des amandiers et au-delà" (2006), une fine barrière qui peut diviser l’espace d’une galerie d’art. La vidéo n’est pas non plus exempte de références maraîchères.

Dans "La grenade" (2005), Jumana Emil Abboud (née en 1971) tente de replacer les graines du fruit dans sa gangue vide ; le geste obsessif presse un jus qui ensanglante ses doigts.

Vera Tamari (née en 1945) a, elle, pressé ses doigts sur de petits arbres d’argile pour en figurer le feuillage. Surmontées de la photographie d’un olivier, ses dizaines de céramiques miniatures aux tons pastel (bleu, vert, jaune, mauve) racontent l’"Histoire d’un arbre" (1999). Les langages de la terre et du corps s’entremêlent donc dans cette installation où la glaise garde les empreintes digitales de l’auteure.

Le corps occupe la place centrale de nombreuses autres oeuvres.
Comme la figure maternelle de la Palestine s’est dissoute après la première Intifada, il ne s’agit plus d’un symbole, mais d’un corps bien réel, celui de l’artiste le plus souvent. Ce sont les Palestiniennes vivant dans des exils lointains qui ont ouvert la voie de ces expériences incarnées car l’usage du corps féminin dans l’art est mieux accepté en Europe et en Amérique du Nord.

La plus célèbre d’entre elles est sans doute Mona Hatoum (née en 1952), qui réside à Londres. Elle a donné plusieurs performances marquantes dans les années 1980. Pour "Under Siege" (1982), son corps nu était enfermé pendant sept heures dans un caisson transparent rempli de boue, tandis que des radios diffusaient des flashes sur des états de siège. L’année suivante, pour "La Table des négociations", elle était couverte d’entrailles et emballée dans un sac plastique ; ligotée, bâillonnée, elle restait allongée, immobile, sur une table entourée de deux chaises vides pendant qu’une bande sonore donnait les dernières informations sur la guerre du Liban.

Par la suite, beaucoup d’autres artistes palestiniennes se sont mises en scène, notamment pour traiter de la condition féminine. Par exemple, Raeda Sa’adeh (née en 1977) a posé couverte de "Bijoux" sur un cliché de 2003 où le bandeau argenté qui ornait ses cheveux était en fait une lourde chaîne. Ce joug faisait allusion à la dot qui, censée augmenter la valeur d’une épouse, en réalité l’asservit.

De son côté, Inass Hamad Yassin (née en 1973) s’est photographiée avec et sans foulard islamique. Son diptyque "Miroir" (2004) montrait une femme voilée à l’air sombre et une femme non voilée, plus détendue. L’artiste évoquait ainsi sa décision personnelle d’abandonner le hidjab.

Pour sa part, Anisa Ashkar (née en 1979) a inversé les rôles masculin/féminin dans plusieurs performances. Elle a aussi fait son autoportrait en "Champion (Muhamad Ali)" (2004). Derrière ses poings rouges, elle lançait un regard de défi, droit dans l’objectif.

L’incarnation permet aux artistes de raconter leur histoire personnelle. Mais bien vite, elles vont chercher d’autres expériences à relater ; elles vont utiliser les témoignages d’autres personnes pour traduire un vécu collectif. Et la narration va devenir leur principale préoccupation. Le récit va alimenter la production visuelle.

Emily Jacir (née en 1970) a réalisé un travail particulièrement touchant entre 2001 et 2003. Détentrice d’un passeport américain, qui lui assurait une liberté de mouvement en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, elle a demandé à une trentaine de personnes : "Si je pouvais faire quelque chose pour vous, n’importe où en Palestine, qu’est-ce que ce serait ?" Un habitant de Ramallah a voulu qu’elle aille à Gaza pour embrasser sur les deux joues sa mère qu’il n’avait pas vue depuis quatre ans. Un étudiant de BirZeit a souhaité qu’elle lui rapporte une photo de sa famille à Beit Lahia, "surtout des enfants de (son) frère". Un habitant de Bethléem l’a priée de fleurir la tombe de sa mère à Jérusalem.
Les requêtes, très basiques, sont encadrées de noir pour souligner à quel point les déplacements des Palestiniens sont entravés. En revanche, les clichés immortalisant l’instant où le souhait est exaucé sont affichés sans bordure - libres. L’ensemble, constitué de 30 textes, 32 photos et une vidéo, forme une oeuvre émouvante, intitulée "D’où nous venons".

Autre atteinte à la liberté de circulation des Palestiniens : la destruction de leurs autos lors des incursions de l’armée israélienne. C’est ce qu’évoquait en 2002 l’installation de Vera Tamari, "Un tour en voiture ?" (Going for a Ride ?). Des véhicules écrasés par des chars étaient disposés sur une route qui ne menait nulle part tandis que des autoradios diffusaient des histoires de saccages.

Rula Halawani (née en 1964) a photographié une scène familière des milliers de Palestiniens qui passent chaque jour par un checkpoint. Les clichés noir et blanc d’"Intimité" (2004) montrent des mains qui se rapprochent : ce sont celles des Cisjordaniens qui donnent leurs papiers d’identité et celles des soldats israéliens qui les contrôlent. La multiplication de cette scène, et l’ironie du titre, montrent l’absurdité de ce rite, l’un des rares contacts entre les deux peuples.

Sandi Hilal (née en 1973) a adopté une approche plus documentaire. Avec Alessandro Petti, elle a représenté à la Biennale de Venise de 2003 une "Nation sans Etat" en disséminant dans les autres pavillons nationaux des agrandissements géants de passeports et de laissez-passer palestiniens. Et depuis 2006, elle archive en vidéo les "Pratiques transfrontalières" des Palestiniens. Ces derniers enjambent le mur ou empruntent des chemins de terre pour contourner l’appareil de contrôle militaire israélien. Ils tentent de continuer à vivre normalement et de résister ainsi d’une certaine manière à l’occupation.

En s’enracinant dans la terre, en prenant corps, puis en racontant une diversité de vécus, l’art des femmes palestiniennes donne la parole à tout un peuple. D’après l’éditrice Reem Fadda, "il est temps de raconter l’histoire palestinienne et cette histoire a trouvé un public". Gageons que ce livre aussi.




(*) - Le livre "Artistas Palestinas. La tierra = el cuerpo = la narrativa" (Palestinian Women Artists. The land = the body = the narrative) a été publié par Al-Hoash, Palestinian Art Court, avec le soutien de la Fondation des Trois Cultures à Séville et du consulat général d’Espagne à Jérusalem.

On peut se le procurer sur http://www.palestineonlinestore.com et sur http://www.alhoashgallery.org.

2 janvier 2008 - BabelMed