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Pourquoi les Palestiniens manifestent contre Annapolis
mercredi 19 décembre 2007 - Samah Jabr

Alors que le 27 novembre les dirigeants du monde se réunissaient à Annapolis, les Palestiniens, eux, manifestaient contre cette conférence. Non pas que ces manifestants ne veulent pas de paix, assurément ils ne recherchent ni mort ni destruction.

Ils veulent juste une paix qui affirme une humanité que nous avons en commun avec l’occupant et qui apporte la liberté et la dignité, non la capitulation, la ségrégation et des guerres sans fin.

Les manifestations en Cisjordanie et à Gaza, organisées par un large éventail de groupes politiques et sociaux palestiniens, sont une marque de la crainte que la conférence ne prépare le terrain pour des décisions que le peuple palestinien ne peut accepter, et n’acceptera pas.

Les tentatives de l’Autorité palestinienne d’interdire toute manifestation et son usage par la suite de la matraque et des balles contre les manifestants pacifiques ne font qu’exprimer sa faiblesse et son manque d’assurance. Sa police a tué Hisham Al Baradei, 36 ans, de Hébron, elle a brisé un bras à un journaliste d’Al Jazeera, arrêté des centaines de Palestiniens et en a blessé des dizaines d’autres. Alors que la direction tendait une main à Annapolis, elle se servait de l’autre, armée, contre son propre peuple, chez elle. Pas étonnant que cette direction inspire un tel mécontentement.

Ceux qui se sont opposés à Annapolis voyaient en cette conférence un carnaval visant à apaiser l’opinion politique mondiale et, en même temps, à faire avaler aux Palestiniens de nouveaux mensonges.

Evidemment, Israël n’a pris aucune décision stratégique pour faire la paix avec les Palestiniens. En revanche, il exige d’être reconnu comme un Etat exclusivement juif, ce qui le laverait du crime de la Nakba et légitimerait sa discrimination contre les citoyens arabes, musulmans et chrétiens, d’Israël. Israël exige des négociations bilatérales pour pouvoir soudoyer, intimider et faire chanter l’Autorité palestinienne et l’amener à plus de concessions.

Juste avant Annapolis, la Knesset a voté un projet de loi s’opposant à tout accord qui pourrait diviser Jérusalem. Par ailleurs, le Premier ministre Ehud Olmert a déclaré que la restitution de la terre saisie par Israël en 1967 n’impliquait pas pour autant un retrait total des territoires occupés.

D’après les déclarations ambiguës qui sont ressorties d’Annapolis, les deux parties vont engager des négociations pour aller à un traité « résolvant toutes les questions en suspens, y compris toutes les questions clé, sans exception. » Mais aucune de ces questions n’est précisée. Etant donné le passé d’Israël avec ses interprétations partiales et tortueuses des résolutions internationales, le vol et le meurtre pourraient bien être considérés par lui comme compatibles avec le processus de paix - et réalisés avec la bénédiction de l’Occident et l’aide de l’autorité palestinienne.

« La mise en ?uvre du futur traité de paix sera soumise à celle de la Feuille de route, telle que prévue par les Etats-Unis » affirme la déclaration. Voilà pour la primauté du droit international et des droits humains comme base de toute résolution future, et pour l’implication des autres membres du Quartet : Russie, Union européenne et Nations unies. Et on donne à un médiateur malhonnête, aux ambitions de prédateur dans la région, le droit exclusif de décider si les dispositions de la Feuille de route étaient respectées !

La déclaration d’Annapolis ne fait que confirmer la tendance de Washington à ne jamais demander ce qu’Israël pourrait trouver inacceptable, tout en exigeant, comme condition préalable à tout accord, que l’Autorité palestinienne écrase toute résistance à l’occupation militaire israélienne. Ceci rend la liberté de tous les Palestiniens, sans exception, tributaire de la garantie de la sécurité pour tous les Israéliens, sans exception.

Tout en réaffirmant la solution légendaire de deux Etats, l’administration Bush ne permet à l’Etat palestinien que de manger les restes de l’Etat israélien, de boire ses eaux usées et de respirer son haleine.

Quand, dans son allocution d’ouverture, le président George W. Bush déclare qu’Israël est la patrie du peuple juif, il rejette toutes prétentions des Palestiniens au droit au retour tel que stipulé dans les différentes résolutions des Nations unies. Quand il ajoute : « une bataille est en cours pour l’avenir du Moyen-Orient et nous ne pouvons laisser la victoire aux extrémistes », il lance alors un appel à la guerre, pas à la paix.

La délégation palestinienne à Annapolis n’avait pas mandat pour négocier au nom des Palestiniens, composée comme elle était de gens virés du pouvoir il y a près de deux ans, aux élections parlementaires de janvier 2006. Avec l’accord des Israéliens, le président Mahmoud Abbas a déployé des centaines de policiers supplémentaires sur Naplouse dans le cadre d’une campagne pour la « sécurité ». Il a fait fermer des dizaines d’ ?uvres de bienfaisance, il a fait tirer sur des prédicateurs, arrêter des centaines de militants de l’opposition. Peu avant la conférence d’Annapolis, il a publiquement demandé que soit renversé le gouvernement élu du Hamas à Gaza. Ce que les Etats-Unis et Israël recherchaient à la conférence n’était rien de moins qu’une Autorité palestinienne qui prenne des mesures de répression contre la résistance armée et contre tout Palestinien qui refuse l’abandon de ses droits. Espérons qu’Abbas ne prenne pas la décision de rentrer à Gaza sur un char d’assaut israélien.

La délégation palestinienne n’a posé aucune condition pour négocier avec Israël, alors qu’elle met des préalables ridicules pour rencontrer le Hamas, sans prendre la peine de consulter les autres partis d’opposition.

A la conférence, Olmert a promis d’engager des négociations assidues avec les Palestiniens en vue d’arriver à un accord avant fin 2008 ; dès le lendemain, les médias ont publié des déclarations de source israélienne selon lesquelles « on ne pourra arriver à accord en 2008 ». Dans le même temps, une dizaine de membres du Hamas étaient assassinés lors d’un raid israélien sur Gaza, des milliers de soldats israéliens et des dizaines de chars d’assaut prenaient position sur la frontière avec Gaza, prêts à l’envahir, et la plus haute juridiction d’Israël validait une décision du gouvernement visant à réduire la fourniture de carburant à la bande de Gaza. A quel point il est décevant de voir les pays arabes parvenir un consensus pour se réunir avec Israël, mais pas pour faire cesser le siège de Gaza.

Mais ce n’est pas seulement à cause de ses fausses promesses qu’Annapolis ne marchera pas.

Les discours à Annapolis ont supposé à tort qu’il existait une parité entre Palestiniens et Israéliens, en termes de pouvoir aussi bien que de revendications morales. Le Premier ministre israélien a parlé de la souffrance des Israéliens, alors que c’est Israël la force occupante ; nous avons aussi entendu le nom des trois soldats israéliens prisonniers des Palestiniens et des Libanais, mais pas celui d’un seul prisonnier palestinien, ni des membres kidnappés de notre parlement. Aucun murmure même à propos de la vie des Palestiniens à l’intérieur de la Ligne verte, du droit au retour, du siège criminel de Gaza, ni du mur d’apartheid d’Israël.

Pour le Palestinien moyen, la dignité est une question plus importante que celle d’un morceau de sa terre. Aucune solution n’est possible sans qu’Israël ne reconnaisse sa responsabilité historique et morale sur toutes les souffrances qu’il nous a infligées.

Deux jours après la conférence tombait le 60è anniversaire de la partition de la Palestine par la résolution 181 des Nations unies, votée par l’Assemblée générale (et donc non contraignante) le 29 novembre 1947. Il y a 60 ans, les Palestiniens refusaient d’admettre cette partition inique qui donnait 56% de la Palestine à un nouvel Etat pour les Juifs - lequel à l’époque comprenait 200 000 personnes de nationalité palestinienne et 400 000 immigrants - et 42% à l’Etat arabe avec 1,3 million Palestiniens. La résolution déclarait également Jérusalem ville ouverte internationale, avec les 2% restant. Pourquoi l’accepteraient-ils aujourd’hui ?

Qui ne dit mot consent, alors les Palestiniens sont descendus dans la rue, malgré l’interdiction du gouvernement de Ramallah. C’est aussi pourquoi, malgré l’épreuve d’une oppression ininterrompue, nous continuons de soutenir le combat palestinien contre l’occupation israélienne. Notre liberté, dans notre patrie, est notre droit inaliénable, et une obligation, il le fut pour tous ceux qui sont passés avant nous et il le sera pour tous ceux qui viendront après nous. Nous ne pouvons faire moins que négocier pour assurer nos droit, mais pas pour les abandonner, petit à petit.


Samah Jabr est psychiatre dans la banlieue de Jérusalem et enseigne à l’université de Birzeit.

Du même auteur :

- "La nostalgie des pères disparus" - 20 septembre 2007.

- "Palestine : le temps de la crainte et de l’obscurité" - 14 septembre 2007 - The Palestine Times.

Reçu de l’auteur le 17 décembre - cet article paraîtra dans sa version anglaise dans le Washington Report - rubrique Moyen-Orient - de décembre 2007/janvier 2008. - Traduction de l’anglais : JPP