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Une bombe frappe Israël
samedi 15 décembre 2007 - Marwan Bishara

Depuis la publication des conclusions du NIE (National Intelligence Estimate - évaluation nationale de renseignement) sur le programme nucléaire iranien, les officiels et généraux américains ont assuré Israël que l’Iran restait une menace stratégique.

Au lieu de se sentir soulagé par le consensus écrasant entre les organisations américaines de renseignements qui revoient à la baisse le danger nucléaire iranien, Israël est comme frappé par une bombe.

Le gouvernement d’Ehud Olmert, le premier ministre israélien, a clairement fait savoir qu’il n’était pas convaincu par les conclusions du NIE et qu’il prouverait par lui-même pouquoi [ce rapport] est erroné.

Attendant les révélations israéliennes, ses alliés néoconservateurs et évangélistes ont exprimé leurs doutes au sujet de l’honnêteté et des intentions [cachées] des auteurs du rapport et ont accusés ceux-ci de politiser les services de renseignements en fonction de leurs objectifs politiques.

Certains les ont qualifiés de taupes du département d’état à l’intérieur des agences de renseignement.
Ce n’est pas l’absence « de pistolet fumant [smoking gun - allusion aux mensonges diffusés avant l’attaque de 2003 sur l’Irak - N.d.T] sous la forme d’un champignon » qui dérange ces idéologues du « bombardons d’abord, vérifions après ». C’est plutôt de voir comment ces nouvelles conclusions ont retiré le tapis sous leurs plans de guerre.

Vous pouvez être certain qu’Israël et ses lobbyistes américains continueront à se battre bec et ongles tant qu’ils seront au centre de la stratégie des Etats-Unis au Moyen-Orient.

Vu que les options militaires sont difficilement plausibles après la publication du NIE, [Israël et ses lobbyistes] s’adapteront à la nouvelle stratégie américaine. Mais ils ne vont pas le faire sans se battre.

Mettre en doute ceux qui doutent

Il n’est pas difficile de deviner qu’Israël et ses porte-parole aux Etats-unis vont mettre en doute les intentions et le professionnalisme de chacune des 16 agences de renseignement américaines, particulièrement lorsque celles-ci osent remettre en cause ce qui est conventionnel.
La CIA et les agences similaires ont pour mission d’identifier la désinformation en provenance de l’étranger et de mettre en doute les politiques affichées par leurs adversaires. La seule chose de sûre au sujet des évaluations nationales de renseignement, c’est qu’elles ne sont pas entièrement sûres.

Ainsi quand les agences d’intelligence sortent de leur réserve pour publier des rapports audacieux et presque catégoriques pouvant par la suite être vérifiés ou diffamés, vous pouvez être certain qu’ils sont sûrs d’eux.
Il aurait été plus commode pour les analystes d’alarmer contre un danger nucléaire iranien que de déclarer avec une confiance élevée que l’Iran a stoppé son programme [d’armement] nucléaire en 2003 et n’a mis aucun plan de rechange en place.

En empêchant de façon préventive qu’il y ait une frappe préventive contre l’Iran, les services de renseignement s’assurent que le débâcle irakienne ne se reproduira pas sur la seule base de l’exagération et de la désinformation venant des israéliens.

Mettre en doute ceux qui doutent de ceux qui doutent

Ce n’est un secret pour personne qu’Israël a un objectif et que ses lobbyistes incitent Washington à le reprendre à son compte. Ce n’est pas un secret non plus que les services israéliens partagent au mieux de façon sélective leurs renseignements avec leur allié américain en fonction de leur propre intérêt national.

Gonfler les renseignements au sujet d’une menace nucléaire irakienne avant l’invasion [de 2003] n’est qu’un récent exemple des pratiques israéliennes de désinformation. L’Iran en est un autre exemple. La Syrie en est un troisième et ainsi de suite.

Israël rassemble et analyse les renseignements à travers le prisme d’un état qui ressemble à une garnison, et les Etats-Unis bénéficient des ressources nombreuses et variées de son empire.

Une menace stratégique, iranienne ou autre, est une combinaison de capacité et d’intention. Il s’ensuit que lancer une guerre contre l’Iran qui n’a ni la capacité ni l’intention de développer des armes nucléaires est un crime de guerre dans l’état de l’art.

Par conséquent si le NIE ouvre une fenêtre d’opportunité pour traiter d’importantes questions avec l’Iran sans délai imparti, pourquoi se précipiter vers les sanctions et l’usage de la force ? Puisque le scepticisme israélien met en doute les conclusions du NIE, ses cris ont pour but d’empêcher un changement politique en interdisant une diminution des pressions et des sanctions à l’égard de Téhéran.

Scepticisme à l’égard des renseignements

Les organismes politiques et militaires israéliens estiment que relâcher la pression occidentale contre l’Iran, en abandonnant en particulier la menace de l’action militaire au profit des pressions diplomatiques, est tout simplement naïf.

Ils s’inquiètent non seulement du consensus entre les 16 agences américaines de renseignement, mais surtout du consensus en train de naître entre les différents responsables et services du gouvernement des Etats-Unis contre le fait de lancer une autre guerre.

Israël craint qu’un changement stratégique ne soit dans les cartons et s’inquiète du fait que le récent rapport puisse préparer le terrain vers une révision de la politique des Etats-Unis qui viserait à changer la politiques de Téhéran mais pas son régime, par des carottes et non par des bâtons, en utilisant ses alliés arabes et musulmans plutôt qu’Israël.

Des fauconx comme Robert Gates, le secrétaire américain de la défense, et ses protégés, les amiraux Mullen et Fallon, respectivement à la tête des troupes et du commandement général, aussi bien que les partisans d’une ligne dure à la tête des services de renseignement, Mike McConnell (NIE) et le général Hayden (CIA), sont tout ce que l’on voudra sauf souples sur la question iranienne.

Au même titre que la direction politique du département d’état, dont Rice et son adjoint Negroponte, et que la direction du Congrès, Pelosi et Reid ne soutiennent pas l’idée de frappes militaires qui conduiraient à une guerre contre l’Iran.

À la lumière de ce qu’ils voient comme étant des signes « encourageants » en provenance du champ de bataille, ils voudraient arrêter le bain de sang en Irak et en Afghanistan au lieu de s’embarquer dans une autre guerre du Golfe, longue et meurtrière.

Ils estiment que les intérêts des Etats-Unis seraient mieux servis en transformant une occupation militaire coûteuse en Irak et en Afghanistan en un système de domination à long terme qui soit meilleur marché.

Washington espère que l’Iran continuera à être « utile » en arrêtant les armes de contrebande [vers l’Irak] et en tempérant ses alliés qui sont contre l’occupation. On s’attend à ce que la réunion du 18 décembre prévue entre les Etats-Unis et les officiels iraniens en Irak mène à une meilleure coordination.

Cela ne signifie pas que Washington ne voit plus l’Iran comme une menace régionale. Depuis la publication du NIE, l’administration Bush n’a cessé de mettre en avant la soit-disante menace iranienne pour la stabilité régionale.
L’administration Bush a suscité un appel de l’OTAN pour une troisième série de sanctions à l’égard de l’Iran en dépit du NIE et bien que le Conseil de sécurité des Nations Unies ne soit pas sur le point de s’en prendre à nouveau à l’Iran après que ce pays ait vraisemblablement stoppé un programme d’armement nucléaire au cours des quatre dernières années.

L’urgence a chuté depuis que la menace est passée d’imminente à potentielle.

Les conservateurs à Washington voient beaucoup de menaces potentielles autour du monde, de la Corée du Nord au Venezuela, mais ne préconisent pas pour autant de les bombarder.

C’est un coup important porté à Israël et ses seconds couteaux néo-conservteurs qui militent pour l’usage de la force contre l’Iran. Pour eux, la politique de « toutes les options sont sur la table » du Président Bush fait référence à la menace d’utiliser la force, et non pas une diplomatie à long terme.

Au delà de l’Iran

Un tel changement de politique est particulièrement inquiétant pour le gouvernement d’Olmert et ses alliés américains parce qu’elle peut s’appliquer plus largement au Moyen-Orient.

Abandonner une rhétorique guerrière au profit d’une rhétorique diplomatique après Annapolis revinedrait à faire pression sur Israël pour qu’il se comporte moins agressivement envers les Palestiniens, en arrêtant par exemple la construction de colonies autour de Jérusalem-est sous occupation.

L’invitation transmise à Mahmoud Ahmadinejad, le président iranien, pour prendre la parole au sommet des pays du Golfe à Doha au début du mois de décembre a déclenché les voyants rouges à Tel Aviv qui craint que ces ouvertures vers Téhéran ne mine de possibles sanctions.

Israël s’inquiète qu’un tel environnement ne favorise une pression diplomatique des Etats-Unis au sujet des Territoires Palestiniens Occupés en ne tenant pas compte de soucis stratégiques d’Israël vis-à-vis de menaces régionales.

Plus l’indignation israélienne concernant les nouvelles révélations du NIE fera de bruit, moins Rice et Bush pourront, au cas où ils y soient disposés, faire pression sur Israël dans les prochaines semaines.

*Marwan Bishara est principal analyste politique sur le Moyen-Orient pour Al-Jazeera ; écrivain et journaliste palestinien, il est également chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris) et enseignant à l’Université américaine de Paris. Il a écrit : « Palestine/Israël : la paix ou l’apartheid ? » paru aux Editions La Découverte

11 decembre 2007 - Al Jazeera.net - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/NR/exe...
[Traduction : IAO - Info-Palestine.net]