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Annapolis, vue de Gaza
samedi 24 novembre 2007 - Laïla El-Haddad

Même dans les pires périodes, une chose dont nous ne sommes jamais à court dans notre partie troublée du monde, c’est d’une nouvelle conférence, d’une autre réunion, ou déclaration, ou sommet, ou accord. Quelque chose pour sauver la situation, nous « guider » en nous ramenant sur un chemin tracé à l’avance, sur lequel nous sommes ou étions censés être. Et pour nous aider à suivre cette route.

Peu importent les points faibles discutables de ce chemin ou le mécontentement qu’il pourrait avoir généré, car nous savons tous ce qui arrive à ceux qui doutent, le plus important est d’aller de l’avant, en avant toute !

Cliquez sur Annapolis, je suis allée dans cette ville une ou deux fois. Une ville portuaire magnifique, des crabes énormes, des boutiques d’antiquité pittoresques. Et bien sûr, la marine américaine.

Qu’y a-t-il de différent cette fois-ci ? Bon, si on en croit certains gros titres de la presse, beaucoup de choses. Par exemple la promesse d’Ehud Olmert de ne pas construire de nouvelles colonies et de ne plus confisquer de terres.

Et pourtant... tout récemment en septembre, Israël confisquait 1 100 dunums (272 acres ou 1,1 km2) de terre palestinienne en Cisjordanie pour favoriser l’agrandissement du projet E1, sur un secteur de 5 miles carré (13 km2) en Cisjordanie, à l’est de Jérusalem où Israël projette de construire 3 500 logements, un hôtel et une zone industrielle, terminant ainsi l’encerclement de Jérusalem par les colonies juives et séparant la cité du reste de la Cisjordanie.

La conférence génère simplement de nouvelles promesses toujours plus superflues et complexes, les dirigeants israéliens peuvent s’y engager mais d’une manière ou d’une autre, ils se déroberont encore. Un exercice du meilleur embrouillamini juridique : nous ne construirons pas de nouvelles colonies, nous confisquerons juste plus de terre pour les agrandir en vue de leur « croissance naturelle », jusqu’à ce qu’elles ressemblent à des villes, pas à des colonies, et qu’elles soient légitimées par l’administration américaine, une façon comme une autre de sauver la face. Et puis, nous promettons aussi de raser les avant-postes.

Chaque stade dans l’évolution de l’occupation israélienne - ainsi que les efforts pour la poursuivre et les mots pour la décrire - est plus raffiné, stratégique et euphémique que le précédent.

Israël a également promis de libérer 450 prisonniers palestiniens (qui sont, de l’aveu même d’Israël, en fin de peine) le dimanche qui précède la conférence, alors qu’il y en a des dizaines d’autres et que des milliers sont en détention sans inculpation ni procès - représentant le taux le plus élevé d’incarcération dans le monde.

Et pourtant, Annapolis est saluée comme l’initiative la plus sérieuse de ces huit dernières années pour tenter de « revenir sur la bonne voie ». Selon le porte-parole du département d’Etat US, la conférence « marquera un large soutien international aux courageux efforts des dirigeants israéliens et palestiniens, et sera le point de départ de négociations conduisant à l’instauration d’un Etat palestinien et à la réalisation de la paix israélo-palestinienne. »

Un soutien, si j’ai bien compris, qui comporterait aussi des armes et de l’argent pour aider Abbas à débarrasser Gaza du Hamas une fois pour toutes.

Alors, quelles sont les attentes des gens de Gaza à partir de tout cela ?

En bref, pas grand-chose. Mais si l’histoire leur a appris quelque chose, c’est qu’ils n’ont jamais beaucoup pu s’exprimer sur ce qui concerne leur destin, que ce soit à Madrid, à Oslo ou pour la Feuille de route. Et au moment où ils essaient de s’assumer, les répercussions que cela entraîne leur « enseignent » qu’il ne faudra jamais recommencer.

Citons le poète national palestinien, Mahmoud Darwish : « Le siège durera afin de nous convaincre de choisir un asservissement qui ne nuit pas, en toute liberté ! » (*)

Le décor est monté, les rôles sont les mêmes, seuls les acteurs ont été changés. C’est le sentiment de beaucoup à Gaza.

« La réunion d’Annapolis n’apportera pas grand-chose de neuf pour les Palestiniens ; c’est une redite de beaucoup d’autres conférences qui visaient à renforcer le principe des concessions sur les droits nationaux palestiniens » dit Yousef Diab, fonctionnaire de 35 ans.

Pour Fares Akram, jeune journaliste de Gaza, la conférence donnera lieu à un peu plus de compromis symboliques afin d’isoler davantage une bande de Gaza gouvernée par le Hamas, et d’impulser un soutien à Abbas : « Le gouvernement israélien est en situation de faiblesse actuellement. Le président Abbas pourra obtenir un certain appui lors de la conférence mais ce sera pour son combat contre le Hamas. Gaza restera oubliée et toute amélioration qui pourrait découler de la rencontre ne s’appliquera qu’à la Cisjordanie, rien ne sera fait, ici, à Gaza. »

Fida Qishta, vidéographe et militante associative à Rafah, une ville agitée de la bande de Gaza, ne se donne même pas la peine de réfléchir à des choses aussi abstraites, lointaines et, finalement, si hors de propos qu’Annapolis, quand la vie dans Gaza, telle qu’elle la voit, est pratiquement arrêtée.

« J’aimerais que vous soyez ici pour voir comment est la vie, elle ressemble en réalité à un corps sans vie. Je ne peux pas imaginer que nous vivions parmi tout ça, j’essaie de ne pas trop y penser. »

Aliya Moor, maman de 8 enfants, ajoute : « Nous sommes déjà morts, la seule chose dont nous avons besoin, c’est d’être enterrés, d’être poussés dans la tombe et enterrés. Elle a déjà été creusée pour nous. »

Nous sommes des prisonniers, m’ont dit d’autres personnes, des prisonniers qui attendent toujours et espèrent en vain que des décisions soient prises qui détermineront s’ils sont vivants ou s’ils sont morts, tant au propre qu’au figuré.

Sauf que les prisonniers sont assurés d’avoir un minimum de choses, comme la nourriture et l’eau, et l’accès aux soins. Les Gazans ne sont assurés d’aucune de ces choses. A la place, ils ont franchi un seuil, ils sont devenus le premier peuple occupé dans l’Histoire à être l’objet d’un embargo et être déclaré comme ennemi.

« Les gens veulent juste s’en sortir » explique un autre ami. « Peu importe que ce soit le Fatah ou le Hamas, ou tout autre parti. Ce n’est pas la question. »

Nous sommes devenus des gens - pour citer Darwish -, toujours apprêtés à l’aube, dans l’obscurité des caves éclairées par nos ennemis *.


« Un pays qui s’apprête à l’aube. Nous devenons moins intelligents
Car nous épions l’heure de la victoire :
Pas de nuit dans notre nuit illuminée par le pilonnage.
Nos ennemis veillent et nos ennemis allument pour nous la lumière
Dans l’obscurité des caves. »

Mahmoud Darwish

* Etat de siège.

Laila El-Haddad est une journaliste free-lance qui vit dans la ville de Gaza. Elle a appelé son blog Raising Yousuf en reprenant le prénom de son fils âgé de deux ans.


Du même auteur :

- "Les portes closes de Gaza" - 4 août 2007, The Electronic Intifada.
- "Voix de Gaza : où allons-nous ?" - 2 juin 2007, Al Jazeera.net

22 novembre 2007 - The Guardian, Comment is free - Traduction : JPP